Inclassables, les funambules Vimala Pons et Tsirihaka Harrivel vont faire un petit tour en France avec GRANDE, une revue extraordinaire qui parle d’amour mais pas que, qui nous embrasse tous avec sa poésie, ses élucubrations et ses numéros bouleversants.
GRANDE, c’est du cirque et du théâtre, des déclamations poétiques, des notes électro et des coups de trompette, des numéros de claquettes, un strip-tease et de hautes galipettes. C’est surtout la plus belle poésie qu’il vous sera donné de voir, une jolie leçon aussi, sur l’amour tel que nous le vivons. L’amour total et sans majuscule, présenté à rebours et en mosaïques. Dans le hall du Centquatre parisien, où le spectacle a été donné à guichets fermés en septembre et octobre, les grandes lettres semblaient déjà nous prévenir, telles le cerbère des Enfers, que nous allions entrer dans un domaine dont nous aurions du mal à définir les contours. C’était vrai, et c’était bien le but affiché par les deux membres du collectif de cirque Ivan Mosjoukine: Vimala Pons et Tsirihaka Harrivel, les chantres sur scène et les génies derrière les ficelles de ce show hors norme en tournée dans plusieurs villes françaises à partir de demain.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Les funambules nous étourdissent dans un contre-la-montre prodigieux, cousent et décousent l’intrigue de vies trentenaires, où l’enfance se perd à regret, où il faut apprendre à se connaître.”
Dans le dédale d’une scénographie sans coulisses ni rideau, devant les yeux écarquillés des spectatrices et spectateurs, l’exercice en 8 revues est mécanique, ça fait soixante fois que les deux complices s’y plient. Pour raconter leur histoire -ou bien la nôtre?-, les funambules nous étourdissent dans un contre-la-montre prodigieux, cousent et décousent l’intrigue de vies trentenaires, où l’enfance se perd à regret, où il faut apprendre à se connaître, à fermer les portes à l’autre et danser avec lui.
Pourquoi n’arrive-t-on pas à lâcher, pourquoi notre coeur pèse-t-il une tonne, pourquoi on s’exprime mal, pourquoi on aime trop, pourquoi on aime mal? Ces questionnements aussi personnels qu’universels sont travaillés sous le pinceau de la métaphore et pour notre plus grand plaisir. Tsirihaka Harrivel est transporté dans les airs, lance des couteaux, danse le quotidien pressé, tandis que Vimala Pons égraine en saccades des personnages grimaçants, s’effeuille jusqu’à la moelle, équilibre sur sa tête de lourds objets qui chancèlent. Comme nous chancelons et jubilons aussi. On a posé 3 questions à Vimala Pons:
“On pourrait croire que c’est une faiblesse du spectacle de voir tout le décor, mais en vrai, tout est une surprise.”
On sort fourbu.e.s du spectacle, qui est assez indéfinissable… C’était le but?
GRANDE, c’est un spectacle qu’on dit avec de la musique, avec de la transpi, avec de l’étonnement. Nous, on trouve que c’est plus drôle en général quand les contours sont flous. La cohérence, les fils, tu les découvres après coup. Si c’est indéfinissable, c’est parce qu’on a une grosse envie de “tout à la fois”. Nous aimons l’esthétique du cirque, et du music-hall, puis c’est aussi une poésie à compléter… Notre dispositif scénique, c’est un gros juke-box, un jeu de société. On voulait dire quelque chose, mais avec le plus d’outils possibles. Le truc “do it yourself”, où on manipule les machines et les accessoires, c’est ce qu’on appelle l’élégance de la nécessité: les objets (Ndlr: des centaines) sont posés sur un établi, détourés comme dans une scène de crime. On pourrait croire que c’est une faiblesse du spectacle de voir tout le décor, mais en vrai, tout est une surprise. On espère que le spectateur voit dans ce ballet des objets un peu de la magie du diamant qui bouge et se pose sur la bonne chanson sans qu’on l’ait vu venir.
© Grande
Vous parlez de surprise, quelle est la place du spectateur dans la conception du spectacle? Est-ce une valse ou un jeu de ping pong?
Ce qu’on recherchait et qu’on a trouvé, c’est un échange d’énergie: avec ce qu’on raconte, on replace chaque personne dans sa solitude à un moment et on étreint tout le monde, aussi, à un autre moment. Le miracle, c’est qu’à la fin de la représentation, on s’est tous constitués un souvenir, ensemble. Et puis, depuis le temps qu’on le joue, devant tous les publics, le spectacle a beaucoup changé. Avant, on était dans un huis clos total, c’est le public qui nous a donné un regard extérieur. On s’est vraiment rendu compte de ce qu’on avait écrit après 20 représentations, et après on a changé des trucs.
“La mort, la fin d’une histoire, la perte d’un boulot, celle de l’enfance: tout ça constitue l’apprentissage de la vie.”
À un moment, dans un hurlement, vous implorez “je me suis organisée pour t’aimer”. Y a t il une façon meilleure de parler de l’amour contemporain?
Finalement, on n’a pas fait exprès de parler de l’amour, c’est après coup qu’on s’en est rendu compte. Mais en vrai, l’amour c’est tout ce qu’on a devant nous. La mort, la fin d’une histoire, la perte d’un boulot, celle de l’enfance: tout ça constitue l’apprentissage de la vie. Je pense que l’amour romantique, central est un truc qui s’épuise. Il y a un truc générationnel passionnant: l’amour aujourd’hui, ce sont les polyamoureux, ce sont les couples exclusifs où le mec ou la nana va voir ailleurs, c’est tout le monde qu’est un peu bi sans y toucher, c’est habiter ensemble ou pas… Bref, on a tendance à aller contre les institutions du couple tradi, mais sans vraiment y croire. On essaie de brûler les idoles. C’est comme ça qu’on provoque son imaginaire: au lieu de se coltiner la réalité, on peut s’en libérer par la composition des choses.
Propos recueillis par Anne-Laure Pineau
{"type":"Banniere-Basse"}