En lisant le billet publié sur le site du Figaro, intitulé “Quand les féministes donnent envie d’être sexiste” et écrit par Philippe Bilger pour moi et toutes celles et ceux qui se sont mobilisé-e-s pour le retrait des carnets de santé sexistes des Bouches-du-Rhône, j’oscille entre rire (nerveux) et colère.
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Les derniers carnets de santé édités par le conseil départemental des Bouches-du-Rhône étaient des modèles en matière de stéréotypes de genre, la photo choisie pour la couverture était tellement caricaturale qu’au début, lorsqu’une twitta vigilante nous a interpellées à Osez le féminisme 13!, nous n’arrivions pas à y croire. Comment est-ce qu’en 2015 une institution comme le conseil départemental pouvait éditer un document à destination des enfants et de leurs parents avec une couverture pareille?
Le patriarcat sait défendre ses intérêts et le maintien des stéréotypes de genre en fait partie, c’est ce que nous montre Philippe Bilger dans son fameux billet d’humeur.
Je n’ai toujours pas de réponse à cette question, le mystère reste entier. Une fois passée la stupéfaction, la demande de retrait était la seule solution pour arrêter la diffusion de ces documents; retrait qui a été obtenu. L’histoire pourrait s’arrêter là: nous avons demandé le retrait de ces carnets, la dangerosité de cette couverture a été reconnue, ils sont retirés.
Oui mais voilà, ce serait beaucoup trop simple! Nous sommes dans une société patriarcale et les avancées contre les stéréotypes de genre suscitent des attitudes réactionnaires. Ce phénomène de résistance, on ne le connait que trop bien lorsque l’on milite pour l’égalité femmes-hommes. Le patriarcat sait défendre ses intérêts et le maintien des stéréotypes de genre en fait partie, c’est ce que nous montre Philippe Bilger dans son fameux billet d’humeur.
Il est amusant de se pencher d’un peu plus près sur l’“argumentaire”, sorte de râle d’un patriarcat ringard, de ceux qui feignent de ne pas voir le sexisme autour d’eux ou encore mieux qui le défendent. Petit décryptage de l’humeur patriarcale de Philippe Bilger (applicable à d’autres défenseurs des inégalités entre les femmes et les hommes, l’originalité n’étant pas leur fort):
Ce qui me fascine, je dois l’avouer, c’est la capacité qu’ont les opposants au féminisme à perdre leur temps très précieux à parler de nos combats qu’ils jugent si inutiles.
D’abord l’argument suprême, répété mille fois: l’inutilité. Les combats pour l’égalité femmes-hommes seraient inutiles, les féministes se concentreraient sur des détails avec cette question lancinante: “Mais elles n’ont rien d’autre à faire?!” Cela fait des siècles que nous entendons la même chose. Lorsqu’on sait l’influence que peuvent avoir les représentations, les images sur l’intériorisation des rapports sociaux chez les enfants et leur socialisation, une couverture d’un document aussi officiel et durable qu’un carnet de santé ne me semble pas un détail. Mais ce qui me fascine, je dois l’avouer, c’est la capacité qu’ont les opposants au féminisme à perdre leur temps très précieux à parler de nos combats qu’ils jugent si inutiles.
Ensuite le second argument jamais bien loin: “c’est la nature.” Les hommes et les femmes sont différents et ces différences, alliées précieuses du machisme, sont toujours là pour justifier les inégalités. Je tiens à préciser, juste au cas où: je sais que les femmes et les hommes ont des différences physiques. Mais est-ce que des appareils génitaux différents doivent servir de prétexte pour cultiver toutes sortes de différences socialement construites autour de la domination masculine? L’obsession du poids, du tour de taille, du ventre plat font partie d’un ensemble d’injonctions esthétiques qui pèsent sur les femmes et bien qu’ils soient également pourvus d’un ventre et d’une taille, les hommes ne semblent pas avoir régulièrement l’idée de mesurer leur tour de taille. Quand Philippe Bilger se demande “au nom de quoi récuser le plaisir que vous offre une petite fille déjà attentive à sa taille et un petit garçon investi par l’envie de grandir?”, je réalise que, de toute évidence, nous ne vivons pas dans le même monde.
Que Philippe Bilger me désigne, nous désigne en tant que féministes, comme les responsables de ses opinions réactionnaires, ça a clairement du mal à passer.
Peut-être ne sait-il pas les ravages des désordres alimentaires, de l’anorexie sur les jeunes filles? Peut-être ne sait-il pas que des filles mettent leur santé en danger pour être minces, pour correspondre à des critères de beauté dictés par des logiciels de traitement d’image qui produisent des corps irréels? Que cela soit par ignorance ou par paresse intellectuelle, ces enjeux de santé publique ne semblent pas l’atteindre.
Le fait que Philippe Bilger arrive à vivre dans une société sexiste sans même penser à la remettre en question ne m’affecte pas vraiment; en revanche qu’il me désigne, nous désigne en tant que féministes comme les responsables de ses opinions réactionnaires, ça a clairement du mal à passer.
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