On a écouté sur France Culture cette série de podcasts intitulée Consentement, qui rassemble les témoignages de femmes sexuellement abusées, mais qui ont du mal à utiliser le mot “viol” pour décrire ce qu’elles ont subi, et on vous la conseille fortement.
Un.e Français.e sur cinq considère que “non” veut en réalité dire “oui” dans la situation où un homme tente d’avoir une relation sexuelle avec une femme. C’est ce que révélait une enquête réalisée par Ipsos et par l’association Mémoire traumatique et victimologie en 2015. Et c’est avec ces chiffres que Sonia Kronlund, animatrice des Pieds sur terre sur France Culture ouvre cette série de podcasts intitulée Consentement, dans laquelle des femmes témoignent “d’histoires qui posent la question du consentement sexuel”. Dans le premier épisode, la journaliste Delphine Dhilly donne la parole à deux jeunes adultes qui évoquent leur première expérience intime, marquée par la contrainte, avec des hommes plus âgés et alors qu’elles sont mineures.
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À 14 ans, Anita rencontre un garçon “peu fréquentable”, qui occupe ses journées à fumer et traîner. Le matin où elle décide de le rejoindre au lieu d’aller au collège, elle a le sentiment “de faire une bêtise”. Quelques minutes plus tard, face à lui dans la caravane d’un terrain vague, “il enlève son pantalon, sort sa bite, il bandait” avant de guider le visage de la jeune fille vers son sexe. Elle n’avait jamais eu de rapport sexuel avant ça et n’en avait pas envie. Il insiste: “Mais si… Fais un effort.” Elle lui fait finalement une fellation, puis il l’allonge sur le ventre et la pénètre. Leur relation s’arrêtera là, elle n’en parle à personne et ce n’est qu’à 17 ans, en discutant avec ses amies, qu’elle réalise la gravité de la situation: “Quand j’y repense, je me dis que ce n’était pas normal, c’est peut-être ce qu’on appelle la zone grise.” Pourtant, elle n’utilise pas le mot “viol”.
Margaux a aujourd’hui 26 ans. Adolescente, elle a fait partie d’un club de kayak dirigé par des moniteurs machistes. L’un d’eux fait l’objet de son admiration, au point qu’elle en oublie “les choses immondes qu’il disait”. Elle effectue quelques stages et c’est pendant l’un d’eux que le jeune homme décide de la rejoindre dans sa chambre, visiblement alcoolisé. Ils échangent des caresses avant de se diriger vers les toilettes. Au moment où il la déshabille, et comme si elle respirait enfin après un moment passé en apnée, elle se rend compte de l’erreur qu’elle commet et le repousse. Margaux raccompagne son moniteur dans sa chambre, il lui propose de rester. Rapidement ils se rapprochent et arrive le moment où il tente de la pénétrer. Elle est bloquée, figée et se dit “non ça ne peut pas se passer comme ça” et s’éloigne de lui. Quand ses parents l’apprennent, ils se rendent au commissariat, où on leur explique que le cas de Margaux ne rentre pas dans la catégorie viol. Lui, écope d’un rappel à la loi. La jeune fille culpabilise pendant longtemps pour son comportement hésitant, avant de “réaliser qu’à 14 ans on n’est pas en mesure de prendre ce genre de décision”.
“Je n’ai pas envie mais, en même temps, c’est lui, je suis contente parce que je l’aime beaucoup, il est vraiment beau.”
Ce qui ressort de ces deux témoignages, c’est la culpabilité et l’incapacité de mettre des mots sur une agression. La culpabilité parce qu’avant le rapport sexuel, les deux adolescentes ont pu ressentir du désir et de l’admiration pour l’homme “dont toutes les filles rêvent” qui abusera finalement d’elles. Anita raconte: “Je n’ai pas envie mais, en même temps, c’est lui, je suis contente parce que je l’aime beaucoup, il est vraiment beau.” Ils sont plus vieux et représentent dans le premier cas l’interdit et dans le second, la protection, celle d’un grand frère. La culpabilité toujours parce qu’elles n’ont pas formulé de “non” franc, n’ont pas giflé, mordu ou insulté. On ne parle pas ici de scène de viol par un inconnu ans un tunnel sombre, Anita et Margaux ont été abusées sans être physiquement forcées.
Les deux adolescentes ressortent de ces terribles expériences salies et perdues: comment nomme-t-on un acte sexuel dont on n’avait pas envie mais qu’on a laissé faire, face à un homme auquel on a “cédé”, à 14 ans? Rappelez-vous de cette affaire médiatisée fin septembre dernier, dans laquelle un adulte était jugé pour “atteinte sexuelle” et non pour “viol” après avoir eu une relation sexuelle avec une enfant de 11 ans. Comme l’expliquait Le Monde, le ministère public estimait alors “que dans le cas d’espèce, il n’y avait eu ni violence, ni contrainte, ni menace, ni surprise”, qui constituent la définition du viol. Une véritable zone d’ombre entoure la définition du viol sur mineur et du principe de consentement dans le droit et la mentalité française, qui laisse des victimes désemparées, comme en témoigne cet excellent podcast.
Margot Cherrid
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