Charmed, Buffy, Sabrina l’apprentie sorcière… Un violent vent de nostalgie souffle sur les chaînes américaines. Des reboots de ces séries sont soit sur le point de débarquer sur nos écrans, soit en projet, et on nous les vend comme plus féministes et plus intersectionnels que jamais. Faut-il se réjouir de ce sursaut post-#MeToo ou déplorer une certaine paresse? Retour sur une tendance qui n’a pas fini de se développer.
Depuis quelques années, les chaînes jouent avec les nerfs des fans de série du monde entier en annonçant de nouveaux revivals -des nouveaux épisodes de séries arrêtées depuis longtemps-, de nouveaux reboots -nouvelle version d’une série déjà existante- et autres spin-offs -série dérivée d’un autre show. Chaque bande-annonce, chaque communiqué de presse déclenche les mêmes réactions outrées et les mêmes crises de nerfs sur Twitter. Alors, quand les showrunners s’attaquent aux souvenirs des nostalgiques de la trilogie du samedi soir (diffusée sur M6 entre 1997 et 2008), en menaçant de donner une seconde vie à Buffy ou Charmed, des héroïnes qui sont restées cultes dans la pop culture, on frôle l’émeute. Cette tendance qui consiste à surfer sur la nostalgie de toute une génération pour proposer des reboots et autres revivals ne date pas d’hier. Mais elle a nettement eu tendance à s’emballer ces dernières années avec le retour de Gilmore Girls, de La Fête à la maison ou de Beverly Hills. Côté reboots, les studios ont de nombreux projets. Charmed et Sabrina l’apprentie sorcière (retitrée Les Nouvelles aventures de Sabrina) débarquent respectivement sur The CW le 14 octobre et sur Netflix le 26 octobre.
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Les chaînes de télé auraient-elles décidé de nous faire retomber en adolescence? “Tout le monde dans le business sait que la nostalgie fait vendre”, nous explique Kathleen Loock, docteure de l’université libre de Berlin qui s’est penchée sur la question des reboots et des revivals pour la revue Television & New Media. À l’heure où la compétition fait rage entre les chaînes traditionnelles et les services de streaming (Netflix, Hulu, Amazon…), les reboots garantissent des articles dans la presse et des débats enflammés sur les réseaux sociaux. De la publicité gratuite et efficace. “Les revivals et les reboots sont comme un mix d’ancien et de nouveau”, continue Kathleen Loock. “Les spectateurs peuvent prendre du plaisir à reconnaître des personnages et des histoires qu’ils connaissent déjà, mais l’attrait principal reste de voir comment ces programmes vont s’adapter dans le contexte politique et culturel actuel.”
Et justement, le contexte politique est devenu le centre de ces projets. L’un des points communs entre les reboots de Charmed et des Nouvelles aventures de Sabrina est sans conteste le positionnement féministe, qui se veut beaucoup plus clair que dans les années 90. “Charmed appartient à une tradition dont la recette est de vouloir plaire aux spectateurs ayant des sensibilités féministes tout en essayant d’attirer ceux qui souhaitent voir des femmes sexy”, nous explique Anne Sweet, autrice d’une thèse sur le Girl Power dans les séries américaines. Même si la série mettait en scène trois jeunes femmes dans un univers télévisuel majoritairement masculin, les scénarios restaient assez conservateurs, faisant la promotion de valeurs plutôt traditionnelles. “Les femmes d’action n’apparaissent pas comme trop puissantes afin de ne pas déplaire aux adhérents des discours sociaux hégémoniques”, conclut Anne Sweet. Un Charmed version 2018 permettrait donc de corriger un positionnement considéré aujourd’hui comme un peu tiède ou problématique. Il suffit de voir la liste des articles qui reprochent aujourd’hui l’objectification des trois jeunes sorcières pour comprendre que la marge de progression est importante.
Au Comic-Con de San Diego en juillet dernier, Jennie Snyder, showrunneuse de Jane the Virgin et productrice de ce Charmed nouvelle génération a voulu ménager les ancien·ne·s fans et les actrices historiques. “La version originale (NDLR: diffusée de 1998 à 2006 sur The WB) parlait déjà de la prise de pouvoir des femmes et de sororité, a-t-elle expliqué à l’époque. Je trouve que c’est exactement ce dont nous avons besoin actuellement.” Pour elle, il est important que la série, qui surfe aussi sur la popularité grandissante des sorcières auprès des féministes, parle de son époque. Elle promet donc des arcs narratifs sur la présidence de Trump, les mouvements #MeToo et Time’s Up ainsi qu’une bonne représentation LGBTQ+. Au casting, on trouve aussi trois actrice racisées, qui ont expliqué l’importance pour elles de se voir représentées à la télévision. Même promesse pour Les Nouvelles aventures de Sabrina. L’actrice principale Kiernan Shipka (Sally Draper dans Mad Men) a encouragé le showrunner Roberto Aguirre-Sacasa à ancrer sa série dans le présent en poussant le message féministe de son héroïne. La jeune sorcière utilisera donc son temps libre pour monter un club féministe intersectionnel et s’inquiètera de savoir si Satan n’est pas une énième figure patriarcale. “Ces reboots interviennent à un moment où le féminisme est très à la mode”, explique Kathleen Loock. Ce n’est pas une surprise que ces séries avec des personnages principaux féminins soient sur la liste. Dans l’environnement actuel marqué par la culture médiatique postféministe, par les célébrités féministes, par le mouvement #MeToo et l’activisme, ces séries auront un sens nouveau. Elles peuvent parler des débats actuels tout en nous montrant ce qui a changé depuis les années 90.”
“En ajoutant de la diversité à la distribution, les séries ne changent pas automatiquement leur vision blanche du monde.”
Les reboots visent aussi à se débarrasser de leurs castings composés d’une majorité d’acteurs et actrices blanches. Pour le projet autour de Buffy, qui devrait se concentrer sur une autre tueuse de vampire du même univers, la showrunneuse Monica Owusu-Breen a évoqué l’idée d’une héroïne noire. Les castings de Charmed et Sabrina suivent la même tendance en intégrant bien plus de diversité que les originales. Plus féministe, plus woke, plus inclusives: les chaînes de télé ont-elles vraiment décidé d’entrer dans une nouvelle ère? La question est loin de faire l’unanimité. Dans un texte paru sur Slash Film, la journaliste Candice Frederick a exprimé son agacement sur le simple “remplacement” d’un acteur blanc par un acteur noir. “Dans Buffy, Joss Whedon a eu sept saisons pour donner corps à un féminisme intersectionnel et pour ajouter un personnage noir complexe, badass et qui serait resté plusieurs saisons, écrit-elle. Utiliser ce reboot pour essayer de corriger cela, c’est un peu paresseux.” Au lieu de rectifier le tir sur des séries existantes, il serait plus efficace d’inventer de nouvelles histoires pour remplacer ce “white gaze”omniprésent à la télévision. “Même si leurs histoires sont considérées comme universelles, elles sont perçues comme blanches par leur casting et leur esthétique, nous explique Candice Frederick. Quand on regarde des remakes tournés avec des acteurs noirs, il est difficile de séparer cette nouvelle histoire de ses origines blanches.” Kathleen Loock nous cite à son tour un argument similaire issu du livre The Cultural Politics of Colorblind TV Casting de Kristen Warner. “Cette autrice a montré que le casting des acteurs racisés s’accompagne d’un idéalisme”, nous explique Loock. “En ajoutant de la diversité à la distribution, les séries ne changent pas automatiquement leur vision blanche du monde.”
Ces reboots ne sont-ils qu’un écran de fumée empêchant l’émergence de voix singulières qui proposeraient des histoires originales et politiques? On peut tout de même noter qu’à l’exception de Sabrina, la plupart de ces remakes ont été placés entre les mains de femmes, qui s’occupent de la production et du scénario. Faisons leur confiance et voyons si elles réussissent, dans de vieux chaudrons, à nous raconter de nouvelles histoires.
Pauline Le Gall
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