Le 12 mars dernier, Globe publiait Fairyland, le récit d’Alysia Abbott, fille d’un poète gay décédé du sida en 1992. Dans un mémoire passionnant, elle retrace leur vie dans le San Francisco des années 70 et 80. Un récit dont on sait qu’il sera le prochain projet de la réalisatrice Sofia Coppola. Et qui devrait lui aller comme un gant.
Depuis fin 2013, c’est officiel: le prochain projet de Sofia Coppola sera une adaptation de Fairyland, les mémoires d’Alysia Abbott. Après The Bling Ring, la réalisatrice se plongera dans le San Francisco bohème des seventies. Une bonne pioche. Pourquoi la fille de Francis Ford a vu juste? Retour sur quelques aspects du livre qui lui iront comme un gant.
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Les rapports père-fille
En 1973, la femme de Steve Abbott et mère de la petite Alysia, deux ans, meurt dans un accident de voiture. Un tournant dans la vie du poète et de sa fille: désormais, ils devront compter l’un sur l’autre. Steve n’est pas particulièrement prêt à assumer l’éducation de sa fille seul. Alors il assoit Alysia sur ses genoux et lui lit le passage de Babar dans lequel la mère du jeune éléphant est tuée par des braconniers.
Plus elle grandit, plus Alysia trouve difficile de voir les amants de son père le quitter, de changer de colocataire sans cesse et d’avoir une vie différente de celle des jeunes filles de sa classe.
Après le décès de sa femme, Steve n’aura plus d’aventures qu’avec des hommes. Si l’amour qu’il porte à sa fille est particulièrement fort, comme Steve le raconte dans les nombreuses lettres retranscrites par cette dernière, leur relation est houleuse. Plus elle grandit, plus Alysia trouve difficile de voir les amants de son père le quitter, de changer de colocataire sans cesse et d’avoir une vie différente de celle des jeunes filles de sa classe. Une relation difficile qui n’est pas sans rappeler le Somewhere de Coppola, aussi centré sur une jeune adolescente et son père, un acteur résidant au célèbre Chateau Marmont de Los Angeles.
Vivre dans l’ombre d’un père imposant et torturé? Voilà qui devrait donner à Coppola beaucoup d’idées.
Comme Johnny Marco dans le film, Steve a l’impression de ne plus connaître cette adolescente étrange qui lui échappe de plus en plus. Il n’a qu’une envie: fuir ses responsabilités. Dans son journal, il se confie. “La majeure partie de ces six derniers mois, j’aurais préféré ne pas avoir Alysia. Je n’ai aucune intimité à la maison, j’ai l’impression qu’elle interfère avec toute potentielle relation amoureuse.” “Les pédés la trouvent mignonne mais ils ont peur d’elle”, ajoutera-t-il. Vivre dans l’ombre d’un père imposant et torturé? Voilà qui devrait donner à Coppola beaucoup d’idées.
L’adolescence
Tous les récits de Sofia Coppola tournent autour du malaise adolescent. Des visages mélancoliques des jeunes filles de Virgin Suicides à l’ennui d’Elle Fanning dans Somewhere, en passant par la jeunesse dorée de The Bling Ring… Même Marie-Antoinette, vue par son prisme, est une jeune adulte en pleine crise d’adolescence. Des récits qui figent un moment très particulier du passage à l’âge adulte.
Alysia Abbott est d’une honnêteté brutale quand elle raconte ses souvenirs, mettant parfois à nu sa propre intolérance.
Une bonne partie de Fairyland, dont le titre fait justement référence à un espace hors-temps que la jeune fille partage avec son père, tourne autour de sa crise d’adolescence. Poussée par la pression de ses pairs, elle se rend compte des différences de son père, de sa sexualité, de son travail artistique, et entre en résistance contre son milieu et ses amis. Alysia Abbott est d’une honnêteté brutale quand elle raconte ses souvenirs, mettant parfois à nu sa propre intolérance. Elle retranscrit aussi une lettre de son père dans laquelle il se moque ouvertement de ses sautes d’humeur. “Il est peut-être normal pour les adolescents d’être grossiers, maussades et rebelles, écrit-il, mais je n’aime pas particulièrement être dans les parages.”
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Une BO sur mesure
Tout le monde se souvient des premières notes langoureuses de Just Like Honey de The Jesus and Mary Chain, qui accompagnent la fin de Lost in Translation. Des notes génialement anachroniques du Ceremony de New Order dans Marie Antoinette. Ou de la voix mélancolique de Julian Casablancas pendant la scène de la piscine de Somewhere. Ce n’est plus à prouver: Sofia Coppola est une fan de pop, de rock et de new wave.
La musique est le moyen d’expression qui permet à Alysia de créer son propre espace, en marge des mots.
Et ça tombe bien: Alysia Abbott traverse une période new wave dans les années 80 qui devrait particulièrement inspirer la réalisatrice. La musique prend une place importante dans ses souvenirs. “Tous les jours après l’école, raconte-t-elle, je me retirais dans ma chambre et allumais la radio, griffonnant le nom de chaque groupe dont les chansons passaient à l’antenne. […] Scritti Politti, Depeche Mode, The Cure, the Smiths, New Order, Tear For Fears, Duran Duran, etc…” La musique est le moyen d’expression qui permet à Alysia Abbott de créer son propre espace, en marge des mots -l’apanage de son père. Elle traîne chez le disquaire Rough Trade, se coupe les cheveux courts, bave devant les pochettes de Bowie ou des Cure et sort en boîte écouter How Soon is Now des Smiths. De quoi donner à Sofia Coppola un champ esthétique inspirant.
Retranscrire une époque
En résumé: Sofia Coppola risque d’exceller dans ces domaines qu’elle connaît par coeur. Mais Fairyland devrait aussi la faire sortir de sa zone de confort pour son sixième film. Les mémoires d’Alysia Abbott ne font pas l’impasse sur l’aspect extrêmement politique de l’oeuvre de son père, militant pour le droit des homosexuels. La réalisatrice devra retranscrire à l’écran l’effervescence du San Francisco des années 70, déjà mise en scène par Gus Van Sant dans Harvey Milk.
Alysia Abbott montre comment la maladie décime à une vitesse alarmante tous ceux qu’elle connaît depuis son enfance.
Steve Abbott multiplie les engagements: à travers sa poésie, son travail de journaliste et son soutien à sa communauté. Il est sans cesse sous les feux de la critique. Le dernier tiers de ses mémoires se consacre aussi aux ravages du sida. Alysia Abbott montre comment la maladie décime à une vitesse alarmante tous ceux qu’elle connaît depuis son enfance, sous les yeux d’un Reagan dangereusement indifférent. Jusqu’à ce que, finalement, elle atteigne son père. Des passages douloureux et particulièrement difficiles à adapter. Un challenge de taille.
Pauline Le Gall
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