Quelques semaines avant la sortie de Odd Blood, leur épatant deuxième album, on avait rencontré les New-Yorkais de Yeasayer dans un café parisien. L’occasion de parler cuisine, Brian Eno, circoncision et Mariah Carey.
Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
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On vient de boucler une version plus courte de notre morceau One, pour les radios anglaises. Ce n’est pas notre partie préférée du boulot, mais peu importe : nous, on n’aura jamais à l’écouter.
[attachment id=298]D’un point de vue extérieur, on a la sensation que tout s’est passé très vite pour Yeasayer, que le succès est arrivé rapidement.
De notre côté, on a au contraire l’impression que les choses sont très lentes. On a passé beaucoup trop de temps en tournée après la sortie de All Hour Cymbals. On a parcouru les Etats-Unis de long en large, on a fait au moins 250 concerts à travers le monde. Le studio nous a manqué. On n’en pouvait plus de bouger sans arrêt. Au moins, lorsque vous êtes dans votre ville pour l’enregistrement de votre nouvel album, vous pouvez rentrer chez vous et dormir dans le même lit tous les soirs. Dans le même lit tous les trois, bien sûr.
Lorsque vous avez commencé Yeasayer, vous attendiez-vous à avoir du succès?
On avait une vision assez réduite du succès : on voulait juste pouvoir jouer à New-York devant une ou deux centaines de personnes, et réussir à vendre quelques disques. On se disait « au mieux on jouera au Bowery Ballroom ». Puis on y a joué, alors on a envisagé plus gros. Et ainsi de suite. Aujourd’hui, le rêve serait d’aller jouer au Saturday Night Live parce qu’on y a travaillé. On conduisait les camions et on faisait les livraisons d’équipement technique. On n’avait même pas d’entrée pour assister à l’émission. On voudrait s’y produire du coup, comme une revanche.
Quels autres petits jobs avez-vous fait ?
On a travaillé comme assistants technique lors des sessions photos. Ou comme menuisiers dans des grands appartements new-yorkais, chez Louise Bourgeois ou Kanye West.
Il y a, au-delà de la musique, dans les visuels et l’esthétique du groupe, une fibre artistique très forte chez Yeasayer. Avez-vous grandi dans un milieu culturel ?
Pas spécialement. Mais nous avons été encouragés à aller dans ce sens. A la base, tout le monde est doué pour l’art : les enfants passent leur temps à gribouiller, construire, chanter. Simplement tous ne sont pas poussés à développer ça. Nos parents nous ont plutôt soutenus, on est allés dans des écoles d’art. On a appris à jouer de la musique, chanté dans des chorales très jeunes.
Est-ce qu’il est toujours facile d’être dans un groupe ? Avez-vous souffert de problèmes d’égo dans Yeasayer ?
Il faut juste pouvoir s’aérer toutes les trois semaines. Mais nous ne sommes pas dans ce groupe sans raison : on partage une vision du monde et un objectif commun. Nous avons un profond respect les uns pour les autres. Mais c’est sûr qu’après deux mois de tournée, en rentrant chez nous, on ne va pas s’appeler pour se proposer de passer à la maison.
Quelles idées aviez-vous en tête pour Odd Blood ?
On voulait que ce soit comme un prolongement du premier, mais dans une version plus libre, plus contemplative et brumeuse. Davantage influencé par la danse, et qui parle au corps. On a passé beaucoup de temps dans les clubs, on écoute beaucoup de musique contemporaine. L’important c’est de continuer à grandir.
Le son semble avoir été particulièrement soigné sur l’album. Est-ce que vous aviez des exigences précises ?
On apprend tous les jours : on a eu la chance de jouer un concert à emporter pour la fameuse Blogotheque et on a eu envie de revenir, une fois en studio, à un son plus dépouillé sur certains titres.
De toutes façons, on a toujours accordé énormément d’importance à la production : on voit ça comme une étape essentielle de la création, et pas comme quelque chose qui vient après ou que l’on peut confier à un tiers. Ce serait tellement fou de demander à quelqu’un de prendre ces décisions-là à notre place. Du coup on fait tout nous-mêmes, et on fait plein d’erreurs : on se sert justement de ces accidents pour trouver de nouvelles idées. Après, c’est sûr que si Brian Eno nous proposait de produire notre prochain album, on ne pourrait pas refuser. Même si on devrait quand même lui dire que cet album de Colplay était à chier…
Est-ce toujours un plaisir de composer?
Oui. Même lorsqu’on a du mal à trouver l’inspiration ou qu’on lutte pour achever un morceau, cela reste une joie. Cela permet de se sentir utile : les moments en studio sont les plus faciles à vivre. On ne croit pas du tout au cliché du songwriter torturé qui va composer pour se soigner. Tout le monde a souffert un jour dans sa vie et c’est pas une raison pour faire chier son monde à pleurnicher et dire des conneries du genre « la douleur est ma muse »..
En dehors de la musique, qu’avez-vous en commun?
Nous sommes tous circoncis. Sinon, on aime la bonne cuisine et les films des années 70.
[attachment id=298]On a une image assez manichéenne des groupes de rock aujourd’hui, avec d’un côté une scène très arty à New-York, à laquelle vous appartenez, et de l’autre des Anglais de moins en moins inspirés. Avez-vous la sensation d’appartenir à une scène particulièrement créative ?
Il y a un tas de losers à New-York qui ne cherchent qu’à prendre de la coke et se bourrer la gueule aussi… Des types qui portent des lunettes de soleil dans les bars la nuit. Masi la culture des blogs et la descente aux enfers des majors ont certainement permis l’émergence d’une scène indé riche et innovante. En Angleterre, le souci, c’est peut-être qu’ils cherchent à trouver the next big thing toutes les semaines.
Le groupe vous-a-t-il aidés à avoir davantage confiance en vous ?
Oui parce qu’être dans un groupe, c’est comme être à poil devant des gens que vous ne connaissez pas en permanence. Plus vous voyagez, plus vous désacralisez les autres et plus vous avez confiance en vous : les Espagnols par exemple, ils ne font pas peur ! (rires). Et plus vous vous moquez des jugements.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’industrie du disque? Est-ce facile de jouer dans un groupe quand les disques ne se vendent plus ?
Oui car nous avons créé Yeasayer alors que c’était déjà le cas. C’est probablement plus difficile pour des artistes comme Mariah Carey ou 50Cent qui étaient habitués à vendre des millions. Nous, nous en profitons plus que nous en souffrons, cela nous stimule : on tourne énormément, on multiplie les projets, on joue dans des musées…On voit ça presque comme une chance.
Album : Odd Blood (Naïve)
Concert : le 19/3 à Paris (Point Ephémère)
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