La blockchain, un concept obscur? Pas pour Claire Balva, la start-uppeuse à la pointe de ce nouveau monde à la croisée de la tech, de l’énergie et de la finance.
Depuis plusieurs mois, on assiste à une véritable “bitcoinmania”, pas toujours facile à saisir quand on est imperméable à l’enthousiasme que génèrent les nouvelles crypto-monnaies. Derrière ce phénomène, se trouve une technologie révolutionnaire qui promet de bouleverser les échanges de valeur et nos rapports aux institutions. En France, Claire Balva est à la tête de Blockchain Partner, une start-up dont le rôle est d’accompagner les entreprises dans leurs mutations blockchain. Mais entre fantasmes futuristes et bouleversement du monde, à qui cette technologie du futur profite-t-elle vraiment?
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C’est dans son bureau de Parmentier, implanté au sein d’un campus créatif dédié aux écoles et start-ups numériques, que Claire Balva nous reçoit, dans une pièce qui abrite la petite équipe de 15 salariés qu’elle pilote depuis 2016. À seulement 25 ans et après un parcours commercial classique -elle intègre une classe préparatoire économique et sociale puis effectue un master en école de commerce à ESCP Europe-, l’étudiante ne choisit pourtant pas la facilité des gros cabinets de consulting parisiens et opte pour la création d’entreprise. Elle lance Blockchain France directement après ses études avec trois anciens camarades de classe; un pari gagnant puisque la société, aujourd’hui devenue Blockchain Partner, a triplé son effectif et présente un chiffre d’affaires de plus d’un million d’euros. Co-autrice du livre La blockhain décryptée, clefs d’une révolution, la jeune femme a désormais l’habitude de vulgariser et analyser les enjeux éthiques, politiques et sociaux de cette nouvelle technologie. Interview.
Qu’est-ce que la blockchain et comment fonctionne-t-elle?
Il s’agit d’une base de données informatique décentralisée qui peut être consultée partout. Elle repose sur un réseau de serveurs qui vont se partager les mêmes informations en temps réel, permet de construire et maintenir une trace immuable de toute transaction mais aussi de transférer de la valeur numériquement de pair à pair. Par exemple avec le bitcoin, il n’existe pas d’autorité centrale mais une gouvernance partagée entre les “mineurs” (des serveurs qui possèdent de la puissance de calcul et valident les nouveaux blocs de transaction) et qui s’effectue à travers la mise à jour automatique des informations. Pour simplifier, ce phénomène est similaire à l’arrivée d’Internet en permettant à tout le monde d’accéder et de créer l’information, retirant le monopole aux seuls grands titres de presse.
Qu’est-ce qui t’a intéressée dans cette nouvelle technologie?
J’ai toujours suivi de près les évolutions de la technologie et de l’innovation, mais c’est durant l’été 2015 que j’ai découvert la blockchain par l’intermédiaire de l’un de mes associés actuels. C’est un écosystème très dynamique, ce qui nous amène à constamment devoir nous adapter et apprendre de nouvelles choses. Mais ce qui me plaît vraiment, c’est qu’il s’agit d’une technologie transverse qui peut s’appliquer dans une grande variété de domaines tels que la finance, la santé ou encore l’énergie, à l’instar de l’intelligence artificielle.
“La blockchain est un moyen de sécuriser ses données.”
Pourquoi avoir voulu créer Blockchain France et ensuite Blockchain Partner?
C’est parti du constat que beaucoup de projets très intéressants ayant recours à cette nouvelle technologie se lançaient aux États-Unis, mais qu’il n’y avait encore rien en France. Mes partenaires et moi avons donc saisi cette opportunité et lancé le site français de démocratisation de l’information blockchain: Blockchain France. L’objectif était de faire connaître les potentiels d’application de cette technologie en dehors du simple aspect technique, afin d’attirer des profils variés qui ne soient pas nécessairement des développeurs. Nous étions seulement quatre dans l’équipe avec des profils uniquement commerciaux, ce qui suffisait pour faire de l’évangélisation et créer des contenus, sauf que l’on commençait aussi à nous solliciter sur des besoins plus techniques. De son côté, le Labo blockchain était une start-up composée de profils techniques recherche & développement pour grands comptes. Nous nous sommes donc rencontrés et avons remporté notre premier appel d’offre ensemble au printemps 2016, dans le cadre du projet Madre pour la Banque de France. Depuis, nous avons fusionné et sommes devenus Blockchain Partner.
Est-ce que ça ne risque pas de marginaliser les gens qui ne comprennent rien au code?
Comme pour Internet à ses débuts ou pour toute autre nouvelle technologie, il faut du temps pour que les nouveaux usages s’installent et soient adoptés par la majorité de la population. Il y a eu beaucoup de buzz autour de la blockchain et cette dernière suscite encore beaucoup de curiosité, mais d’ici quelques années on en parlera probablement moins, car son utilisation se sera normalisée, et créer des portefeuilles pour acheter des crypto-monnaies sera devenu beaucoup plus simple.
En février dernier, deux agences de l’ONU ont piloté un atelier invitant plusieurs entreprises fournisseuses de technologie blockchain à présenter leurs solutions pour supporter les femmes dans un contexte humanitaire. Selon toi, quels sont les potentiels que la technologie peut apporter dans les challenges des femmes dans le monde?
Ce qui est intéressant avec la technologie blockchain, et que l’on peut observer aussi avec les crypto-monnaies, c’est qu’elle permet aux populations précaires et marginalisées d’accéder à des actifs auxquels elles n’avaient pas accès auparavant, comme le système bancaire ou les liquidités. Ce qui peut-être intéressant dans des pays en développement tels que le Venezuela ou certains pays d’Afrique, où les fluctuations monétaires sont volatiles. La blockchain est aussi un moyen de sécuriser ses données (papiers, dossiers médicaux), de créer des identités digitales vérifiables et de faire des transferts d’argent traçables à moindre coûts. Tout cela en toute transparence et sans risque de détournement des informations puisque la base de donnée est accessible à tous et immuable.
En tant que jeune femme cheffe d’entreprise, as-tu parfois ressenti une certaine difficulté à t’imposer?
Oui, car je suis amenée à travailler dans des univers majoritairement masculins avec des hommes qui ont souvent plus de 45 ans et n’ont pas vraiment la culture de travailler avec des femmes. En plus, mon rôle c’est de leur expliquer des choses qu’ils ne connaissent pas, ce qui peut parfois créer des hostilités. Un jour, on m’a dit que c’était mieux que je me présente comme présidente plutôt que CEO, qui est un terme réservé aux hommes. On m’a même présentée une fois comme “l’atout charme” de la blockchain, autant de situations embarrassantes qui, même si enrobées de sympathie et d’humour, viennent confirmer les stéréotypes en vigueur.
“Il est nécessaire d’introduire le code dans les programmes scolaires et les écoles, pour transformer ces milieux encore trop masculins.”
Comment peut-on faire progresser les carrière féminines dans le milieu de l’entreprise?
Je pense qu’il est indispensable de valoriser davantage de modèles féminins dans le milieu professionnel, car il est actuellement difficile de se projeter dans des positions managériales; dans les magazines business, sur un palmarès de 200 chef·fe·s d’entreprise, seules dix sont des femmes. Cependant, je ne suis pas vraiment adepte des quotas, et même si cela pourrait servir mon entreprise, je refuse que mon genre soit utilisé comme un argument marketing. Récemment, il m’est arrivée d’être invitée à une conférence où je ne pouvais pas me rendre et quand j’ai souhaité envoyer un de mes associés pour me remplacer, on m’a fait comprendre qu’il valait mieux que ce soit une femme. Paradoxalement, alors que l’on cherche à mettre en avant plus de femmes dans tous les domaines, je regrette que ce soit souvent fait de manière superficielle, ce qui peut avoir des effets pervers sur le discours.
Penses-tu que le code est l’avenir de la femme?
Totalement! Il y a aujourd’hui un vrai déficit de femmes dans les métiers du code et je pense qu’il s’agit d’un vrai outil d’émancipation, car c’est un univers d’avenir qu’il sera important de maîtriser dans le futur sous peine d’être dépendante de techniciens plus compétents. Je pense aussi qu’il est nécessaire d’introduire le code dans les programmes scolaires et les écoles, pour transformer ces milieux encore trop masculins, ce qui rendra l’expérience moins pénible pour tout le monde quand il s’agira de travailler ensemble.
Propos recueillis par Lou Mamalet
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