Inès Leonarduzzi est la fondatrice et présidente de l’ONG Digital for The Planet, qui lutte contre la pollution digitale. Nous l’avons rencontrée pour qu’elle nous explique en quoi le numérique est nocif pour la planète, pourquoi les femmes sont les premières impactées par le dérèglement climatique et quelles solutions sont envisageables.
“Réduire la pollution numérique dans le monde.” Voici l’objectif que s’est fixé Inès Leonarduzzi en fondant l’association Digital For the Planet en août 2017. L’idée lui vient alors qu’au milieu d’une randonnée au fin fond d’une montagne italienne, la consultante en stratégie digitale qu’elle est à l’époque reçoit une notification sur son téléphone. Surprise d’être connectée en pleine nature, elle se renseigne sur l’impact écologique du digital pour finalement découvrir qu’il est comparable à celui de l’industrie aérospatiale. Quelques semaines plus tard, Inès Leonarduzzi quitte son travail pour se consacrer pleinement à son nouveau projet.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Digital For the Planet est la première initiative du genre”, débute la jeune femme de 30 ans quand nous la rencontrons pour un petit déjeuner dans un hôtel parisien. Avec les quatre personnes qui forment son équipe, cette normande d’origine a mis au point un écolabel européen qui certifie qu’entreprises et institutions sont bons élèves en matière d’écologie numérique. Son association fédère également une des plus larges communautés du monde de la Cleantech, ces start-ups qui proposent des innovations d’un point de vue énergétique et écologique dans le digital. “Nous jouons un rôle de catalyseur auprès de cet écosystème de start-ups. Nous agrégeons cette communauté et cherchons à savoir ce qui se fait et ce qui est viable, décrit-elle. Nous voyageons beaucoup pour rester au goût du jour.” Elle confie d’ailleurs être un peu “jetlaguée”, car fraîchement rentrée de New York, ville dans laquelle elle envisage de créer un second bureau, avant d’en établir un troisième à Singapour, le “nouveau hub des énergies renouvelables”. La présidente de l’association poursuit, toujours avec un langage franglais typique des entrepreneur·e·s, en assurant que l’intégralité des bénéfices de l’organisation sont reversés en investissements dans la Cleantech, et ajoute qu’une intelligence artificielle “green et responsable” est également en cours de développement pour permettre à chaque citoyen d’estimer sa consommation digitale.
“Aujourd’hui, la pollution numérique produit autant de CO2 que toute l’industrie aérospatiale mondiale.”
Si elle consacre aujourd’hui la majorité de son temps à Digital For the Planet, Inès Leonarduzzi se bat également sur le terrain de l’empowerment au féminin. Rien de surprenant à allier féminisme et écologie pour celle qui rappelle que les femmes sont les premières à souffrir du réchauffement climatique. On la retrouve donc à la tête des recherches sur la transition féministe et écologique au sein du directoire de l’Institut des Transitions à Paris. La baroudeuse fédère également les femmes avec Women Inspiring Talks, le réseau féminin qu’elle a développé à Paris, Barcelone et New York. On a discuté environnement, numérique et féminisme avec elle. Interview.
Le digital, les mails, Internet, ça pollue vraiment?
Oui et c’est une réalité souvent ignorée parce qu’on a tendance à envisager le digital comme quelque chose d’immatériel, sans répercussion réelle. Quand vous tapez un mot sur Google, un message est envoyé à un data center, une espèce de grande bibliothèque qui rassemble toutes les données qui peuvent exister. Pour simplifier, disons que toute cette démarche passe par des fibres, qui elles-mêmes transportent de l’électricité et donc consomment de l’énergie. Toute action sur le Net, même l’ouverture d’une page, a une conséquence environnementale. Aujourd’hui, le numérique produit autant de CO2 que toute l’industrie aérospatiale mondiale. Quand vous envoyez un email avec une pièce jointe, les conséquences sont les mêmes que si vous laissiez une ampoule allumée pendant une heure.
Donc, concrètement, installer une application sur son smartphone, c’est nuire à la planète?
Installer une appli, c’est créer un mouvement électrique qui, comme toute activité digitale, engendre de la pollution. Par contre, si demain on passe à des réseaux électriques fournis en énergie renouvelable par exemple, les utilisateurs pourront utiliser autant d’applications qu’ils le souhaitent sans impacter l’environnement.
“Il y a un lien intrinsèque entre l’écologie et les femmes.”
D’après toi, il faudrait se passer du numérique?
Ça n’est pas envisageable. Les nouvelles générations sont digitales par essence. Nous sommes 7,3 milliards sur la planète et nous serons 9 milliards en 2050. À ce moment-là, tout sera numérique. Tout passera par l’intelligence artificielle, c’est un fait. On constate déjà aujourd’hui la multiplication des devices (Ndlr: appareils), beaucoup d’entre nous ont deux smartphones, un ordinateur, une tablette ou des appareils connectés à la maison, qui répondent en Wifi. Cela consomme énormément et émet du gaz à effet de serre. Plutôt que de s’en passer, il faut mettre en place un code de bon comportement et encourager la prise de conscience.
Quelles solutions existent aujourd’hui pour utiliser le digital de façon écolo?
Je trouve que le Fairphone est une bonne alternative au smartphone classique qui, entre le début de sa fabrication et sa livraison, fait en moyenne quatre fois le tour du globe. L’idée est de fabriquer un appareil à partir de matériaux recyclés. Concernant les recherches en ligne, des sites comme Lilo ou Ecosia permettent une consommation responsable. Le premier finance des projets associatifs et le second, à vocation écologique, s’engage à planter un arbre à chaque recherche. Tu pollues tout autant mais tu compenses, parce que les arbres adsorbent le CO2.
Pourquoi associes-tu le développement durable et la situation des femmes sur le globe?
C’est une question qu’on me pose souvent. Pourtant, il y a un lien intrinsèque entre l’écologie et les femmes. L’ONU a même reconnu qu’elles représentaient la première population impactée par le dérèglement climatique. Ce sont par exemple elles qui sont chargées de fournir leurs villages et familles en eau dans certaines régions du globe. En Afrique subsaharienne, la population féminine consacre quarante milliards d’heures par an à cette tâche . Et elles n’ont aucune application à disposition pour être informées d’une canicule à supporter pendant plusieurs kilomètres, le temps d’atteindre une source d’eau. Qui se font d’ailleurs de plus en plus rares avec le réchauffement climatique.
Pourtant, certains envisagent la transition numérique comme une aubaine pour les femmes, notamment dans le monde du travail. Qu’en penses-tu?
On ne peut pas nier ce point de vue. Déjà, de manière opérationnelle, le télétravail permet à celles qui ont la charge de leurs enfants en journée de bosser de chez elles et d’adapter leurs emplois du temps. Il s’est également passé quelque chose de fondamental: le digital a rebattu les cartes. Il n’y avait pas de précédent sur le sujet et donc les femmes ont pu se positionner au même titre que les hommes dans ce domaine, comme sur un terrain vierge.
Justement, les femmes ont-elles su s’imposer dans le domaine du digital?
Quelques secteurs semblent plus difficiles à investir que d’autres. C’est par exemple le cas de la blockchain, une espèce de chaîne immatérielle sur laquelle transite la cryptomonnaie. Grâce à elle, il y a un effacement des intermédiaires: plus besoin de notaires, banquiers ou d’avocats pour les transactions. Seulement 7% des personnes impliquées dans cette industrie sont des femmes, alors qu’il se pourrait bien que les prochaines grandes transformations monétaires et financières y aient lieu. Dans tous les cas, les changements, qu’ils concernent la place des femmes dans le digital ou la pollution liée au numérique, doivent se faire collectivement. C’est ce qu’on essaye de mettre en place avec Digital For The Planet.
Propos recueillis par Margot Cherrid
{"type":"Banniere-Basse"}