Des excès de la pop culture aux marges de Los Angeles, Jean Rolin fait de Britney Spears l’héroïne la plus romanesque de la rentrée littéraire.
En mai 2010, Jean Rolin avait déjà passé un mois à Los Angeles, pour écrire un livre mystérieux présenté comme un “texte sur Britney Spears, enfin pas vraiment…”. Il débarquait à une rencontre entre écrivains américains et français, où l’on avait eu la chance d’être invité, en racontant ses trois heures de bus pour se rendre à Calabasas, le quartier ultrarésidentiel où vit Britney Spears, où à peine avait-il allumé une cigarette qu’un habitant du lieu lui faisait remarquer les panneaux d’interdiction de fumer. Quelques jours plus tard, à la sortie tardive d’une autre de ces rencontres à la mythique librairie City Lights de San Francisco, il tombait dans un coma éthylique à la suite de l’ingestion répétée d’un cocktail à base de café au lait et de bourbon, et finit ramené et bordé par Philippe Djian à son hôtel…
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Quelques semaines après, alors qu’on était de retour à Los Angeles pour interviewer Bret Easton Ellis, autre parangon destroy de L. A., et n’y connaissant pas âme qui vive, impossible de ne pas donner rendez-vous à Jean Rolin au restaurant du Sunset Tower Hotel, connu pour être fréquenté par les stars, pensant que cela l’aiderait pour son travail. Or on n’y avait croisé personne – hormis l’étrange maître d’hôtel, un Russe blanc aux cheveux noir corbeau qui ne cessa de nous répéter : “Vous venez de rater Meg Ryan, Bob Evans, Rachel Zoe, Jennifer Aniston, Reese Witherspoon, Tom Ford…” Quelques mojitos plus tard, Rolin passait dix minutes à vaciller devant la sortie, se demandant pourquoi on l’avait fermée à clé (en fait, il suffisait de pousser la porte et non de la tirer). Un écrivain digne de son sujet : Britney, ou l’icône pop la plus trash…
Deux jours plus tard, désireux de nous faire connaître un autre lieu hanté par les stars, Rolin nous fixe rendez-vous au restaurant du Chateau Marmont : personne. Il nous entraîne alors au bar du Marmont, assourdissant de pop pénible, car Lindsay Lohan s’y rendrait tous les soirs… Hélas, elle vient de quitter les lieux. On croisera plutôt force SDF en chemin, sur un Sunset Boulevard fantomatique, comme laissé à l’abandon, mis à part ses hôtels de luxe : Los Angeles, la ville où l’on rate toujours quelqu’un, où ceux que l’on cherche semblent toujours s’évanouir au moment où l’on va les atteindre. Forcément romanesque… Avec son titre durassien, Le Ravissement de Britney Spears, nouveau roman de Jean Rolin, rend compte de ce vide et mieux, de la virtualité d’une société avide d’images mondialisées de starlettes aux existences aussi effilochées que le réel.
Lui qui a parcouru le monde comme reporter et écrivain depuis trois décennies, qui a témoigné de guerres, conflits sanglants, quartiers de Paris à la misère bouleversante (La Clôture, 2002), bref, de la gravité du monde, a choisi de se confronter à la frivolité de façade de la pop culture via son icône la plus intéressante. Sauf qu’à travers l’histoire cocasse d’un agent secret envoyé à L. A. pour sauver Britney d’un complot islamiste, c’est un roman noir ultracontemporain que signe Rolin, c’est-à-dire décalé, drôle, étayé d’une enquête quasi ethnographique, avec une blonde perdue et fatale (mais seulement à elle-même) et où l’intrigue n’est qu’un moyen de montrer une ville – la ville du noir par excellence – via ses bas-fonds, ses marges, ses populations souterraines. Entretien à Paris, un an après nos entrevues à Los Angeles, autour d’un défi littéraire réussi.
Quelle était votre envie de départ ? Ecrire autour de Los Angeles ou de la pop culture ?
Jean Rolin – Au départ, c’est très nettement mon envie d’aller à Los Angeles. Tous mes livres commencent par le choix et la définition d’un territoire, de manière quasi militaire ou urbanistique : je me procure des plans, de plus en plus détaillés, j’étudie des itinéraires. On m’avait toujours présenté cette ville comme la seule où je serais incapable de faire quoi que ce soit, car c’est la ville de l’automobile et que, ne sachant pas conduire, je serais dans l’incapacité de m’y déplacer. Ce qui témoigne de manière assez cocasse de la relative homogénéité sociale des gens qui me tiennent ce genre de propos, puisqu’en réalité les pauvres de L. A. se déplacent en transports en commun et qu’il y a un très bon réseau de transports, surtout des bus. Ma volonté première, c’était donc de trouver ma place dans un territoire dit “hostile”. Car si en général j’aime fréquenter des endroits malcommodes, là on me le présentait comme particulièrement handicapant.
A partir de quand avez-vous pensé à Britney Spears ?
Il m’a fallu définir un objectif. J’ai voulu m’attaquer à Hollywood pour me confronter à tout ce qui m’est étranger. Car j’étais vraiment d’une ignorance crasse à ce sujet avant de l’aborder. Bien sûr, je connaissais Britney Spears, impossible de ne pas la connaître. Sa musique pop n’est pas ce que je préfère, mais Womanizer peut me mettre de très bonne humeur.
Je commence à me renseigner sur son personnage et je découvre alors qu’elle a cette capacité très prononcée à se déplacer continuellement à travers Los Angeles, nuit et jour, en couvrant des distances considérables de manière absolument aléatoire. Ce trait a excité mon imagination géographique. On trouve même, dans des revues people, des articles avec des plans indiquant tous les lieux où elle s’est rendue tel ou tel jour. En plus, à l’époque, elle avait une vie extraordinairement dissolue – elle se soûlait la gueule, se défonçait, s’envoyait en l’air avec un tas de mecs – ce qui me l’a rendue très sympathique et profondément touchante. Elle sillonnait la ville pour s’arrêter dans des bars, parfois obligée d’abandonner sa voiture tellement elle était ivre, s’arrêtant trois heures dans un hôtel pour faire Dieu sait quoi ou s’achetant un truc dégueulasse à manger. Curieusement, ses itinéraires au volant de son coupé Mercedes à travers cette agglomération immense donnaient vie à cet objet inanimé qu’est une carte de Los Angeles.
Comment avez-vous travaillé autour de Britney ?
J’ai lu quelques biographies à son sujet, toutes assez débiles d’ailleurs, et j’ai constaté qu’elle avait une vie vraiment intéressante car mélodramatique : une enfance relativement pauvre, un père alcoolique, un début de carrière artistique prématuré, des efforts démentiels pour intégrer le Club Mickey (rires)… La vie de Britney est une vraie vie. Rien ne lui a été servi sur un plateau d’argent, contrairement à Lady Gaga qui, en tant que personnage, me paraît un pur artifice, la pure émanation d’un système, et ne m’intéresse absolument pas. Davantage qu’une émanation, Britney est avant tout un pilier de ce système, mais elle l’est devenue au prix d’épreuves inouïes. Ce que j’aime chez elle, c’est qu’au départ c’est une fille seule qui, même si elle s’appuie sur une armée de parasites, de tapeurs et de flatteurs, se bat pour réussir. Sa solitude me touche parce qu’elle se manifeste dans le désordre de ses amours, dans sa propension à toutes sortes d’excès, dans l’incohérence de ses démarches et dans ses trajectoires brisées à travers la ville. Il y a quelque chose de vraiment romanesque chez elle.
Parce qu’elle reste humaine, elle devient une héroïne ?
Disons qu’elle n’a rien de calculé. L’épisode quasi christique qui m’a définitivement conquis et convaincu de la sincérité de ses difficultés, de la fragilité attachante de sa personnalité, c’est l’épisode célèbre de sa tonsure. Le jour où elle empoigne une tondeuse et se rase la tête dans un salon de coiffure un peu minable de Ventura Boulevard. C’est un acte sacrificiel. Depuis un certain temps, on assiste à une surestimation de Marilyn Monroe. L’intelligentsia s’est emparée d’un coup d’une star qui lui est étrangère et en a fait son idole. Tout le monde est prêt à s’émouvoir sur la vie de Monroe, mise en scène dans certains livres qui sont d’ailleurs remarquables comme Blonde de Joyce Carol Oates ou Marilyn dernières séances de Michel Schneider. Britney ne semble pas intéresser l’intelligentsia, qui la trouve même dérisoire. Mais elle possède véritablement une part de souffrance tragique à la Marilyn. Dans cet acte de tonsure, on trouve quelque chose du geste de Van Gogh se coupant une oreille ou de Kurt Cobain se suicidant.
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