Les révélations du New York Times accusant l’actrice italienne d’avoir agressé sexuellement un mineur et acheté son silence ont ragaillardi les détracteurs de #MeToo.
J’aurais pu intituler ce billet “#MeToo vaut mieux que ça” ou “#MeToo: gros coup de capharnaüm”, tant le sujet présente d’angles aussi tranchants que tranchés. Résumé des faits à l’attention des deux qui auraient suivi leur détox digitale estivale sans tricher: l’actrice italienne Asia Argento, l’une des premières accusatrices de Harvey Weinstein, est à son tour accusée d’agression sexuelle par le jeune acteur Jimmy Bennett. Le New York Times à l’origine des révélations affirme qu’un accord financier aurait par ailleurs été conclu entre Asia Argento et son partenaire dans Le Livre de Jérémie, le premier film de l’actrice en tant que réalisatrice. Asia Argento a démenti les faits avant-hier soir et Jimmy Bennett n’a pas encore réagi, ce qui n’a évidemment pas empêché les médias et les réseaux de décoller au quart de tour.
La lecture des réactions sur Facebook ou le contact prolongé avec Twitter ayant tendance à aggraver mon cancer de foi en l’humanité, j’ai voulu m’accrocher à l’impartialité du Monde comme Leonardo Di Caprio à la planche de Kate Winslet dans Titanic en lisant un article intitulé: “Réactions aux accusations contre Asia Argento”. C’est au troisième commentaire que j’ai lâché mon bout de bois. Entre celui qui demandait l’arbitrage vidéo -“Non mais concrètement, comment c’est possible?”- et celui qui ricanait: “J’aurais bien aimé être à sa place!” -car toutes les victimes d’agression sexuelle vous le diront: c’est toujours plus agréable d’être violé·e par une personne physiquement attrayante. Ou était-ce au moment où, pour répondre à celui qui accusait l’actrice d’être pédophile (Bennett avait 17 ans au moment des faits présumés), un lecteur a utilisé cet argument imparable: “Et la professeure de notre président, alors?” Quoi qu’il en soit, juste au moment où je pensais avoir touché le fond, bim, Franz-Olivier Giesbert a récuré les nappes phréatiques de l’indignité avec ce tweet: “L’arroseuse arrosée. On ne se méfie jamais assez des marchands de vertu, des donneurs et des donneuses de leçons. Ce sont les les pires ennemis de leur cause.”
“Aucun poncif revanchard n’a été oublié pour fustiger Asia Argento, en revanche, de sa victime présumée, il n’est jamais question, comme si l’enjeu était ailleurs.”
Permettez donc que j’attrape le boomerang -hop!- que des hordes de teigneux sont ravis de voir revenir dans la gueule de l’une des figures emblématiques du mouvement #MeToo. “Retour de bâton” (ou de manivelle), “arroseuse arrosée”, “telle est prise qui croyait prendre”, “bien fait pour elle”, “nananananère, bisque bisque rage”: aucun poncif revanchard n’a été oublié pour fustiger Asia Argento, en revanche, de sa victime présumée, il n’est jamais question, comme si l’enjeu était ailleurs, comme si l’essentiel n’était pas le fond (l’agression sexuelle) mais la forme (la guerre entre les féministes et les gens normaux, qui le sentaient depuis le début, qu’il y avait un truc louche chez elles). Cette façon goguenarde de se frotter les mains mentalement, ce sourire oblique du père de famille qui va chercher sa fille tombée en panne d’essence pendant sa fugue sont odieux. D’abord parce que la victime n’est qu’un prétexte pour brandir sa statistique et ressortir cet argument qui n’en est pas un: “Vous n’êtes pas les seules”. Comme si la douleur des uns compensait celle des autres, comme si le fait que des hommes soient victimes d’agressions sexuelles invalidait les raisons de la colère des femmes tout en dédouanant les agresseurs. Comme si le statut de victime était une couverture confortable que les femmes avaient tirée à elles seules depuis toujours, alors qu’il est tellement agréable de s’y lover. Ensuite parce qu’il ne s’agit pas de remporter la bataille de l’opprimé (“1 agression contre 80, mais le mec était mineur donc agression compte triple, et la fille est féministe et a dénoncé Weinstein, donc on multiplie par deux et quatre qui nous font douze, on arrondit à quinze”), mais de lutter contre les violences sexuelles, quel que soit le genre des agresseur·se·s et des victimes.
“À celles et ceux qui crient à l’hypocrisie d’Asia Argento, rappelons que le fait d’agresser quelqu’un n’invalide pas le fait d’avoir été agressée.”
Ce que semblent oublier certaines féministes qui utilisent exactement les mêmes outils que ceux qu’elles fustigent lorsqu’elles minimisent les faits et crient au complot comme Sandra Muller, affirmant au Parisien: “Cette affaire tombe bien pour décrédibiliser ces femmes qui dérangent. Briser le silence coûte cher.” Ou la chercheuse américaine Judith Butler, qui évoquait une “campagne malveillante” destinée à ternir la réputation de la philosophe féministe Avital Ronell, accusée elle aussi d’agression sexuelle par l’un de ses étudiants.
Récapitulons donc aussi pacifiquement que possible. À celles et ceux qui crient à l’hypocrisie d’Asia Argento, rappelons que le fait d’agresser quelqu’un n’invalide pas le fait d’avoir été agressée: on peut être victime et bourreau, gentil et méchant, quelque part entre le tout noir et le tout blanc. Aux psychologues en mousse qui croient défendre Argento en expliquant son acte par le fait qu’elle ait été elle-même d’abord agressée par un homme, expliquons le principe de résilience, plus optimiste que ce déterminisme un poil paternaliste: heureusement, toutes les victimes ne se vengent pas sur des innocents de ce qu’elles ont subi, sans quoi le monde serait invivable (déjà que…). Acceptons par ailleurs l’idée qu’une femme n’est pas plus innocente a priori qu’un homme, ni moins perverse, ni donc, moins coupable. Enfin, rassurons celles et ceux qui craignent que l’Argento gate soit l’épine qui dégonfle le mouvement #MeToo: les agissements d’une personne ne sauraient révoquer les millions de témoignages de victimes, femmes et hommes. Et le combat contre les agressions sexuelles et les abus de pouvoir, quels qu’ils soient, vaut mieux que ce bras de fer pathétique.