Symbolisée dans l’imaginaire commun par la déchirure de l’hymen, un saignement et des douleurs, la “perte de virginité” repose sur un bon nombre d’idées reçues, fruits de notre société patriarcale. Nous avons rencontré quelques spécialistes qui nous expliquent pourquoi mystifier la “première fois” est absurde.
“La première fois est unique: on s’en souvient généralement toute sa vie”, “Dans la vie d’une femme, il y a plusieurs étapes importantes: les premières règles, le premier baiser et évidemment, la première fois”, “Il est normal d’avoir peur de faire l’amour pour la première fois: c’est un moment essentiel dans la vie sexuelle d’une femme.” Voilà le genre d’affirmations publiées çà et là par des magazines féminins, et destinées aux jeunes -ou moins jeunes- internautes sur la toile. De quoi mettre un bon coup de pression à celles qui n’ont pas encore franchi ce sacro-saint cap qu’a l’air de représenter la première pénétration du vagin par un pénis. Car c’est bien cette définition qu’adopte généralement l’imaginaire commun lorsqu’il s’agit d’aborder la question de la “perte de la virginité”.
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Pourtant, si l’on y réfléchit bien, bon nombre de femmes ne se reconnaissent pas dans cette description. “Je suis encore vierge pour beaucoup de monde”, plaisante ainsi Asma*. L’étudiante de 22 ans situe plutôt bien sa première fois: “J’avais 17 ans, c’était un rapport sexuel basique entre filles, avec caresses, bisous, cunnilingus,… C’était l’inconnu: un corps nu devant moi, que j’apprenais à connaître.”
“Je préfère me rappeler ce moment-là comme étant ma première fois, plutôt que le premier mec qui m’a doigtée en soirée quand j’avais 16 ans.”
Perte de virginité rimerait alors avec premiers actes sexuels et intimité? Pas si sûr, si l’on en croit Florence*, 25 ans. Active sexuellement depuis l’adolescence, la jeune femme, atteinte d’une forme de vaginisme, a essayé à plusieurs reprises d’avoir un rapport avec pénétration par pénis avec des hommes, et y parvient à 20 ans avec son copain de l’époque. Une première fois “progressive”, étant donné que son partenaire avait déjà introduit son sexe “partiellement” en elle, avant de le retirer lors de précédentes relations sexuelles. “Je préfère me rappeler ce moment-là comme étant ma première fois, plutôt que le premier mec qui m’a doigtée en soirée quand j’avais 16 ans, explique t-elle, sans pour autant sacraliser la chose. Il n’y avait pas de roses sur le lit, ni de bougies partout. Nous essayions depuis un moment, c’est arrivé comme ça aurait pu se passer un jour, une semaine, un mois plus tôt ou plus tard.”
Première pénétration digitale? Première intimité partagée? Premiers va-et-vient? Première masturbation? Au fond, y a t-il un sens à parler de première fois et de virginité, deux concepts particulièrement fliqués chez les femmes dans notre société?
Hymen intact: un gage de virginité?
“Les jeunes auprès desquel·le·s j’interviens sont parfois persuadé·e·s qu’il existe des signes très visibles qui permettent d’identifier si une fille est active sexuellement ou non.” Dr. Kpote est animateur de prévention dans les établissements scolaires, chroniqueur pour Causette et auteur de Génération Q. Au fil de ses visites dans les lycées et collèges, il a pu entendre pas mal de préjugés sur la virginité, qui “évoluent en fonction de la mode du moment”. “Le comportement des filles est hyper-surveillé, suivi, scruté. On m’a déjà dit qu’en prêtant attention à la façon dont certaines d’entre-elles marchent, en constatant l’espacement entre leurs cuisses ou la prise de poids au niveau de leurs fesses, on pouvait conclure qu’elles avaient, ou non, déjà couché”, rapporte-t-il.
“Il existe autant de types d’hymens que de vulves.”
Plus commune que la suspicion liée à l’attitude et à la manière de se tenir, c’est souvent l’état de l’hymen qui fait office de gage de virginité. À tel point que certaines patientes de la gynécologue Laura Berlingo s’interdisent d’utiliser des tampons de peur de déchirer cette membrane qui sépare partiellement la cavité vaginale de la vulve. Une aberration pour la professionnelle, qui explique qu’aucun·e médecin ou partenaire sexuel·le ne peut définir si une personne a déjà été pénétrée en observant son hymen. La raison? “Il existe autant de types d’hymens que de vulves. Certains sont plus ouverts que d’autres, ont de petites brides, de petits trous ou non, ils sont plus ou moins fibreux, plus ou moins élastiques… Un hymen peut être déchiré par la pratique d’une activité physique comme la danse ou le cheval, élargi par l’utilisation de cups ou tampons, ou ne pas se rompre lors d’une pénétration par pénis, mais uniquement se détendre.” Exit, donc, le mythe du sexe masculin qui certifierait l’entrée d’une femme hétéro ou bie dans le grand bain de la sexualité en ouvrant l’accès à son vagin -d’autant plus injustifié que si l’hymen fermait complètement la cavité vaginale, le sang des règles ne s’en écoulerait pas.
Sang et douleurs: bien pratique pour les hommes paresseux
Quid, alors, du sang –chez 60% des femmes– et des douleurs –chez 35% d’entre elles– qui viennent fleurir le champ lexical de la “première fois”? Si le premier élément peut effectivement découler d’une rupture de l’hymen -une muqueuse qui, au même titre que les gencives lors d’un brossage de dents trop appuyé, peut saigner, sans provoquer de douleurs-, le second n’a rien à voir avec la membrane. “La plupart du temps, c’est le stress et l’appréhension qui provoquent des douleurs, analyse Laura Berlingo. Ils causent parfois un manque de lubrification, ou une contracture des muscles du périnée, qui entourent le vagin et l’anus, ce qui empêche ou complique la pénétration.”
“Si le premier rapport fait toujours mal, ça permet de ne pas s’embêter à penser au dosage, ou aux conséquences de ses actes.”
Ce cercle vicieux -l’angoisse d’un rapport douloureux provoque des réactions physiques qui peuvent effectivement rendre la première pénétration par pénis pénible- semble symptomatique d’une société patriarcale. “Les idées reçues concernant la sexualité en général, et les femmes en particulier, servent toujours à maintenir un statu quo favorable aux hommes hétéro paresseux, relève ainsi l’autrice et chroniqueuse Maïa Mazaurette. Si le premier rapport fait toujours mal, cela permet de ne pas s’embêter à penser au dosage, ou aux conséquences de ses actes. Si l’hymen doit être intact, ça donne une feuille de route qui n’est pas compliquée à suivre, et ça empêche les femmes potentiellement vierges de comparer les compétences des hommes -donc de les choisir. Il y a un bénéfice direct.” Une affirmation que l’expérience de Florence* confirme. La jeune femme s’est interdit d’évoquer le sujet de la sexualité pendant des années: “Je ne me sentais pas légitime en comparaison avec mes ami·e·s, qui avaient pourtant eu moins d’expériences sexuelles que moi, mais qui avaient déjà été pénétrées par un pénis, et avaient donc vécu ce qu’on appelle la première fois.”
En finir avec la notion de virginité?
Autocensure, douleurs, sacralisation… Autant de maux qui gravitent autour des notions -pourtant indéfinissables pour beaucoup- de première fois et de virginité. “Parler de perte de virginité n’a pas de sens, intellectuellement comme physiquement”, insiste ainsi Laura Berlingo. L’emploi du verbe “perdre” pour désigner la première expérience sexuelle des femmes, et d’elles seules, est quant à lui “absurde” d’après Maïa Mazeurette. “Imaginez si, quand un enfant apprend à compter ou écrire, on disait qu’il perd sa pureté, compare-t-elle. Confondre ignorance et innocence, c’est déjà limite. Mais faire du savoir ou de l’expérience un défaut, c’est carrément de la manipulation. Personnellement, je n’ai pas plus perdu ma virginité que je n’ai perdu mon illettrisme!” Pour Dr. Kpote, c’est toute la passivité associée à la sexualité féminine qu’il faut déconstruire: “Les élèves, masculins et féminins, que je rencontre, ont tendance à utiliser des expression du genre ‘elle s’est fait baiser’… J’essaye de leur apprendre que les femmes et filles sont, elles aussi, actrices de leur sexualité.”
Lorsqu’on lui demande sa définition de la virginité, il botte en touche: “Chacun a la sienne, et elle peut d’ailleurs se transformer. On peut évoquer la première masturbation, les premières caresses, le premier baiser, la première fellation, le premier cunni,…” C’est pourquoi Maïa Mazaurette a décidé de ne “parler de virginité qu’au pluriel”. Elle propose d’introduire dans ce concept une “notion de trajectoire” pour éviter la “vision on/off de l’accès à la sexualité, qui nie la sexualité des enfants et la capacité d’évolution des adultes”. Pour la jeune femme, la “binarité vierge/pas vierge” appartient au passé, tout comme celle de femme/homme ou hétéro/homo. Et de conclure, non sans humour: “Nous sommes en 2018. Notre cerveau est parfaitement capable de compter au-delà de deux. Il faut juste créer le paradigme culturel adéquat et tout se passera très bien -ça ne fera même pas mal.”
Margot Cherrid
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