Le disque vinyle entre au musée. Une formidable collection fait la part belle aux artistes qui ont investi le support roi de la musique populaire. D’Eno à Warhol, des Talking Heads à Black Flag : analyse et exemples, à l’occasion d’une belle exposition à la Maison Rouge.
Il y a encore quelques années, les disques vinyle ne se dévoilaient plus qu’au travers de cartons éventrés sur les trottoirs des vide-greniers ou dans les conventions pour vieux garçons monomaniaques. Désormais, entre le CD en voie accélérée de démonétisation et le mp3 sans visage ni âme, le 33t se paie un nouveau tour de piste inespéré et ses sillons abreuvent les sens d’une génération de mélomanes qui n’a parfois jamais connu son âge d’or.
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A l’attention de ceux-là et de tous les autres, La Maison rouge à Paris présente actuellement l’incroyable trésor du collectionneur belge Guy Schraenen, privilégiant les innombrables appropriations de cet objet phare de la culture populaire par des plasticiens, qui au cours du XXe siècle l’ont souvent détourné de son axe marchand pour en faire un authentique objet d’art. Dans la dernière partie de ce fabuleux parcours, on retrouve ainsi les incunables signés Warhol (Velvet et consorts) ou Richard Hamilton (l’album blanc des Beatles) mais ce n’est évidemment pas le principal intérêt de cette affaire.
On aura donc, avant ce retour en terrain connu, traversé les continents les plus secrets et accidentés de l’artisanat discographique, croisé tous les agitateurs de l’histoire (dadaïstes, Fluxus, beat generation, minimalistes et conceptuels de tout poil), le carré magique du vinyle cumulant sur un même support reproductible des possibilités visuelles et sonores qui étourdissent ici à chaque virage. Car si une table d’écoute permet de découvrir pas mal de ces 800 pièces, la seule vision des pochettes ou des disques travaillés parfois à même la cire suffit à en imaginer par avance le contenu.
Des Expériences musicales de Dubuffet à la poésie diffractée de William Burroughs ou John Giorno, des divers attentats bruitistes, collages ou détournements commis à travers les âges aux interventions multimédias de Laurie Anderson et Yoko Ono ou aux nombreuses sollicitations de Sonic Youth dans l’art contemporain, c’est ainsi toute l’avant-garde qui s’est un jour penchée sur les mille et une façons de faire tourner les platines un peu moins en rond que prévu. De ce florilège dont il serait inutile ici de chercher à détailler la richesse, nous avons sélectionné quelques pièces emblématiques.
Exposition : Vinyl, disques et pochettes d’artistes – La collection Guy Schraenen. Jusqu’au 16 mai à la Maison rouge, 10, boulevard de la Bastille, Paris XIIe, tél. 01.40.01.08.81
Site Internet
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ROBERT LONGO
Glenn Branca The Ascension (1981)
La musique cacophonique de Glenn Branca ne pouvait rêver meilleure illustration que ce dessin tiré de la série Men in the Cities, réalisé par Robert Longo. Ces hommes ou ces femmes, en costume ou en tailleur, comme foudroyés ou touchés en plein coeur, soudain vacillants, ont d’ailleurs aussi fait une apparition dans le clip de New Order réalisé par l’artiste ou aux murs de l’appartement de Patrick Bateman dans l’adaptation cinématographique d’American Psycho, de Bret Easton Ellis.
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GIORNO POETRY SYSTEMS
Dial a Poem Poets: A D’Arc Press Selection (1975). L’un des exemples d’une hallucinante série de 33t que l’on doit aux tontons flingueurs de la beat generation.A la fin des années 60, Giorno avait mis en place un répondeur où l’on pouvait appeler pour entendre un poème. Ces spoken words moins sages que l’horloge parlante donnèrent ainsi lieu à des idées de pochettes particulièrement déviantes.
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ANDY WARHOL
John Cale The Academy in Peril (1972).
Après le coup fameux de la banane du Velvet en 1967, Andy Warhol a entretenu avec John Cale une liaison graphique de loin en loin dont on trouve l’illustration sur Honi soit en 1981 et dix ans plus tôt avec cette pochette, clin d’oeil à un Screen Test réalisé en 1966 avec le même Cale et projeté durant les concerts du groupe. Trois obsessions warholiennes s’y combinent : le voyeurisme, les séries et les marques avec Kodak.
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ROBERT RAUSCHENBERG
Talking Heads Speaking in Tongues (1983).
Le plus arty des groupes new-yorkais a frappé un grand coup en s’offrant l’un des papes du pop pour cette édition limitée, malheureusement pour un disque à l’intérêt lui aussi très limité.
Jouant sur les transparences du vinyle comme de son enveloppe plastique, des possibilités rotatives du disque et des agrégats de découpages/collages, Rauschenberg réalisa un véritable objet d’art manufacturé, que l’on trouve encore miraculeusement pour presque rien sur les sites d’enchères.
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JOSEF ALBERS
The Command All-Stars Provocative Percussion (1960).
Enseignant au Bauhaus dans l’entre-deux-guerres, Josef Albers fut l’un des grands initiateurs de l’art optique.
Loin des ondulations tapageuses d’un Vasarely, l’Allemand, émigré aux Etats- Unis, cultivait plutôt un tracé minimaliste et une géométrie précise. A l’image de cette pochette graphique dont le motif très rythmé mime impeccablement le tempo des percussions gravées sur ce vinyle expérimental.
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BRIAN ENO
Revue Artforum Glint (East of Woodbridge)
Eté 1986, la bible de l’art contemporain au format carré comme celui d’une pochette de vinyle inclut un disque de Brian Eno. Lequel signe du même coup la couverture du magazine américain avec cette composition à la géométrie sourdement rayonnante qui rappelle les couleurs planantes de l’installation que le musicien réalisait en 2005 à la Biennale de Lyon sous la forme d’un quiet club, une boîte de nuit relaxante.
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RAYMOND PETTIBON
Black Flag Slip It In (1984).
Réputé pour ses dessins à l’encre mettant en scène les icônes de la culture pop américaine, Superman en tête, Raymond Pettibon a débuté en donnant un coup de main à son frère Greg Ginn, fondateur du groupe punk hardcore Black Flag.
Ses pochettes en forme de comic strip ont ce ton satirique propre aux artistes de la West Coast qui, comme Jim Shaw et Mike Kelley, membres de Destroy All Monsters, ont très souvent le rock strident pour seconde religion.
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