Le compte Twitter So Sad Today est devenu en quelques années la référence d’une génération qui n’a plus peur de parler de santé mentale et de dépression. Son autrice, Melissa Broder, en a tiré un recueil de textes qui vient d’être traduit en français.
On la reconnaîtrait entre mille avec son look de Californienne, l’État dans lequel elle vit depuis maintenant cinq ans, à Los Angeles précisément. Totalement anonyme il y a encore quelques années, Melissa Broder s’est fait connaître grâce à son compte Twitter intitulé So Sad Today, créé en 2012 pour partager ses pensées les plus sombres, entre authenticité, second degré et humour noir. Pendant trois années, celle qui est alors chargée de relations publiques pour une grande maison d’édition se cache derrière un pseudo: ce n’est qu’un an avant la sortie aux États-Unis de son recueil de textes éponyme qu’elle décide de révéler son identité au magazine Rolling Stone. Après la validation de célébrités comme Katy Perry, c’est celle du public qu’elle reçoit, ses followers s’identifiant à son histoire, à sa dépression et à ses crises de panique.
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Si triste aujourd’hui
C’est désormais en Français que son livre s’apprête à être publié le 24 janvier. Il s’agit de “la traduction la plus excitante de toutes” selon Melissa Broder, qui aime Paris et en particulier ses cimetières. Peut-être à cause de son intérêt pour la mort, à laquelle elle pense souvent. “Je n’ai pas peur de la mort, mais j’ai peur de mourir”, nous confie-t-elle. Cette facilité à parler des choses qui font habituellement peur aux gens a sans aucun doute contribué à son succès. Même si elle admet que parler de sa dépression et de son anxiété à des inconnus n’a jamais été “évident”: “Pour n’importe qui, ça demande du courage de parler de ces thématiques, et c’est aussi pour ça que quand j’ai commencé le compte, j’étais anonyme. Aujourd’hui, en étant connue, ça ne va pas toujours de soi de personnifier une telle maladie.”
“Il faut arrêter de voir les maladies mentales comme quelque chose de forcément malheureux.”
En 2019, pourtant, la santé mentale est devenu un sujet moins tabou, notamment grâce à des séries comme Crazy Ex-Girlfriend ou This is Us. Nombre de médias se sont aussi emparés du sujet, après que la parole s’est libérée sur les réseaux sociaux, portée par une génération qui ne veut plus se cacher. Dès 2012, Melissa Broder a ainsi démocratisé le fait d’en parler, mais aussi d’aborder le sujet avec du recul et de l’humour. Un ton bien à elle qui a su séduire le média Vice, qui lui ouvre ses colonnes depuis 2014. “L’humour est ma distance”, aime-t-elle répéter. L’humour, oui, mais aussi la noirceur qui va de pair avec la maladie. Son oeuvre se caractérise par sa capacité à livrer ses émotions, même les plus difficiles à transmettre. Elle y parle de ses addictions à l’alcool et à la drogue, de ses amours tumultueuses ou de ses troubles alimentaires.
Dans son livre, les titres de chapitres reflètent ce second degré qui est sa marque de fabrique, comme “L’art de ne jamais être à la hauteur”, “Je veux me remplir complètement tout en restant mince”, “Aime comme si tu essayais de combler un vide existentiel sans fond avec quelqu’un qui s’y noiera”, “Si t’es fier d’entendre des voix qui veulent ta mort, tape dans tes mains”, ou encore “Gardez vos amis près de vous et votre anxiété encore plus près”. Autant de titres dans lesquels des milliers de personnes se reconnaissent, même si ce recul l’a surtout aidée, elle. Si elle reçoit tous les jours des centaines de messages, Melissa Broder tient à préciser qu’elle n’écrit pas “pour sauver les gens”, mais pour se sauver elle-même avant tout.
Dépression quand tu nous tiens
Quand on lui demande comment elle va (vraiment) après tout ce succès, elle nous répond en souriant qu’elle va bien depuis son arrivée à Paris, et précise que “si les gens voulaient vraiment savoir comment on allait, on ne poserait jamais cette question”. Aujourd’hui, elle s’estime dans une période “heureuse”, mais insiste sur le fait que ça ne veut pas dire grand-chose. “J’ai toujours eu des moments de bonheur, en même temps que des moments de douleur et des pensées sombres qui m’empêchaient de m’exprimer, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai commencé le compte.” Et d’ajouter qu’il faut “arrêter de voir les maladies mentales comme quelque chose de forcément malheureux”: “Les gens me disent parfois que je suis super souriante, mais on n’est pas obligé d’être malade et de ne ressembler à rien. La joie et la dépression ont toujours été pour moi deux univers qui cohabitent. La vie est comme ça, on peut se sentir bien à un moment et mal celui d’après, c’est un cycle.” Depuis la publication de So Sad Today, ses attaques de panique ont diminué, avec la découverte de la méditation, et la publication de The Pisces, une histoire d’amour entre sirènes qui sera publiée en France en 2020, fiction qu’elle n’aurait jamais pensé écrire un jour, la prose n’étant pas son “dada”.
“Sur Instagram, tout le monde essaye de montrer que sa vie est incroyable.”
Elle n’évoque jamais son âge, avançant qu’elle ni trop vieille, ni trop jeune, mais ce qui est sûr, c’est que les temps ont changé depuis son adolescence à elle, où les pensées suicidaires la malmenaient. Entre-temps, parler de ces sujets est devenu à la mode, mais elle, ça ne l’intéresse pas: “Oui la santé mentale est désormais ‘tendance’, c’est arrivé au féminisme, et de manière générale à la justice sociale, au bien-être, à tout. Tout se transforme en produit, mais moi je continue à faire mon truc sans me soucier de ça, je sais pourquoi je le fais.” Lorsqu’on lui demande si notre génération paraît condamnée à être dépressive, elle avance qu’“elle ne l’est pas plus que celle d’avant, ni celle d’après. La vie a toujours été de la merde.” Quant aux réseaux sociaux, elle “déteste” Instagram, même si elle a un compte. “J’ai l’impression que tout le monde essaye de montrer que sa vie est incroyable, ce qui demande trop de travail. C’est tellement facile de se comparer et de croire que sa vie à soi est totalement nulle.” Twitter, le réseau qui l’a propulsée sur le devant de la scène, est davantage son truc. “J’aime Twitter, parce que même s’il y a des images, c’est principalement des mots et je n’ai pas besoin d’être belle. Je peux être en pyjama dégueulasse et ne pas penser une seule seconde à mon physique.” Avec So Sad Today, Melissa Broder nous rappelle que se livrer, que ce soit sur Internet ou ailleurs, c’est parfois commencer à soigner ses maux.
Jennifer Padjemi
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