Lorsqu’on sait que 10% des femmes sont atteintes d’endométriose, c’est autant de personnes qui ratent régulièrement une journée de travail ou souffrent en silence derrière leur bureau en attendant que la douleur passe. Un handicap qui creuse encore un peu plus les inégalités envers les femmes dans le monde professionnel.
Elles auraient aimé avoir comme tout le monde une carrière professionnelle, accepter des promotions, évoluer dans leur métier. Mais l’endométriose en a décidé autrement. Quand les symptômes commencent dès les premières règles, c’est tout un parcours scolaire et étudiant qui est miné par les absences, liées à la douleur, à la fatigue, aux traitements et aux opérations. Et une fois sur le marché du travail, les choses se compliquent face à des employeurs et des collègues parfois peu compréhensifs.
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Lorsque Rebecca se reconvertit dans l’hôtellerie, après avoir travaillé 10 ans dans la vente, elle sait qu’elle ne choisit pas la facilité. Mais, après un bilan de compétences, elle estime que ce métier convient en tout point à son caractère “perfectionniste”. Elle devient alors assistante gouvernante générale et supervise le travail des femmes de chambres dans un palace sur la Croisette, à Cannes. “La première année, j’ai perdu 10 kilos. C’était une grosse structure donc je n’avais jamais d’horaires réguliers: je pouvais terminer à 15 heures, je rentrais me coucher et je me réveillais à 19h30 pour manger avant de me recoucher”, se souvient-elle. Elle ne travaille alors que sept mois par an, mais passe le reste de l’année à récupérer après une saison éreintante. Cette période coïncide avec l’annonce de son diagnostic: une endométriose de stade IV qui a formé une plaque de tissus inflammatoires de quatre centimètres à travers les intestins. “Parfois à l’hôtel, je me cachais pour ne pas être en visu des caméras, je m’accroupissais par terre car je n’en pouvais plus, et je restais assise un moment. Ensuite, il faut s’y remettre, alors on serre les dents et on y va”, raconte-t-elle.
Garder un emploi à contrecœur
Serrer les dents, Marie-Anne Mormina l’a aussi fait pendant toutes ces années où elle a travaillé à la Sécurité Sociale: “Ça ne me plaisait pas du tout, j’étais malheureuse dans cet emploi et je rentrais chez moi en pleurant. Je restais car je savais que j’avais l’assurance de garder mon emploi même après les arrêts-maladie pour être opérée ou hospitalisée. J’avais un maintien de salaire, ce qui était précieux parce qu’avec tous les problèmes de santé que j’avais, il fallait que je puisse être tranquille de ce côté.” Mais ses absences répétées ne jouent pas en sa faveur auprès de ses collègues et de sa hiérarchie. “Quand je n’étais pas là, c’est parce que j’étais malade et quand j’étais là, j’en prenais plein la figure. Aux entretiens annuels on me disait: ‘De toute façon, on ne peut pas te faire grimper. Même si tu as les capacités, ce n’est pas possible.’ Je savais très bien que j’étais plus un fardeau qu’autre chose”, affirme la quarantenaire. Et quand, pour éviter une position assise devenue “insupportable” à cause de la maladie, elle choisit d’adopter la position debout pour travailler, “des collègues se sont moqués méchamment de moi, alors que c’est ce qui me permettait de pouvoir être là”. À 40 ans, elle a passé la moitié de sa vie malade et touchera bientôt ses dernières indemnités de chômage après avoir finalement quitté ce travail détesté il y a quelques années.
“Les femmes restent dominées sur le marché du travail et la maladie chronique vient s’ajouter à ça.”
“Je ne voulais pas passer pour une victime”
Pour Anne-Charlotte Millepied, qui prépare une thèse en sociologie à l’EHESS à propos de l’endométriose, “les femmes restent dominées sur le marché du travail et la maladie chronique vient s’ajouter à ça. D’autant plus que l’endométriose est une maladie gynécologique. En sociologie, on parle d’‘étiquette menstruelle’: il est convenu de ne pas dire qu’on a ses règles notamment aux hommes et dans la sphère publique. C’est lié au féminin, donc dévalorisé et jugé comme privé”, avance-t-elle. Compliqué alors d’évoquer sans gêne sa maladie, son traitement, ses opérations, dans le cadre professionnel. La chercheuse cite l’exemple de cette femme rencontrée dans le cadre de ses recherches: “Après une hospitalisation, elle retourne travailler et son supérieur lui demande de quelle partie du corps elle s’est fait opérer. Quand elle lui répond qu’il s’agit d’une intervention à l’utérus, il apparaît très mal à l’aise.” Par ailleurs, les femmes souvent taisent ou cachent leurs symptômes qui, selon Anne-Charlotte Millepied, “remettent en cause la façade de femme forte qu’elles ont essayé de construire” au travail. Rebecca acquiesce: “On vous fait passer pour une fainéante, une paresseuse. Alors que même quand j’étais épuisée je ne voulais pas le montrer. Je ne voulais pas passer pour une victime.”
La triple journée des malades
Difficile pourtant de ne pas montrer son épuisement, quand “même après 8 heures de sommeil, j’avais l’impression d’avoir fait une nuit blanche”, se souvient Rebecca. “Dès qu’on va mieux, on n’est plus en arrêt-maladie, ce qui ne veut pas dire qu’on soit en forme pour autant. Quand j’étais shootée aux médicaments, j’avais l’esprit qui s’embrumait. Il y a eu une période où j’ai eu une opération tous les 6 mois sous anesthésie générale. Le cerveau met du temps à en sortir”, assure Marie-Anne Mormina. Pour Anne-Charlotte Millepied, “on parle déjà de double journée pour les femmes, à cause de la charge mentale. Mais pour celles qui ont de l’endométriose, c’est carrément des triples journées”, où tout le temps qui reste est consacré à récupérer pour assurer le lendemain. “Notre énergie sert soit à lutter contre la maladie soit à travailler pour faire nos preuves. Est ce qu’il y a un moment où je pourrais souffler, m’occuper de mon fils, de mon mari, faire des choses avec eux, construire des souvenirs autres que ‘maman est malade’?”, se questionne Marie-Anne Mormina.
“Si on a besoin d’être en pyjama et couchée dans notre lit pour avoir moins mal, on peut le faire avec le télétravail.”
La solution du télétravail
“Difficile d’imaginer construire une carrière: il faut trouver quelqu’un qui nous fasse confiance là où nous nous n’avons plus confiance”, estime t-elle. La solution: le télétravail, “parce que ça nous épargne les trajets et on n’a pas besoin d’être apprêtée. Si on a besoin d’être en pyjama et couchée dans notre lit pour avoir moins mal, on peut le faire”. Elle-même travaille la nuit sur son blog Alter Endo. “Les gens se disent que ça va, ça fonctionne mais il faut voir dans quelles conditions”, rappelle-t-elle. Marie-Sophie Germain, journaliste, a réussi à mettre en place ce système pour continuer à travailler car “impossible de subir le métro-boulot-dodo habituel”. Elle écrit de chez elle au Danemark, et s’est mise à l’illustration digitale. Un compromis sur ses rêves de carrière: “Je n’ai pas pu évoluer comme je l’aurais voulu, voyager pour rencontrer des patrons ou tout simplement réaliser des interviews et faire des reportages. La dernière fois que je suis partie à l’étranger pour couvrir un sujet remonte à 2005”, explique-t-elle. Après avoir arrêté de travailler pendant un an pour prendre soin de sa santé, Rebecca, aujourd’hui en congé maternité, pense de son côté se reconvertir à nouveau. Elle envisage de troquer le décor des hôtels de luxe contre un bureau à la maison où elle pourrait développer une activité de community manager. Un changement de carrière qu’elle avoue faire “à contrecoeur”.
Clara Baillot
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