Adriana Cardina Viña, 28 ans, est vénézuélienne. Cette jeune ingénieure en télécom a fui la crise économique et politique qui ravage son pays depuis plusieurs années. Désormais installée à Buenos Aires, en Argentine, elle met toute sa force de caractère pour s’adapter à sa nouvelle vie et ne pas perdre de vue l’objectif de son exil: envoyer de l’argent à ses parents, restés au Venezuela.
“Cela fait presqu’un an que je suis arrivée à Buenos Aires, en Argentine. C’était en novembre 2016. Avant mon départ, j’étais ingénieure télécom à Caracas, au Venezuela, où je suis née. Je suis fille unique et bientôt, lorsqu’ils ne pourront plus travailler, mes parents vont dépendre de moi. L’année avant mon départ, mon père a été gravement malade: il a passé quinze jours à l’hôpital. Il était sur le point de mourir et avait besoin d’antibiotiques. On ne pouvait pas en trouver, alors j’ai dû les acheter au marché noir. Toutes mes économies y sont passées. Mon père est diabétique et ma mère souffre de problèmes de tension. Ils ont tous les deux besoin de soins et de médicaments réguliers. Avec le temps, ça ne va pas s’arranger… La seule solution que j’aie trouvé pour leur fournir ces médicaments en quantité suffisante était de quitter le pays.
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Ces dernières années, la situation économique au Venezuela est devenue insoutenable. La question n’est pas de savoir si le gouvernement te plaît ou non, c’est juste que tu ne peux plus vivre normalement. C’est quasiment impossible pour les jeunes comme moi de s’installer dans une maison ou un appartement. Il est devenu difficile de s’acheter une voiture et même des vêtements, de la nourriture, etc. En 2015, j’habitais encore là-bas et je devais partir tôt du travail pour aller faire la queue devant le supermarché, voir si je pouvais acheter de la farine Pan, celle qu’on utilise pour faire des arepas (Ndlr: une sorte de pain à la farine de maïs). Ma mère, qui est restée au Venezuela, faisait encore la queue il y a quelques mois. Elle sortait de chez elle à 3h du matin et attendait jusqu’à 15h devant le supermarché pour voir si elle pouvait acheter quelque chose. La plupart du temps, ce n’était pas possible. Maintenant, j’envoie de l’argent à ma mère pour qu’elle achète de la nourriture au marché noir.
“Au bout de trois mois, j’ai trouvé un job de nuit dans un kiosque.”
Comme moi, la majorité de mes amis sont partis du Venezuela. De ceux de l’université, je crois qu’il ne reste personne. Du lycée, peut-être cinq. Beaucoup sont allés au Chili, en Colombie, au Panama, en Espagne et au Portugal. Certains ont obtenu l’asile aux États-Unis. La plupart sont partis seuls, certains en couple mais aucun avec ses parents. Au départ, je voulais m’installer en Colombie, mais il y a tellement de restrictions pour obtenir un visa de travail que je me suis dit que ça allait être trop difficile. J’avais beaucoup d’amis vénézuéliens en Argentine qui avaient trouvé du travail rapidement. Ils m’ont dit que les prérequis, grâce au Mercosur (Ndlr: le marché commun d’Amérique du sud), étaient moindres. Alors un mois avant mon départ, j’ai annoncé à ma mère que je n’allais plus en Colombie mais en Argentine.
Adriana Cardina Viña, entourée de sa mère (à droite) et d’amies à Maracay en 2011, DR
Quand je suis arrivée à Buenos Aires, j’ai été hébergée chez une amie qui habite avec son petit copain dans un deux pièces. Je suis restée quasiment un mois à dormir sur le canapé. Cette amie a été géniale avec moi. Elle m’a tout expliqué: comment faire pour obtenir mes papiers, utiliser les transports publics, l’argent, quoi acheter… Elle a été une mère pour moi! Au bout de trois mois, j’ai trouvé un job de nuit dans un kiosque, de 18 h à 3 h du matin, au salaire minimum qui est de 9000 pesos (Ndlr: moins de 450 €). J’avais des problèmes de santé à l’époque, j’étais très fatiguée, c’était dur; et puis, je me suis habituée. J’ai fait ça pendant un mois avant de trouver du travail chez Huawei, la même entreprise pour laquelle je travaillais au Venezuela.
“Aucune info ne circule à l’intérieur du Venezuela.”
Je continue à suivre tous les jours l’actualité de mon pays sur Twitter et CNN. Mais il y a des fois où Internet ne fonctionne pas là-bas, parfois, c’est le réseau mobile qui bugue. Il y a aussi de la manipulation d’information et de fausses vidéos. Tu ne peux pas savoir ce qui est vrai ou non. En une journée, il se passe parfois beaucoup de choses: “Ils ont relâché un prisonnier politique, puis finalement, ils l’ont incarcéré de nouveau”. Ce genre de nouvelles et rumeurs rendent les gens fous. Ma mère, elle, n’est au courant de rien. Parce qu’il n’y a pas d’infos qui circulent à l’intérieur du pays et qu’elle n’a pas accès à Internet. Je lui demande: “Maman, il y a des affrontements importants près de la maison, t’as vu?” Parfois, elle me dit que non, d’autres fois, elle me dit “oui, j’ai senti l’odeur des bombes lacrymo depuis la maison.” Ça lui arrive d’aller acheter du pain et de voir de la fumée. C’est comme ça qu’elle sait qu’il y a des affrontements sur la place pas loin et elle fait demi-tour très vite.
Mon pays me manque. La nourriture surtout, la cuisine de ma mère. Le climat me manque aussi, et les plages. Le vendredi, à Caracas, je sortais du boulot et je rentrais chez moi à Maracay, au bord de la mer, à deux heures de la capitale. Ma mère m’accompagnait partout, je sortais avec elle, on allait au ciné. C’est une mère très, très dévouée, affectueuse; je suis en train de regarder comment la faire venir en vacances à Buenos Aires, mais les billets depuis le Venezuela sont hors de prix…
J’ai toujours voulu vivre à l’étranger, le monde me paraît trop vaste pour rester toute sa vie dans un seul et même endroit. Mais un jour, j’aimerais retourner au Venezuela. Je sens que c’est le lieu auquel j’appartiens. J’aimerais réunir assez d’argent pour m’acheter une maison là-bas et que mes enfants y vivent comme j’ai vécu petite fille. Dans le pays que j’ai connu lorsque j’étais enfant.”
Propos recueillis par Juliette Marie, à Buenos Aires
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