Entrepreneure (sponta)née, Fany Péchiodat, fondatrice de My Little Paris, encourage la candeur et préconise l’inexpérience comme source de créativité. À l’occasion de l’ouverture demain de Mona, un lieu temporaire dédié aux femmes et initié par la désormais célèbre newsletter, nous l’avons rencontrée.
Proposer un entretien à Fany Péchiodat revient à lui planter une grosse épine dans le pied. Sa directrice de communication a même tenu à l’accompagner. Non pas pour contrôler ce qui sera dit mais plutôt pour s’assurer que la fondatrice de My Little Paris ne sera pas prise d’une subite grippe saisonnière –et imaginaire- juste avant le rendez-vous. Si cette introvertie assumée est certainement venue répondre à nos questions en boitillant, rapport à l’épine, elle n’en laisse rien paraître lorsqu’elle nous accueille, souriante, dans cette superbe maison du 18ème arrondissement parisien qu’elle loue pour y organiser des évènements et permettre à ses salarié·e·s de s’autoriser parfois le slow work, loin de l’effervescence des bureaux de la start-up à Barbès. C’est drôle, et un brin ironique, quand on sait que ralentir n’est pas franchement le credo de Fany Péchiodat. La devise de cette énergique brune aux longs cheveux châtains, c’est plutôt “mieux vaut essayer vite que réfléchir longtemps”. C’est comme ça qu’à 39 ans, elle est à la tête de My Little Paris, une newsletter distributrice de bonnes adresses lancée en 2008 et désormais déclinée sur plusieurs thèmes comme les hommes –Merci Alfred-, les enfants –My Little Kids– ou encore le mariage –My Little Wedding. La marque s’est également lancée sur le terrain de la vente en ligne en s’engouffrant avec succès dans le commerce des box en 2011 (My Little Box, Gambettes Box). Et, dernier fait d’armes, elle ouvre demain, dans le Haut Marais, Mona, un lieu éphémère dédié aux femmes “pour les aider à faire éclore leurs projets”, qui surfe sur la vague du féminisme. Talks, workshops et cours de danse sont au programme.
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Une boulimie entrepreneuriale
Avec sa religion du “on verra bien”, Fany Péchiodat “rêve toujours assez grand”, fonce et s’embarrasse rarement de doutes, même si elle concède que “la première idée est rarement la bonne”. Les business plans l’emmerdent profondément, elle leur préfère “le côté festif de l’entrepreneuriat”, persuadée que le succès ne tient pas tant dans l’idée que dans la façon dont elle est exécutée. La preuve avec la manière dont elle a renouvelé avec adresse le concept vieillot de la newsletter, à base d’écriture onirique et de dessins poétiques. “Tous mes projets se font en deux mois”, assure-t-elle. Après ce délai, la turbulente passe à autre chose. Bruno Vuillier, directeur général de My Little Paris, qui joue parfois le rôle de frein moteur, confirme son côté ouragan: “Avec Fany, il faut que ça aille vite, elle a énormément d’idées, ça impose parfois un rythme vertigineux.” Une boulimie qui fait qu’aujourd’hui My Little Paris comptabilise une quinzaine de marques, le tout valorisé quand même à 150 millions d’euros. “Elle est très forte pour lancer de nouvelles choses et se renouveler tout le temps”, confirme Maxime Froissant, rédacteur en chef de Merci Alfred. Cette impatiente, dont les marottes peuvent surgir au détour d’une conversation, d’une rue ou d’un plat, exige autant d’elle que de ses équipes. Elle a d’ailleurs “une capacité assez unique à tirer le meilleur de chacun; quand on la côtoie, on ne peut pas être médiocre”, s’enthousiasme Bruno Vuillier. Sa sœur cadette, Amandine, la compare même à une boîte d’allumettes: “Elle est capable d’allumer un truc chez les gens, enfoui ou éteint, dont ils n’avaient pas conscience eux-mêmes.”
“Fany est une conteuse.”
Allumette, elle l’est aussi par sa taille, cette grande femme aux cils allongés a grandi à Clermont-Ferrand, entourée de ses parents et de sa sœur. “Bonne élève”, elle y suit une scolarité sans accroc jusqu’à l’obtention d’un bac scientifique. De son père, ingénieur en travaux publics, elle dit tenir “le goût de l’effort, du travail, de l’honnêteté” ; de sa mère prof d’allemand et de français, celui des mots et aussi “une curiosité et un enthousiasme presque enfantin”. Lorsqu’elle a eu 23 ans, le couple a déménagé dans le Vaucluse pour y ouvrir une chambre d’hôtes. Quand elle leur rend visite, l’entrepreneure a “toujours envie de tout optimiser dans la maison”, la fille aînée, en revanche, préfère se taire: “Chacun son monde…”, glisse-t-elle. À 18 ans, la bachelière quitte l’Auvergne pour suivre une prépa à Paris et intègre deux ans plus tard l’ESCP. C’est à cette époque qu’elle fait la connaissance de Laurent Azoulay, qui deviendra l’un de ses proches amis: “Fany avait déjà une personnalité originale, elle était très curieuse, toujours à l’affût d’expériences et d’histoires rocambolesques, se souvient-il. Elle mettait toujours un peu de sel dans ce qu’elle racontait, elle enjolivait les choses. C’est une conteuse.” Sérieuse, “mais pas focalisée sur la réussite à tout prix” selon son ami, l’étudiante termine son cursus sans grand enthousiasme : “Quand on fait une école de commerce, ce n’est pas une vocation”, lâche-t-elle. Fany Péchiodat commence ensuite à travailler dans les cosmétiques, chez L’Oréal, d’abord comme chef de produit durant deux ans, avant de rejoindre la branche marketing des parfums Jean-Paul Gaultier. Si l’expérience professionnelle en elle-même n’est pas aussi excitante qu’elle l’imaginait, elle retient de ce passage chez le couturier que “le mot ‘impossible’ n’existe pas”: “Il poussait toujours les gens dans leurs retranchements, ça m’a beaucoup influencée par la suite.” Ce ne sont pas ses 130 salariés qui diront le contraire. “Elle a une capacité impressionnante à instiller et infuser l’innovation dans ses équipes”, assure Maxime Froissand. Fatigant ou galvanisant, selon les points de vue.
La discrète
Comme beaucoup de gens, Fany Péchiodat n’aime pas parler d’elle. Et il n’est pas là question de fausse modestie, plutôt d’un “autisme social”, confie celle qui part souvent des soirées la première: “Je suis capable de quitter un dîner à un moment parce que c’est trop…” Aux fêtes, elle préfère d’ailleurs les soirées autour d’un bon repas en petit comité, “avec des gens qu’elle admire et qu’elle a choisis”, souffle sa sœur. En imaginant My Little Paris il y a maintenant neuf ans, la trentenaire poursuivait le rêve de pouvoir “exporter [s]on univers tout en restant planquée derrière [s]on ordi”. Rêve qui a volé en éclats avec les 4 millions d’abonnés à sa newsletter, le rachat de sa boîte par le groupe Aufeminin en 2013 et un chiffre d’affaires qui rendrait jaloux un paquet d’entrepreneur·e·s: 45 millions d’euros en 2016. Mais lorsqu’on lui demande d’intervenir dans une conférence, Fany Péchiodat dit presque toujours non car elle déteste prendre la parole en public. “Pendant une année, je me suis forcée à y aller, en me disant que ça allait passer, mais en fait non…”, certifie-t-elle. Si elle sait que la représentation constitue “une partie de [s]on job”, elle continue d’esquiver les invitations. Pourtant, c’est une “excellente oratrice, souligne Marie-Laure Sauty de Chalon, PDG du groupe Aufeminin. Qui sait bien s’entourer pour éviter d’avoir à faire ce qui lui casse les pieds: “Quand j’ai vendu ma boîte, j’ai pris quelqu’un en free lance pour qu’il dise non à toutes les demandes de presse. Le brief, c’était ‘aucune retombée presse’!”, se rappelle Fany Péchiodat.
La collectionneuse d’adresses
Pourtant, les demandes pleuvent car il est loin le temps où la jeune femme, dans sa chambre, peaufinait l’envoi de son premier mail. C’était en 2008. À l’époque, tous les dimanches, la trentenaire arpente seule les rues de Paris “de 8 heures à minuit”. Elle s’arrête, pousse les portes des boutiques, des bars, des restaurants, cherche “des adresses comme on cherche des champignons”. Un comportement un brin “névrotique”, admet-elle, qui fait rapidement de cette collectionneuse celle que l’on contacte lorsqu’on est à la recherche d’un nouveau resto à tester. “Mes copines, les copines de mes copines et même parfois les mères de mes copines m’appelaient pour que je leur donne des adresses”, se souvient-elle. Le plus simple, après réflexion, serait de leur envoyer un mail. Elle déniche alors un endroit -“un fleuriste qui n’existe plus, avec, dans l’arrière-boutique, un bar illégal qui proposait des cocktails à base de fleurs”-, demande à sa sœur Amandine de rédiger un texte –“Elle a une plume bien plus belle que la mienne”- et à l’illustratrice et amie Kanako Kuno d’imaginer un dessin.
© My Little Paris
Elle envoie ce premier mail à une cinquantaine de personnes qui, avec le bouche-à-oreille, se transforment rapidement en centaines une semaine plus tard. Elles sont 10 000 au bout de six mois. Fin 2008, toujours en poste chez Jean-Paul Gaultier, Fany Péchiodat démissionne, investit 5000 euros -ses économies- et se lance: “On saute dans le vide, il y a un côté un peu flippant mais ce sont des moments où il faut rationaliser le risque”, estime-t-elle. Son entourage s’interroge, ayant du mal à comprendre pourquoi elle quitte ainsi son job: “Les gens me disaient que ce n’était qu’un blog…” La première année est difficile mais bénéfique: “Quand on a peu de ressources, on est beaucoup plus imaginatif, clame-t-elle, l’instinct de survie se met en place. Les start-ups qui vivent sous perfusion financière ne sont parfois pas dans la réalité.” Marie-Laure Sauty de Chalon souligne d’ailleurs qu’elle est “la seule entrepreneure française qu’[elle] connaisse qui n’a pas levé un centime”. Elle a rencontré Fany Péchiodat par l’intermédiaire de Perla Servan-Schreiber, femme de presse et auteure, qui a piqué sa curiosité en lui parlant de “la fille la plus extraordinaire de sa génération”. Rien que ça. La PDG d’Aufeminin n’a, semble-t-il, pas été déçue, elle qui a souvent affaire à des “egos surdimensionnés et des gens plein de convictions”: “Elle a une simplicité, une façon de tout dire qu’on voit rarement dans le business.”
“Tout peut se résoudre autour d’un poulet rôti.”
Si elle avoue du bout des lèvres qu’elle est en couple, Fany Péchiodat vit aujourd’hui seule dans un appartement sous les toits à Beaubourg, après avoir testé tous les arrondissements parisiens ou presque. Cette déménageuse compulsive aime “vivre un quartier au quotidien”. D’éducation catholique, elle ne croit pas en Dieu mais plutôt en la bonne “bouffe”: “Tout peut se résoudre autour d’un poulet rôti”, plaisante-t-elle. D’ailleurs, au bout de six mois, une cuisinière était embauchée chez My Little Paris pour chouchouter les clients alors que “tous nos concurrents les invitaient au Costes”. Des clients qui sont rapidement venus la voir pour apparaître dans la newsletter, appâtés par le nombre croissant d’abonnés. À sa manière, Fany Péchiodat les a convaincus que les bannières pub classiques n’étaient pas la solution: “C’est comme si vous buvez un café avec une copine et qu’elle vous débite un slogan publicitaire au milieu de la discussion.” Aujourd’hui, qu’il s’agisse de Chanel, Dior ou Hermès, le message est toujours le même: “C’est à vous de rentrer dans notre univers, et pas le contraire.” Sur sa table de nuit, on trouve les livres de Sempé: “Sa façon de dessiner Paris, la lumière, les brasseries, les vélos, la grandeur des immeubles haussmanniens et les humains minuscules me touche beaucoup.” Cette fan de Lelouch a du mal à se satisfaire de l’ordinaire: “Elle veut toujours vivre une expérience extraodinaire”, confirme Laurent Azoulay. N’y voyez là aucun snobisme: “Fany n’est pas matérialiste, continue-t-il, cet été je l’ai même forcée à s’acheter des lunettes de soleil un peu cool car elle portait toujours ses lunettes My Little Paris à 3 euros…” Ce qui pourrait l’arrêter? “Le jour où je n’aurai plus envie d’y aller.” La fameuse épine dans le pied…
Julia Tissier
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