En tout juste deux singles, la Belge Angèle a affolé la planète pop francophone. On s’est glissées dans son emploi du temps chargé pour lui tirer le portrait.
Pour rencontrer Angèle, il a fallu patienter. Un mois et trente minutes, précisément. Un mois, le temps que la folie autour de son premier single retombe et qu’elle touche de nouveau terre. Trente minutes, le temps que la jeune Belge, ce matin-là à Paris, trouve son chemin dans une grande ville qui ne lui est pas encore tout à fait familière. Pour l’heure, quand elle y est, elle dort chez son boyfriend, Léo Walk, qui danse pour Roméo Elvis ou Christine and The Queens et a lancé la marque Walk in Paris. Une demi-heure de retard, une arrivée échevelée, essoufflée, désolée. Un regard expressif et franc, gêné d’avoir explosé le timing, et un sourire tout blanc. Angèle Van Laeken, 22 ans, empile les millions de vues sur YouTube et provoque des mouvements de foule à l’entrée de ses concerts. Deux singles sont sortis seulement, et les sollicitations lui pleuvent dessus comme les spaghettis. Labels et journalistes aux trousses, la jeune femme répond parfois aux interviews par téléphone entre deux bouchées de tomates mozza, et les rumeurs les plus folles circulent à son sujet. Il se dit dans le milieu qu’elle aurait refusé un deal à 900 000 euros. Et décliné un projet d’album produit par Stromae. Contacté par téléphone, son management dément catégoriquement: “What??? On a beaucoup d’offres mais on n’a rien refusé pour l’instant, on prend le temps de choisir et ça se jouera à l’humain.”
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Montagnes russes
Ce doit être assez fou à vivre, pour celle qui n’était, encore récemment, qu’une silhouette derrière un synthé, une jeune femme dans l’ombre de musiciens. C’est sur le terrain, aux côtés de son père chanteur, qu’elle a fait ses armes en tant que claviériste. Puis sur YouTube, avec son frère rappeur, qu’elle est définitivement entrée dans la lumière, après s’être bâti une jolie base de fans sur Instagram. “Il y a eu un gros appel d’air quand j’ai fait le featuring avec Roméo. C’était ma première apparition en dehors d’Instagram”, explique-t-elle au sujet de J’ai vu, une session live mise en ligne au mois de juin 2017 où elle accompagne son aîné aux dents gâtées, la sensation rap Roméo Elvis. Il faut la voir, dans ce clip, s’extirper de derrière son instrument comme un chat, pour se retrouver progressivement au milieu de la scène et y occuper tout l’espace, même en faisant deux bonnes têtes de moins que le frangin. Il faut l’entendre jouer de sa voix floconneuse, observer le frère qui nous renvoie un regard béat, pour comprendre instantanément qu’Angèle est une évidence. Les internautes ne s’y sont pas trompés, et l’ont adoubée dès son premier clip, La Loi de Murphy, déjà visionné plus de 4 millions de fois à ce jour.
Jusqu’à ses 18 ans, entreprendre une carrière musicale n’a jamais effleuré l’esprit d’Angèle, qui se voyait déjà poursuivre des études de philo, de psycho ou d’histoire.
Les montagnes russes du succès, Angèle les a déjà vues de près, elle qui a pour mère l’humoriste Laurence Bibot et pour père le chanteur Marka. Elle qui a pour frère le susmentionné Roméo Elvis, trois ans de plus qu’elle, qui lui aussi détraque régulièrement les compteurs YouTube. Mais y grimper soi-même, c’est sans doute autre chose. Surtout quand la musique a presque toujours été un jeu, pratiqué dans un cocon, en famille. Née le 3 décembre 1995, Angèle a grandi dans le quartier de Linkebeek à Bruxelles, un endroit “un peu excentré et résidentiel, très safe, très familial” et se souvient avoir eu “une enfance géniale”. Ses parents étaient souvent en représentation, alors elle et son frère ont passé beaucoup de temps en tête-à-tête, Roméo faisant office de babysitter. “Dès que mon frère a eu 11 ou 12 ans, mes parents lui ont fait étrangement confiance alors que c’était un grand malade”, plaisante-t-elle.
© Charlotte Abramow
Ensemble, le frère et la sœur ont appris à s’occuper, et ont développé leur créativité à travers leurs jeux, avec comme supports fétiches le dessin et la vidéo. Jusqu’à ses 18 ans, entreprendre une carrière musicale n’a jamais effleuré l’esprit d’Angèle, qui se voyait déjà poursuivre des études de philo, de psycho ou d’histoire. Rattrapée in extremis par sa fibre artistique, la jeune femme s’est finalement sentie enfermée à la perspective d’aller à la fac à Bruxelles, dans l’environnement qu’elle avait toujours connu et fréquenté. Et a donc décidé de s’exiler à… 50 kilomètres. Après avoir passé l’équivalent du bac (qui porte en Belgique un nom à peine anxyogène: le “diplôme de fin d’humanité”), Angèle intègre à Anvers une école de jazz, section piano, pour apprendre les bases –des bases déjà bien solides puisque la musicienne a suivi des cours de classique avec un prof à domicile de 5 à 18 ans. Elle y restera un an et demi, avant de se dire qu’on n’apprend jamais mieux que sur le terrain, et de rejoindre le groupe de son père.
“L’humour, c’est la meilleure arme pour désamorcer, pour ne pas trop se prendre au sérieux quand on est une jeune chanteuse.”
C’est grâce à une femme que s’opérera finalement le passage sur le devant de la scène. Cette dernière s’appelle Sylvie Farr, et elle est centrale dans la vie d’Angèle. Amie d’enfance, un peu “grande sœur”, Sylvie Farr était aussi sa cheffe scout -car oui, Angèle a été scout, mais elle précise qu’en Belgique c’est beaucoup plus relax qu’en France, et sans aucune connotation religieuse. Son totem était le saïmiri, un petit singe d’Amérique latine. Aujourd’hui, elle fait officiellement partie de l’équipe de management d’Angèle aux côtés de Nicolas Renard, qui s’occupe aussi du groupe Puggy, mais à l’époque, c’est en totale amatrice qu’elle booke les premiers concerts de sa protégée. “Je composais depuis longtemps des ballades en anglais, sans but précis. Ça m’a obligée à me bouger le cul”, se souvient Angèle. Pour étoffer son répertoire, elle écrit 5 chansons en un mois. Puis, pour faire la promotion de ses concerts, ouvre un compte Instagram en février 2015. Son premier post est une reprise du morceau Taro de Alt-J, en duo avec une amie, Ambre de Pierpont. Cette dernière apparaît sur plusieurs vidéos des débuts, avant de disparaître totalement du fil. “Elle chantait avec moi au départ, mais elle s’est passionnée pour la psychologie et a laissé tomber”, explique Angèle, qui se retrouve seule face à la caméra.
Humour et féminisme
Progressivement, son talent de chanteuse, son second degré et sa façon très générationnelle de se mettre en scène font grimper les followers. “L’humour, c’est la meilleure arme pour désamorcer, raconte-t-elle, pour ne pas trop se prendre au sérieux quand on est une jeune chanteuse.” L’humour, c’est aussi, comme la musique, une affaire de famille chez les Van Laeken. Si la mère en a fait son métier, Marka et Roméo Elvis le manient avec talent et Angèle s’en départit rarement. On le retrouve dans ses influences musicales, elle qui cite le rappeur belge James Deano et son morceau Les Blancs ne savent pas danser, au rang de ses madeleines de Proust -avec aussi Sheryfa Luna, Zaho, Vitaa et Diam’s.
Si le R’N’B français a marqué la jeune femme, sa musique et son image sont très loin du genre “urbain” qu’elle a affectionné. Ce qui ne l’a pas empêchée d’être soutenue en premier lieu par la communauté hip hop, notamment par le rappeur Damso qui lui a offert ses premières parties. “Quand j’ai sorti mon premier clip, tous les artistes qui l’ont relayé étaient des rappeurs. Je ne m’attendais pas à ce qu’ils le fassent. Maintenant, quand je vois un artiste à soutenir, je le fais à mon tour.” Angèle affirme partager cet esprit de team inhérent au hip hop et déplore qu’en pop, on cultive l’idée que les places au sommet sont chères et limitées. L’esprit de compétition, elle le possède sans doute, mais pas à n’importe quel prix. “C’est important d’être fair-play, il faut accepter que les autres soient bons, parfois même meilleurs que nous”, dit-elle. Un discours pas si répandu, qui colle bien avec la description que fait Sylvie Farr d’Angèle, une fille “gentille, sociable et toujours là pour les autres”. D’après elle, Angèle est quelqu’un qui, si elle a du caractère et prend ses décisions toute seule, n’en a pas moins besoin d’être entourée. Fidèle, elle travaille avec les mêmes personnes régulièrement, dont la photographe Charlotte Abramow, qui signe ses photos de presse et ses clips.
© Charlotte Abramow
C’est cette dernière qui, lors d’une session photo, lui a suggéré d’enfiler le tee-shirt frappé du slogan “Women need more sleep than men because fighting the patriarchy is exhausting”. Le féminisme est une question qui intéresse Angèle, même si, comme pas mal de filles de sa génération, elle manipule le mot avec des pincettes: “Si le principe est juste de vouloir l’égalité entre les hommes et les femmes alors oui, je suis complètement féministe. Même si, à 22 ans, je suis encore en pleine réflexion sur ce sujet, notamment par rapport au milieu du rap. J’ai quand même tourné en première partie de Damso, qui fait grincer des dents et choque certaines femmes.” Et pour cause, puisque parmi les punchlines du rappeur, on trouve des rimes riches comme “J’te vois comme Jay-Z voit Beyoncé, comme une salope que j’ai pas besoin de financer”, ou des déclarations tout à fait rationnelles et éclairées, comme “Toutes les femmes ne sont pas pareilles mais le diable parle à travers elles de la même façon”. Angèle assume n’avoir pas encore résolu son cas de conscience personnel à l’égard de Damso. “Je n’ai jamais su comment me positionner, mais j’ai pris le parti de me dire qu’ouvrir pour lui était une énorme opportunité et que c’était quelqu’un d’humainement très gentil et respectueux, et absolument pas misogyne.”
Ce qui ennuie le plus Angèle, si l’on parle du sexisme dans le milieu de la musique, c’est surtout qu’on lui propose encore d’écrire pour elle ou de réaliser ses prods. “Comme si une jeune fille ne pouvait pas se débrouiller toute seule. C’est évident qu’un mec écrive ses chansons et les compose, ça l’est beaucoup moins qu’une femme le fasse”, déplore-t-elle. Pour l’heure, elle travaille à la préparation d’un premier album très attendu. Et ne cache pas que son énorme succès prématuré a quelque chose du cadeau empoisonné: “Je me pose mille questions: est-ce que c’est juste un buzz, est-ce que la suite va plaire? Ça me met la pression.” On l’aurait pour moins que ça.
Faustine Kopiejwski
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