Virginie Sassoon et Rokhaya Diallo sont amies et réunies par une même passion: la représentation des minorités en France. Alors qu’elles viennent chacune de publier plusieurs ouvrages sur le sujet, elles ont répondu à notre interview “Melting Potes”.
L’une vient de sortir une BD, Pari(s) d’amies, l’autre a publié sa thèse sur les femmes noires dans la presse féminine. Ensemble, elles ont également cosigné Moi raciste? Jamais!. Surtout, Rokhaya Diallo et Virginie Sassoon sont amies dans la vie. Depuis six ans, ces deux jeunes femmes passionnées par les questions de diversité et de discrimination -elles se sont rencontrées au Club Averroes– échangent sur ces sujets qui leur tiennent à cœur, mais aussi sur des “gros dossiers” d’ordre privé, comme elles l’avouent en riant, assises à une terrasse de café parisienne ensoleillée, prêtes à répondre à nos questions.
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“Notre génération est beaucoup plus mélangée que la génération précédente.”
Pleines de projets, les deux trentenaires ont conscience d’incarner une génération métissée, “beaucoup plus mélangée que la génération précédente”, comme le souligne Rokhaya Diallo. Si cette dernière a désormais sa place dans le paysage médiatique français et enchaîne docus, livres et chroniques, Virginie Sassoon est, elle, issue du monde universitaire et enseigne les sciences de l’information et de la communication à l’Institut français de presse. Quand on lui demande où est né son engagement sur ces questions, elle répond par une blague: “Non, je n’ai pas de mari noir!” Avant de reprendre plus sérieusement: “J’ai vécu à Madagascar quand j’étais ado, et je crois que ça m’a permis de prendre conscience que la France avait eu une histoire coloniale. Depuis, je me suis toujours passionnée pour ce sujet car il permet de comprendre la société dans laquelle on vit.” En 2015, la question de la place des minorités en France a violemment ressurgi dans l’actualité avec les attentats du mois de janvier. Un contexte difficile, qui n’empêche pas Virginie Sassoon et Rokhaya Diallo de croire en une jeunesse française plus métissée. Interview “Melting potes”.
Dans Pari(s) d’amies, la bande de filles est de toutes les origines… C’est ça, la jeunesse parisienne aujourd’hui?
Rokhaya Diallo: En tout cas, c’est celle que j’ai toujours connue. J’ai grandi dans le 19ème arrondissement, et dans mon quartier, nos familles venaient de partout. Trente ans plus tard, je ne vois toujours pas ces filles qui nous ressemblent à la télé ou au cinéma et j’ai toujours la sensation que ni moi ni mes copines n’existons. C’est pourquoi j’ai voulu nous représenter à travers cette BD que Kim Consigny a illustrée. Il suffit de prendre le métro pour voir que Paris, ce n’est pas Édith Piaf ou Amélie Poulain.
Virginie Sassoon: C’est cette question du décalage entre la société et sa représentation dans les médias qui est au cœur de Femmes noires sur papier glacé, ma thèse. C’est très important de s’intéresser aux supports de divertissement, qui sont aussi puissants que les discours politiques.
RD: Plus belle la vie, par exemple, a cette qualité de montrer la France telle qu’elle est, et son personnage du flic homo vaut quinze manifestations LGBT.
Ces bandes de copines très mélangées ne sont-elles pas menacées par la montée du communautarisme?
RD: Je ne crois pas. En ce qui me concerne, je n’ai jamais été confrontée au communautarisme avant de fréquenter un univers majoritairement blanc, quand j’ai commencé mes études à Paris. Avant, on ne me demandait jamais quelles étaient mes origines. Bien sûr, j’ai eu de nombreuses discussions avec mes copines, mais on ne s’est jamais embrouillées, l’amitié a toujours été plus forte.
“On estime toujours que toutes les femmes doivent s’identifier aux blanches, on a du mal à imaginer qu’on peut toutes s’identifier les unes aux autres.”
VS: J’enseigne à Créteil, et je vois régulièrement des bandes de filles noires à l’image du film de Céline Sciamma. Mais ce n’est pas un choix, c’est juste le reflet de l’absence de mixité qui règne dans ces quartiers. C’est sûr que les attentats de janvier ont été une grosse blessure pour tout le monde et qu’ils ont tendu les relations, je vois bien qu’il y a des “concurrences” entre communautés. Les médias ont une grosse part de responsabilité là-dedans, ils ne jouent pas assez un rôle d’apaisement.
Finalement, l’identité de femme ne rapproche-t-elle pas davantage toutes ces filles?
RD: Peut-être, et c’est que j’aime dans le travail de Virginie, elle n’occulte pas le prisme du féminisme dans la question de la représentation des noirs. Dans ma BD, j’évoque le phénomène nappy et toutes les questions que la beauté naturelle soulève. La beauté est souvent considérée comme superficielle, alors que pour les minorités, c’est un réel enjeu politique.
VS: En France, on estime toujours que toutes les femmes doivent s’identifier aux blanches, on a du mal à imaginer qu’on peut toutes s’identifier les unes aux autres. Ça ne changera qu’en proposant des modèles diversifiés. L’arrivée de l’actrice Lupita Nyong’o est intéressante, d’autant qu’elle raconte qu’elle a mis du temps à se trouver belle avec sa peau si foncée et ses cheveux courts.
Comment faire progresser la représentation des minorités?
VS: Il faut prévenir nos enfants que ça va être dur.
RD: Oui. Moi, j’avais été un peu prévenue. Mais dans l’ensemble, nos parents ont accepté le racisme ordinaire parce qu’ils étaient la première génération d’immigrés, ils n’imaginaient pas que leurs enfants, français, seraient confrontés aux mêmes discriminations.
VS: Je crois en la sanction. On a imposé la parité pour rendre les femmes plus visibles, pourquoi ne pas faire la même chose pour les minorités?
Qu’ont changé les attentats de janvier au sein de la jeunesse française?
VS: Toute une partie de cette jeunesse ne se sent pas représentée, et face à elle, il existe une radicalisation des défenseurs de la laïcité qui instrumentalisent ce principe. Il faut que les politiques osent relancer le débat sur l’identité en confrontant des valeurs. Pas à la manière de Nicolas Sarkozy, mais il faut y aller, sinon tout le monde se referme.
“Le fait que notre ministre de l’Éducation nationale s’appelle Najat Vallaud-Belkacem est un symbole bien plus puissant que tous les autres.”
RD: Personnellement, cette période a été très difficile pour moi, car j’ai été tiraillée entre le monde médiatique dans lequel je travaille, et le monde militant que je fréquente, qui n’avaient pas du tout le même discours sur Charlie Hebdo. Même si ça a été très compliqué, je me dis qu’au moins, tout ça réveille le sentiment d’urgence. Nous, ça fait des années qu’on tire la sonnette d’alarme. Mais je ne crois pas que les problèmes de fond se résoudront en chantant davantage La Marseillaise à l’école où en appliquant des solutions gadgets. Il faut d’abord commencer par donner les mêmes moyens à tous les lycées de France. Le fait que notre ministre de l’Éducation nationale s’appelle Najat Vallaud-Belkacem est d’ailleurs un symbole bien plus puissant que tous les autres.
Propos recueillis par Myriam Levain
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