J’ai été bercée par Le Club Dorothée, pourtant, je me considère comme une enfant de l’Internet. J’ai connu deux écrans: celui de ma télé, qui diffusait de l’info et de l’humour unilatéralement, m’imposant la position de spectatrice, et celui de mon ordinateur qui, du jour au lendemain, m’a permis d’échanger des données avec des proches et des inconnus dans un tourbillon grisant d’interactivité. Je devais avoir 14 ans quand j’ai découvert les discussions en ligne avec CaraMail et AIM, calfeutrée dans le bureau de mes parents, entre la lenteur de ma connexion et la rapidité de mon rythme cardiaque.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Je me rappelle le lapidaire “ASV STP” (“Âge Sexe Ville S’il Te Plaît”), cette abréviation qui servait d’entrée en matière à l’instar de l’actuel “Salut, ça va?”. J’ai toujours trouvé charmant d’accoler ces lettres censées résumer l’essentiel à une formule de politesse. À l’époque, je faisais croire que j’étais majeure, je n’assumais pas d’habiter un bled de 800 habitants et j’œuvrais sous le pseudo de Ariane005. L’adolescence. La mienne et celle de la toile. Et puis il y a eu MSN, Skyblog, Quoimagueule.com: tout un tas de plateformes pour se parler, se montrer, se juger. J’ai fait ma première rencontre online à 17 ans. Il s’appelait Jean-François (JeffDu93) et vivait à Pantin; on est sortis ensemble un trimestre, passant plus de temps à s’envoyer des mails qu’à s’embrasser.
L’Internet m’est soudain apparu comme un outil pour les rencontres, autant qu’il en était un pour l’érudition.
En 2005, j’ai posé mes valises à Paris. J’étais romantique, influencée par mes lectures et mon éducation soixante-huitarde, et si ma curiosité solitaire m’avait conduite à chercher l’amour dans les pixels de 14 à 18 ans, je rêvais d’un coup de foudre au coin de la rue, ou à défaut, au coin d’un bar… Ce que la diversité de ma nouvelle ville rendait enfin possible. Je me suis peu à peu éloignée des forums, chats et autres Myspace, et j’ai même eu tendance à les dénigrer. La “vraie vie”, c’était forcément mieux. Ma vision romanesque et manichéenne s’est estompée quand je me suis éprise d’un camarade de classe que Facebook m’a aidée à draguer. Sur le réseau social de Zuckerberg, une app te proposait alors de liker les contacts qui te plaisaient (merci Markie).
L’Internet m’est soudain apparu comme un outil pour les rencontres, autant qu’il en était un pour l’érudition. Oui, un outil, un catalyseur, un biais, pas une fin en soi. En 2010, je me suis séparée de mon copain et inscrite sur Twitter parce que des potes y avaient élu domicile. Les punchlines en 140 caractères, ce n’était pas trop mon truc, mais j’ai participé à quelques twittapéros, ces réunions de twittos qui se propageaient dans les rades de la capitale. C’était le début d’amitiés fortes et de flirts sans conséquences. J’ai aussi acheté mon premier smartphone et le virtuel s’est naturellement intégré au réel. Cette explosion sociale allait de pair avec ma précarité professionnelle: je me sentais libre et sans avenir défini.
J’ai créé mon compte Adopte, j’ai eu l’impression d’avoir un choix illimité, j’ai oublié ce que je cherchais, j’ai été déçue et en colère.
Puis mon insouciance a croisé la route de garçons boulimiques de rencontres, tandis que moi, après deux années de franche rigolade, je me serais bien accordé une parenthèse de tendresse. J’ai eu mal à l’ego, parfois au cœur, je ne comprenais pas pourquoi certains de mes amants se comportaient comme mes mecs sans vouloir en assumer le rôle. J’ai créé mon compte Adopte, j’ai eu l’impression d’avoir un choix illimité, j’ai oublié ce que je cherchais, j’ai été déçue et en colère, j’en ai discuté avec des amis, filles ou garçons, la plupart se disaient paumés, et j’ai écrit un article pour Slate: Sémantique du couple 2.0.12. Les deux années suivantes n’ont guère été différentes; les Tinder–Happn-etc. se sont juste multipliés.
C’est donc en partant d’un constat personnel, partagé par mon comparse Florian Delhomme, que j’ai décidé de réaliser un documentaire intitulé ASV STP. Conscients que nos questions nombrilistes faisaient écho à une évolution sociétale, nous avons étendu le débat en interviewant six proches face caméra. Le dating est-il devenu un produit de consommation? À quoi ressembleront les rencontres du futur? Peut-on s’attacher à un plan cul? Nous les avons poussés à réfléchir sur leurs propres pratiques, esquissant le portrait-robot du couple d’aujourd’hui. Et nous ne comptons pas nous arrêter là. Notre démarche doit dépasser “l’ethnocentrisme”, d’où l’envie, une fois le film terminé, de lancer une enquête collaborative via un site dédié, sur lequel citadins, ruraux, gays, hétéros, étudiants et bobos pourront s’exprimer… Un projet exigeant que nous espérons concrétiser grâce à notre campagne de crowdfunding Ulule.
{"type":"Banniere-Basse"}