Occupation des postes à responsabilité, monopole de la prise de parole en public ou encore lente reconnaissance de la lesbophobie dans les textes des mouvements: les associations de défense des droits LGBTQ+ subissent elles aussi la domination masculine. Un paradoxe pour des militant·e·s qui luttent pour l’égalité des droits.
“Vous avez compté combien il y avait de lesbiennes lors des débats sur la PMA sur les plateaux télé ou dans le cadre des états généraux de la bioéthique?, lance, amère, Lucie Oriol, membre de l’AJL (Association des Journalistes Lesbiennes, gays, bi·e·s, trans ). Eh bien très peu.” Elle explique en avoir assez que des gays s’expriment sur le sujet, sous prétexte qu’ils appartiennent à une association LGBTQ+. C’est le symptôme, à ses yeux, de la trop petite place laissée aux lesbiennes dans ces collectifs, qui y subissent en effet le sexisme ordinaire de la société française. C’est ce qu’avance également Amandine Miguel, ancienne porte-parole de l’Inter-LGBT, et aujourd’hui membre de Lesbotruck+: “Quand j’ai commencé à m’investir, j’ai vu lors des réunions que nous étions peu nombreuses. Et la plupart des postes à responsabilité étaient occupés par des gays.” Même constat pour Léa Lootgieter, vice-présidente de SOS homophobie entre 2012 et 2014: “J’ai notamment décidé de quitter l’association car cela ne bougeait pas. Le président aujourd’hui est encore un homme. Dans toute l’histoire de SOS homophobie, il n’y a eu que deux femmes présidentes.” Un mouvement qui existe, précise-t-elle, “depuis 1994”.
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Un combat pour exister
Face à la domination masculine qu’exercent les militants gays, les lesbiennes s’effacent. “On a été socialement éduquées à se mettre en retrait, à ne pas parler trop fort. Et même si on a lu des livres, vu des films, on ne peut pas s’en empêcher”, regrette Amandine Miguel. Une tendance au retrait “culturelle” que les habitudes associatives peuvent entretenir, quel que soit l’engagement des structures. “Lors des réunions, lorsqu’une femme parle, personne ne va rebondir sur ses propos, explique Léa Lootgieter. Tandis que lorsqu’un homme s’exprime, sa parole est reprise par le suivant qui va dire ‘comme le disait X’.”
Autre signe de misogynie latente: la lente reconnaissance par les mots de la présence des lesbiennes. “Lorsque j’étais à l’Inter-LGBT, entre 2012 et 2016, on a dû se battre pour féminiser les différents textes. Comme pour incorporer les mots lesbiennes, bi·e·s, trans et les termes lesbophobie, biphobie, transphobie. Car les textes ne mentionnaient que l’homophobie!”, rappelle Amandine Miguel. Elle a également tenté de faire reconnaître leur discrimination en ajoutant le terme “visibilité” à la délégation lesbienne de l’association. L’expression “invisibilisation” est employée en sociologie pour désigner l’effacement dont souffrent les minorités, dont les lesbiennes, dans les différents corps de la société.
“La PMA a été sacrifiée. L’Inter-LGBT ne l’a pas autant défendue que le mariage gay.”
Les militantes soulignent que les gays ne sont pas toujours conscients qu’ils répètent un comportement sexiste courant chez les hétéros. “Ils disent qu’ils ne trouvent pas de femmes. Alors qu’en fait beaucoup ne veulent pas rester parce qu’elles ne se sentent pas légitimes”, explique Amandine Miguel. Certains refusent de se remettre en question: “Ils disent qu’ils ne peuvent pas être sexistes parce qu’ils sont militants”, s’indigne Cybèle Vigneron, la présidente du Caelif, l’inter-association des étudiants LGBTQ+ d’Île-de-France .
Les sujets lesbiens jugés moins prioritaires
Certaines militantes n’hésitent pas à affirmer que les combats des lesbiennes passent après ceux des gays. “La PMA a été sacrifiée. L’Inter-LGBT ne l’a pas autant défendue que le mariage gay”, insiste Gwen Fauchois, ancienne bénévole d’Act up et cofondatrice de la Pride de nuit. L’avantage donné aux sujets qui intéressent les hommes s’observe aussi dans les dépenses. “Il n’y avait jamais assez d’argent pour imprimer des livrets ou des affiches sur la PMA”, déplore Léa Lootgieter.
Les problématiques lesbiennes seraient également mises de côté car jugées moins prioritaires. “Les hommes se font davantage agresser physiquement. Du coup, les gays pensent que les lesbiennes sont moins victimes mais ce n’est pas le cas”, rappelle Léa Lootgieter. En effet, même si le rapport annuel de SOS homophobie indique que les agressions physiques concernent à 65% les gays et à 24 % les lesbiennes, d’autres enquêtes viennent contrebalancer ces données. D’après l’étude sur le bien-être des lesbiennes en Europe présentée à la première conférence européenne lesbienne à Vienne en octobre 2017, 52% d’entre elles ont déclaré avoir été victimes de harcèlement dans leur vie quotidienne en raison de leur orientation sexuelle: “Dans la rue, quand je tiens la main de ma copine, cela arrive très souvent que des hommes nous séparent ou qu’ils nous proposent des plans à trois”, explique, excédée, Cybèle Vigneron.
Le combat pour l’égalité commence dans les associations
Pour Sébastien Chauvin, sociologue du genre et auteur de Sociologie de l’homosexualité, cette discrimination entre gays et lesbiennes peut s’expliquer par “une misogynie et un sexisme qui n’épargnent pas les hommes homosexuels et bisexuels”. Par ailleurs, les femmes seraient dominées dans les associations LGBTQ+ car historiquement elles y sont moins engagées. Il rappelle ainsi que “dans les années 80, il y a eu un essor d’associations lesbiennes moins orientées vers la protestation politique, fondées sur la sociabilité, qui sont non-mixtes. Dans cette perspective de convivialité, il allait moins de soi d’associer gays et lesbiennes au sein d’une même communauté”.
Faire reconnaître les discriminations des lesbiennes par leurs camarades gays des associations LGBTQ+ est dorénavant une priorité pour celles-ci. “On ne peut pas lutter à l’extérieur si déjà à l’intérieur des assos cela ne va pas”, analyse Amandine Miguel pour expliquer les raisons qui l’ont poussée à prendre la tête un temps de la délégation visibilité lesbienne de l’Inter-LGBT. Et au-delà des problématiques qui leurs sont propres, leur engagement doit servir l’égalité entre tous les membres, au sein des associations LGBTQ+. Actuellement à la tête du Caelif, Cybèle Vigneron entend ainsi “lutter pour toutes les lettres du sigle”.
Élisa Centis
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