En 2013, plus de 7000 hommes ont été victimes de violences de la part de leur conjointe ou ex-compagne. Une réalité inaudible tant elle est instrumentalisée par les masculinistes d’un côté, et ignorée des féministes de l’autre. Enquête.
“Pendant sept ans, j’ai été victime de violences conjugales de la part de ma compagne”, témoigne Olivier, un ingénieur de 48 ans. Sa silhouette massive se tasse et son regard, derrière des lunettes strictes, se fait inquiet tandis qu’il raconte. “Au début, tout allait bien et puis, à la naissance de notre premier enfant, ça a basculé: elle a commencé à devenir très agressive, à m’insulter pendant des heures, pour elle, j’étais un bon à rien.”
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Aux violences psychologiques succèdent des violences physiques. “Elle m’a mordu, j’ai pris plusieurs fois des coups pour protéger mon fils et vers la fin, elle a tenté de me tuer en m’étranglant.” Cette fois-là, il décide d’aller porter plainte. Au commissariat, les policiers ont d’abord du mal à le croire -“Ils m’ont demandé pourquoi je ne m’étais pas défendu”- et finissent par lui conseiller de retirer sa plainte puisque sa femme, à l’époque, allaite leur deuxième enfant. Olivier raconte les nuits sans sommeil, le harcèlement quotidien, l’épuisement, le déni, l’incompréhension des proches et cette “impression étrange d’être comme anesthésié”. Il parle de cet amour qui lui a fait accepter le chaud et le froid, les baisers qui succèdent aux coups, les excuses et promesses aux insultes. “Et puis, un jour, j’ai compris que ça ne s’arrangerait jamais et j’ai trouvé la force de partir.”
25 hommes sont morts en 2013 suite à des violences conjugales.
Comme lui, 7136 hommes en France ont été victimes en 2013 de violences volontaires non mortelles de la part de leur compagne ou ex-conjointe, selon le rapport annuel de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP). Soit environ 10% des cas de violences conjugales, les victimes étant à près de 90% des femmes. Cette étude révèle aussi que sur les 146 décès dûs aux violences conjugales, 25 étaient des hommes. “Un chiffre qu’il faut tempérer, car dans 1 cas sur 3, ces hommes étaient eux-mêmes connus des service de police pour des faits de violence”, précise Valerio Motta, conseiller presse et communication du ministère des droits des femmes.
Une nuance qui ne change rien à ce constat: les hommes aussi sont victimes de violences, autant psychologiques que physiques. Pourtant, personne n’en parle. Sur Internet, quelques articles rédigés à l’occasion de la journée contre les violences faites aux femmes abordent la question plutôt mollement. En France, contrairement à la Suisse, au Royaume-Uni ou au Canada qui se sont emparés du problème, il n’existe aucune campagne de prévention, étude spécifique ou infrastructure pouvant accueillir ces hommes. Si la violence contre les femmes est encore taboue, elle est au moins dénoncée comme telle. Pour les hommes qui la subissent, ce tabou n’est pas même nommé dans l’espace public.
“La question est inaudible. D’une part, il y a un discours masculiniste qui se sert des hommes battus pour critiquer de façon virulente les femmes. D’autre part, les féministes ne sont pas enclines à défendre l’existence d’un masculin agressé, et non agressif, craignant vraisemblablement que cela nuise à la cause des femmes”, analyse l’historien Christophe Régina, auteur d’un essai intitulé La violence des femmes. Histoire d’un tabou social.
Le glissement masculiniste
Il suffit d’ailleurs de tendre l’oreille quand Olivier Bésida témoigne pour sentir le glissement vers ce discours masculiniste, c’est à dire anti-femmes, évoqué par Christophe Régina. “En réalité, les hommes sont à peu près autant victimes de violences conjugales que les femmes, c’est 50/50 mais c’est une réalité cachée”, lance-t-il. Face aux statistiques, il secoue la tête, agacé et éructe: “Oubliez, oubliez tout ce qu’on vous a raconté, ce n’est pas vrai.” Selon lui, les mesures et campagnes du gouvernement contre les violences faites aux femmes ne reflètent pas une réalité mais “une raclette électorale pour attirer les femmes puisqu’elles sont plus nombreuses à voter aux élections”. Il enchaîne: “Une bonne partie d’entre elles portent plainte pour violence conjugale mais environ la moitié mentent.” Quand bien même elles ont des bleus, “puisqu’elles ont très bien pu se les faire elles mêmes, c’est fréquent, surtout pour avoir la garde des enfants”.
Discours violent et paranoïaque d’un homme marqué par ce qu’il a subi? Peut-être mais voilà, Olivier ne témoigne pas qu’en son nom. Il est aussi le vice-président de SOS Papa, une des deux associations françaises, avec SOS Hommes battus, à défendre les hommes en difficulté. Et sur leur site, on découvre que sa position est loin d’être marginale. Dans un post datant de décembre 2014, l’association, qui revendique 15000 adhérents, cuisine à sa sauce les chiffres officiels des violences conjugales. Pour arriver à prouver que 40% des tués sont des hommes, elle rajoute au nombre des victimes les 54 auteurs de violences qui se sont suicidés après avoir tué leur femme. Étrange rapprochement. Tout aussi problématique, le compte Twitter officiel de SOS hommes battus. Aux côtés de tweets tels que “Une femme n’a pas plus le droit de frapper un homme qu’un homme de frapper une femme”, on trouve des messages tendancieux comme “Dès qu’une femme tue son enfant, les journalistes lui trouvent de bonnes raisons” ou bien “Triple infanticide… Encore une pauvre femme maternelle et douce…” Difficilement joignable et méfiante, l’association s’emploie à tweeter tous les faits divers où une femme est l’auteure d’actes violents (viols, pédophilie, agressions, meurtres) et commente les décisions de justice qu’elle trouve anormalement favorables aux femmes.
“C’est quelque chose de très, très minoritaire contrairement aux violences masculines, véritable phénomène de masse.”
“Malheureusement, les hommes battus par des femmes sont instrumentalisés par des causes anti-féministes, l’idée étant d’expliquer que ces violences sont la preuve qu’il n’y a pas de domination masculine, voire que le pays est maintenant dirigé par des femmes écrasant les hommes”, estime Anne-Cécile Maifert, l’une des porte-parole de l’association Osez le féminisme. Au téléphone, la jeune femme semble d’abord gênée par le sujet, voire suspicieuse. “Il faut faire très attention avec ce sujet.” Comme si le simple fait d’aborder les hommes victimes de violences remettait en question celles faites aux femmes. “On ne nie pas que cela existe mais on tient à rappeler, et c’est nécessaire vu l’instrumentalisation, que c’est quelque chose de très, très minoritaire contrairement aux violences masculines, véritable phénomène de masse.” Pour elle, comme pour Françoise Brié, la directrice de l’association Escale, un centre d’accueil pour les femmes victimes, il est hors de question de mener des campagnes de prévention mixtes, pour femmes et hommes battus. “Ce n’est absolument pas comparable, il ne faut pas faire de parallèle.” De la même façon, Anne-Cécile Maifert repousse l’idée selon laquelle les hommes pourraient, eux aussi, souffrir des clichés véhiculés par la société. “Il n’y a aucun souci de ce côté”, assure-t-elle.
L’homme battu, une figure inenvisageable
Et pourtant, il suffit d’évoquer la question des hommes violentés en public pour comprendre que ces clichés existent bien. Entre les petits sourires amusés des mecs -“Moi, ça me dérangerait pas d’être au corps-à-corps”-, la gêne, la surprise -“Mais comment c’est possible?”- et le classique “Pourtant, un homme ça peut se défendre”, on comprend vite que la figure de l’homme battu est presque inenvisageable. Pour Samira Meziani, avocate, “c’est justement le cœur du problème”. Selon elle, entre les messages “excessifs” comme ceux de SOS Papa et l’idée, bien ancrée dans notre société, que la femme est victime et non bourreau, la violence contre les hommes ne semble même pas crédible. Au point d’entraîner parfois des injustices. Elle raconte: “J’ai défendu un client qui avait été poignardé par sa femme, elle a écopé de 8 mois avec sursis et n’est finalement pas allée en prison; pour un homme, la peine se serait comptée en années.”
“Il existe bien d’autres Nabilla même si on ne sait pas combien.”
Pour Nabillla Benattia, accusée d’avoir poignardé son compagnon, Thomas Vergara, la justice n’a pas été aussi clémente. La star de téléréalité a été incarcérée 5 semaines pour tentative de meurtre et violences volontaires aggravées sur son compagnon. Si la présomption d’innocence est encore de rigueur, cette affaire est symptomatique, d’après Roland Coutanceau, président de la Ligue française de santé mentale. L’auteur de Amour et violence, le défi de l’intimité résume ainsi: “Lui se prend un coup de couteau, on apprend qu’il y aurait eu un précédent cet été, mais rapidement l’explication qui émerge dans les médias, c’est qu’il la battait.” Évidemment, continue ce psychiatre, il est normal d’être suspicieux, vu l’ampleur des violences faites aux femmes, mais on ne doit pas oublier qu’ “il existe bien d’autres Nabilla même si on ne sait pas combien”.
Si on ne sait pas non plus combien d’hommes exactement souffrent de violences -comme pour les femmes, les statistiques sont inférieures à la réalité- ils se heurtent à un manque criant de structures adaptées. “J’ai vu pas mal de mes clients rejoindre les deux associations qui existent et en revenir parce qu’ils ne se reconnaissent absolument pas dans ces discours excessifs”, affirme Samira Meziani. Elle insiste, “la majorité des hommes battus sont plutôt des gentils, un peu naïfs, coincés dans une grande solitude”. Selon Roland Coutanceau, une importante étude nationale est en cours sur les victimes de violences psychologiques, dont les résultats, attendus prochainement, pourraient bien révéler “l’existence de ce phénomène chez les hommes”. Et peut-être enfin, faire entendre leurs voix.
Pauline Leduc
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