Dans « La Gifle », une famille australienne se déchire après une fête qui a mal tourné.
Il y a quarante ans, la télévision suédoise diffusait les six épisodes de Scènes de la vie conjugale, exploration méticuleuse et déchirante des aventures d’un couple sur plusieurs décennies. En plus de devenir, dans une version raccourcie à moins de trois heures, un classique du cinéma, la série d’Ingmar Bergman (qui a travaillé toute sa vie pour le petit écran) posait les bases du récit télé moderne. En appuyant sur l’intimité, la profondeur des sentiments et la durée, l’auteur de Persona avait compris voire déjà sublimé la nature quotidienne et domestique du médium. En 2013, l’ADN d’une série télé « adulte » s’inscrit encore partiellement dans cette lignée, même si c’est la plupart du temps de manière inconsciente. Et que le résultat n’est que rarement à la hauteur.
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Il n’est pas sûr, par exemple, que les réalisateurs, producteurs et scénaristes australiens de La Gifle (Penny Chapman, Tony Ayres, Jessica Hobbs, Matthew Saville) aient tous révisé leur petit Bergman illustré avant de se lancer dans l’adaptation du roman éponyme de Christos Tsiolkas (sorti en France en 2011 chez Belfond) et de remporter une foule de prix et d’honneurs. Le contraire semble même assez probable. Mais certains fondamentaux – qui sont aussi, plus largement, ceux du soap dit « intelligent » – restent présents dans cette histoire de famille où toutes les apparences sont malaxées, contredites et finalement reformulées, dans un maelström qui ressemble parfois à un empilement fascinant de scènes de ménage – les allergiques passeront donc leur chemin.
L’affaire débute de manière virtuose : lors d’un après-midi barbecue en famille passablement banal, rempli de bière, de sourires et de viande grasse, l’un des adultes présents donne une gifle à un enfant turbulent, pour ne pas dire insupportable. Panique, hurlements, larmes, déchirements. La vie reprend mais la baffe ne passe pas. Cette scène traumatique gênante a ouvert la boîte de Pandore dans la famille. Ses conséquences imprévisibles sont explorées minutieusement au fil des huit épisodes, qui adoptent chacun le point de vue de l’une des personnes présentes ce jour-là – la mère de l’enfant, sa soeur, etc. – en prenant tout le temps nécessaire pour démêler les fils.
Outre sa construction efficace, qui fait co-exister un récit choral et des trajectoires individuelles, les meilleurs aspects de La Gifle tiennent à sa manière de ne jamais lâcher un objectif clair : dévoiler ordinaire mais complexe, où se croisent des membres de la classe moyenne et des bourgeois très privilégiés, des immigrés grecs, des Juifs, des Noirs, des Blancs. Cette diversité identitaire et sociale est accolée à une succession de crises – du couple, de la quarantaine, d’adolescence. Tous les personnages sont saisis à un moment de remise en question radicale. La caméra se plante dans les intérieurs made in Melbourne et observe le désastre presque sans bouger. Une minute après, il sera trop tard. Tout aura disparu ou empiré. Dans ce contexte tendu, le potentiel d’émotion et de violence de la série se révèle parfois stupéfiant. Si La Gifle n’est pourtant pas tout à fait la claque espérée, c’est peut-être à cause de l’esprit de sérieux qui s’en dégage par intermittence. La rigueur du récit devient par moments ampoulée, au détriment du mystère qui pourrait en émaner. Un petit manque de folie pour une production malgré tout au-dessus de la moyenne – et à laquelle Claude Pinoteau, auteur d’un célèbre film portant le même titre en 1974, est resté totalement étranger.
La Gifle (2011), chaque jeudi à 20 h 40 sur Arte du 5 au 26 septembre Coffret de 3 DVD (éd. Montparnasse), 25 €
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