Après dix-sept ans à Canal+, Bruce Toussaint prend les commandes de la matinale d’Europe 1. Cet enfant de la télé rêvait depuis toujours de faire de la radio.
Du midi au petit matin, des sunlights d’un plateau géant à la pénombre d’un studio fermé, du sourire vu au rire entendu, de Canal+ à Europe 1… Bruce Toussaint opère le déplacement le plus osé et le plus exposé de la rentrée des vedettes du PAF. Ce décentrage a valeur de défi. Se réveiller à trois heures du matin, seul dans la nuit, pendant que dame et enfants dorment, commenter l’actualité dans la joie et la mauvaise humeur de l’information, convaincre les auditeurs rétifs aux longs tunnels de pub, ajuster le point d’équilibre entre rigueur journalistique et fraîcheur divertissante : le boss Toussaint mesure les difficultés qu’il va affronter dès le 22 août.
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Un matin de juillet, on le retrouve dans un bar de la rue François Ier à Paris, son nouvel antre. Chaleureux et enjoué – même si quitter Canal fut pour lui un crève-coeur -, à peine refroidi par l’ampleur de la tâche qui l’attend, il ne cache pas la nostalgie qui affleure dans son regard. Il a conscience que sa blessure n’est que celle d’un orphelin gâté et gavé aux honneurs par une chaîne dont il fut durant dix-sept ans « le fils préféré ».
De Pierre Lescure à Rodolphe Belmer en passant par Xavier Couture, il s’est fait apprécier de tous les patrons de la chaîne cryptée dont il connaît parfaitement les circuits et les entrailles. Il a presque tout fait sur Canal depuis le jour où il y est entré, en 1994 : la présentation des JT, notamment sur la chaîne d’info I-Télé, les animations de magazines (Tout le monde il est beau…, Breaking News), d’émissions d’info (La Matinale, L’Edition spéciale), de jeux (le News Show)…
« Quitter Canal a été une décision difficile à prendre, avoue-t-il. Cela m’a valu quelques nuits blanches et beaucoup de tension. Tout allait bien à Canal, tout était tracé, on misait beaucoup sur moi, je n’étais pas du tout fâché. C’est pour cela que ma décision a été brutale, pour eux comme pour moi. J’ai un peu l’impression de quitter mes parents. »
Est-ce une question d’âge (37 ans) ? L’envie de bouger ? De se mettre en première ligne de l’arène médiatique dans la perspective de 2012 ? De nourrir son narcissisme gourmand, en se faisant écouter par environ 3 millions et demi d’auditeurs (70 % de l’audience totale de la station) plutôt que regarder par quelques centaines de milliers de téléspectateurs ? Bruce assure qu’il avait simplement « envie de faire autre chose, de changer pour changer, comme un défi personnel ». Tout en reconnaissant que Canal ne lui « promettait rien, à part l’amour éternel ».
« Il n’y a jamais eu de discussion sur une succession possible de Denisot par exemple, contrairement à ce qu’a dit la rumeur. » Il devrait quand même refaire de la télé, sur France 2. Mais plus que tout, c’est « l’amour de la radio et d’Europe 1 en particulier » qui l’a poussé à répondre positivement à la proposition de la station, convaincue par des études « quali » auprès des auditeurs le mettant en tête, avec Yves Calvi, des animateurs préférés des Français.
« La radio est pour moi le média le plus noble, j’aime le mystère des voix, la proximité avec l’auditeur. »
Bruce Toussaint a découvert le journalisme par la radio. « J’ai connu ma première expérience professionnelle à O’FM après mon bac. » Il se souvient, lycéen à Marcoussis, dans l’Essonne, avoir assisté à l’enregistrement de l’émission de Stéphane Paoli, Europe midi. « J’ai été scotché par la facilité avec laquelle il racontait l’info. J’avais l’impression qu’il me parlait à moi. » De cette manière de créer une proximité avec le public, il se veut un héritier à la hauteur. D’autant plus que, selon lui, « l’histoire d’Europe 1 est assez proche de celle de Canal, par le persiflage et l’irrévérence » – même si on peut lui objecter qu’en termes d’irrévérence, on a vu mieux que, au hasard, les interviews d’Elkabbach.
Aujourd’hui, Denis Olivennes et la directrice de la rédaction Arlette Chabot comptent sur sa bonhomie, sa curiosité et sa rondeur pour booster l’audience des matins un peu atteints d’Europe 1.
« Etre sérieux sans se prendre au sérieux, raconter l’actualité de manière polie et chic, c’est cela mon projet. J’ai toujours voulu développer le populaire chic. »
Sa recette repose sur la puissance d’une escadrille de chroniqueurs. Sur le versant de l’info, on retrouvera, en plus de l’entretien d’Elkabbach, une interview actu par Toussaint lui-même à 7 h 45, un billet sur l’actualité internationale par Alexandre Adler à 8 h 10, des chroniques politiques différentes chaque jour (Olivier Duhamel, Catherine Nay, Roger Cohen…).
Côté légèreté, on mobilise les poids lourds : Laurent Ruquier pour un billet à 7 h 55, Nikos Aliagas – « un ami » – pour une interview people à 8 h 35 (« le moment Paris Match de la matinale ») et l’éternel Nicolas Canteloup à 8 h 45.
« L’idée générale est de faire un journal parlé de 7 h à 9 h 30. Je veux qu’on parle plutôt qu’on lise, je veux des dialogues plutôt que des chroniques, quelque chose de moins formaté. Il faut casser la mécanique trop huilée de la matinale. »
Séparé de ses anciens complices de Canal, il voudrait recréer « l’esprit de bande » de ses riches années télévisuelles. Avec Julie, voix historique des matins d’Europe 1, Alexandre, Nicolas, Nikos et les autres, le nouveau « street band » de Bruce aura besoin de son souffle galvanisant pour solidifier un ensemble bariolé. Avec Toussaint, tout est possible, y compris écouter Europe 1 le matin.
Jean-Marie Durand
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