Dans Fidelio, son premier long-métrage, la réalisatrice Lucie Borleteau soumet son personnage principal à la tentation de l’infidélité.
Début novembre, au Festival international du film d’Arras, Fidelio était bien à sa place: cet événement à taille humaine, pour sa quinzième édition, présentait des films venus de toute l’Europe, dont la qualité le disputait à l’originalité. Primé à Locarno, où Ariane Labed, qui tient le rôle principal, a reçu le Prix d’interprétation féminine, le premier long-métrage de Lucie Borleteau coche ces deux cases haut la main. Fidelio, sous-titré L’Odyssée d’Alice, c’est le voyage en eaux troubles d’une jeune mécanicienne de la marine marchande, qui ne peut se contenter d’aimer un seul homme -son mec est interprété par le Norvégien Anders Danielsen Lie, remarqué pour son rôle de junkie dans Oslo 31 août. Et qui se retrouve, lors d’une traversée, sur le même bateau que son ex historique (Melvil Poupaud).
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Déjà à l’origine de trois courts-métrages, Nievaliachka -la poupée qui ne tombe pas, La Grève des ventres et Les Vœux, Lucie Borleteau est une trentenaire qui pète le feu et rigole d’un rien. Vue aussi de l’autre côté de la caméra, notamment dans La Fille du 14 juillet d’Antonin Peretjatko, elle ne semble pas disposée à choisir entre sa carrière d’actrice et de réalisatrice. Ce soir-là pourtant, dans l’espace presse de la Grand Place, c’est cette dernière casquette qu’elle a revêtue. Et, quelques minutes avant d’aller le présenter au Cinémovida, la salle de cinéma située à une dizaine de mètres, elle raconte l’aventure de son premier film.
Quelle est la genèse de Fidelio?
Fidelio part de son personnage principal. Il est inspiré de ma meilleure amie, qui a décidé d’entrer dans la marine marchande au moment où moi, je me destinais à faire du cinéma. J’ai suivi son parcours, de son entrée à l’école jusqu’au moment où elle a commencé à embarquer. Pendant douze ans, j’ai rêvé de faire un film à la fois sur la marine, que je trouve magnifique, mais aussi sur la “marine”, au sens féminin de marin.
S’agit-il d’une figure nouvelle?
Oui, puisque dans la marine marchande, il n’y avait quasiment pas de femmes jusqu’à il y a quinze ou vingt ans. C’est à ce moment-là qu’ils ont commencé à leur ouvrir le concours. Désormais, on compte environ 10% de filles qui rentrent à l’école chaque année. Pendant longtemps, j’ai rêvé à un documentaire et puis un jour, je me suis rendu compte que j’avais envie de parler d’amour. Une fiction, quelque chose de plus romanesque m’a donc semblé plus approprié. Et puis, je n’avais pas envie d’aller embêter des vrais gens pour qu’ils me racontent leur vie. (Sourire.)
Mais tu t’es quand même nourrie de l’expérience de ton amie…
Tout à fait. Elle nous a suivis à l’écriture, au tournage, elle a même fait de la prise de son. Elle est notre caution par rapport au monde maritime. J’espère que les marins vont voir Fidelio sans se dire que je n’y connais rien! (Rires.) Mais normalement, tout est crédible, y compris l’intrigue technique.
“Dans les films de mecs, une femme qui couche avec plus de deux hommes, c’est forcément une nymphomane.”
Dans Fidelio, tu montres une femme désirante. Céline Sciamma nous disait récemment qu’il fallait à tout prix que le cinéma montre de telles femmes. Pour toi aussi, c’était une volonté?
C’était surtout quelque chose de naturel. Je n’ai jamais pensé que désirer les hommes pouvait être un problème. Pourtant, j’ai l’impression que certains spectateurs -et j’insiste bien sur le masculin-, sont dérangés par l’idée de voir une femme qui aime comme ça. Qui aime comme ils pensent que les hommes sont les seuls à aimer. Je suis parfois étonnée par les réactions un peu pudibondes d’hommes qui ont par ailleurs des vies très libres, mais qui sont mal à l’aise de voir une femme à leur “place” -c’est-à-dire, qui assume d’aimer plusieurs personnes en même temps. A contrario, dieu merci, certains hommes disent se reconnaître dans ce personnage. Je pense que le thème de l’infidélité est universel, il y a des gens pour qui le mariage fonctionne très bien et d’autres qui se traînent toute leur vie le boulet de désirer plusieurs personnes en même temps. Pour moi, c’est une question de personne, pas de genre.
Alice se pose beaucoup de questions sur son comportement…
C’est sûr, ce n’est pas juste une désirante qui consomme tout ce qui passe. Elle est très sensible et prête à se remettre en question. C’est une amoureuse lucide, sincère avec elle-même et avec les autres. Dans les films de mecs, une femme qui couche avec plus de deux hommes, c’est forcément une nymphomane. Alice n’est pas malade, c’est une personne humaine confrontée au désir. Elle n’a pas envie de faire souffrir les autres, ce n’est pas une manipulatrice.
Ton film se déroule à huis clos, sur un bateau, avec quasiment que des hommes. C’était un cadre absolument idéal pour soumettre ton personnage à la tentation, non?
C’est énorme, évidemment. Dès que j’ai commencé à écrire le scénario, j’ai pris conscience de ce truc génial: qu’est-ce que chacune d’entre nous ferait si elle se retrouvait en mer avec quinze mecs, dont l’ex de notre vie, et que personne n’en saurait rien? C’était une vraie aubaine. Mais je pense aussi que cette histoire est assez universelle pour dépasser le cadre maritime.
Ariane Labed et Melvil Poupaud © Pyramide distribution
Tu filmes les hommes de manière très nuancée, on est loin des clichés du cocu, de l’amant, du mari jaloux etc… Comment as-tu conçu les rôles masculins?
Les hommes que je filme, je les trouve tous très beaux. Même ceux avec qui elle ne couche pas. J’avais envie d’offrir à chacun, même aux tous petits rôles, un personnage nuancé et complexe. J’ai été fascinée par les hommes de ce milieu que j’ai rencontrés pendant la préparation, étonnée moi-même par leur délicatesse, et j’avais envie de leur rendre hommage.
Tu as tout de même écrit un mini-rôle de salaud…
Oui! Mais on a fait exprès de prendre un mec très beau. Parce que ce sont les pires! (Rires.) Un mec qui se croit beau et invincible ne se remet jamais en question. Les ignobles violeurs que tu vois venir à trois kilomètres sont rares, c’est de la littérature. Les pires sont ceux dont on ne se méfie pas. Ce personnage vient d’une anecdote réelle, que m’a racontée mon amie. Un mec est rentré dans sa cabine et lui a enlevé sa culotte. Elle s’est rendu compte après coup que le mec faisait ça avec toutes les filles de la compagnie. Mon rêve, c’est que le mec en question voie le film et se sente misérable.
“C’est toujours un fantasme, pour une réalisatrice, de révéler une actrice.”
Ariane Labed a obtenu le prix d’interprétation féminine au festival de Locarno pour ce rôle. Comment l’as-tu choisie?
Pendant l’écriture, je n’ai pensé à aucune actrice, car j’avais mon amie en tête. Finalement, la première personne que j’ai castée, c’est le bateau. C’était tellement difficile de trouver un décor que ce n’est que quand je l’ai enfin trouvé que je me suis dit ‘oh merde il faut des acteurs!’ (Rires.) J’avais quand même fait une toute petite liste dans laquelle figurait Ariane Labed, que j’avais vue dans Attenberg. Elle n’était pas très connue du public français et je trouvais ça assez fort. D’abord, parce que c’est toujours un fantasme pour une réalisatrice de révéler une actrice, mais aussi parce que, pour ce rôle où elle devait enfiler le bleu de travail et descendre dans la salle des machines, c’était important qu’on y croie, qu’on n’aie pas en tête l’image d’elle dans un autre rôle.
Toi aussi, tu es parfois actrice. De quel côté de la caméra te verra-t-on prochainement?
Je n’en sais rien. Si j’ai de la chance, on me verra de l’autre côté car j’adore être actrice, ça m’excite beaucoup. Quand j’étais étudiante en cinéma, j’étais au conservatoire en parallèle et on me disait souvent qu’un jour, je devrais choisir. On ne peut pas dire que j’ai très bien mené ma carrière d’actrice, je n’ai jamais eu de grand rôle, mais j’adore ça. Et ce que j’aime en tant que réalisatrice, c’est le fait de maîtriser un projet. Bref, je ne veux pas choisir. Je suis comme Alice, je veux tout! (Rires.)
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski
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