La série documentaire collaborative Grandma’s Project donne la parole à des trentenaires et à leurs grands-mères qui, en cuisinant, évoquent leur passé et livrent des portraits de femmes.
Le projet est éminemment féminin et pourtant il a germé dans la tête d’un homme -qui n’a jamais considéré que les fourneaux n’étaient pas faits pour lui. Jonas Pariente, producteur de 34 ans, a hérité de sa grand-mère un profond goût pour la cuisine, et de ces deux amours est né le Grandmas Project. “J’ai eu l’idée de faire un documentaire sur mes grands-mères dès 2005, raconte-t-il. Je voulais parler de mon double héritage culinaire, puisque du côté de ma famille paternelle, juive ashkénaze, on mangeait des plats d’Europe de l’Est, et dans la branche maternelle, juive séfarade, on mangeait de la cuisine égyptienne.” À l’époque, Jonas Pariente est étudiant en sociologie et ne parvient pas à faire aboutir son projet, dont il s’est rendu compte en le tournant qu’il lui permettait de faire raconter à ses aînées leur enfance et une bonne partie de l’histoire familiale qu’il ignorait. Ce début de film lui permet toutefois d’être accepté dans un master de documentaire et nouveaux médias à New York, où il restera quatre années, au cours desquelles sa grand-mère paternelle décède. Il réalise alors qu’il ne peut plus attendre s’il veut développer cette idée et se concentre sur un film plus court, tourné avec sa grand-mère égyptienne. “Parler de cuisine est une porte d’entrée sur l’histoire d’une vie et d’une culture, et c’est vers ça que j’ai voulu me concentrer. Je me suis dit que toutes les grand-mères avaient des choses à transmettre et qu’il fallait faire d’autres films.”
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“Cette génération de femmes a vécu des moments historiques majeurs comme la Deuxième guerre mondiale, la décolonisation ou les premières conquêtes féministes.”
Il contacte d’autres réalisatrices et réalisateurs, qui, séduits par le concept, travaillent bénévolement sur leurs films, quand ils ont le temps. Quasiment dix ans ont passé depuis que son idée est née, entre temps, l’iPhone, Facebook et YouTube ont fait leur apparition, et lui permettent de lancer un appel à d’autres réalisateurs du monde entier. De la Bretagne au Brésil, en passant par le Danemark et l’Égypte, toutes les saveurs sont donc représentées à l’écran.
Et entre deux recettes, ces grand-mères livrent parfois des confessions poignantes, comme cette rescapée des camps qui montre en gros plan son tatouage sur le bras, ou cette octogénaire qui confie trouver “l’hiver de la vie” bien long.
Entre temps, Jonas Pariente est parti à la recherche de financements institutionnels, qu’il a encore du mal à décrocher, mais qui lui ont fait prendre conscience qu’il tient un vrai sujet, à la fois intime et universel. “À chaque fois que je fais un rendez-vous pro, mes interlocuteurs finissent par me parler de leur grand-mère, j’ai compris que ça trouvait un écho chez tout le monde.” C’est via une campagne de crowdfunding réussie qu’il finance sa plateforme et la post-production des pilotes. Aujourd’hui Grandmas Project réunit dix films, majoritairement tournés par des réalisatrices professionnelles (on compte heureusement quelques réalisateurs), et Jonas Pariente continue de chercher des financements pour développer un projet auquel il croit et auquel il aimerait se consacrer à plein temps. Il nous en parle le temps d’une interview express.
Toutes ces grands-mères, que symbolisent-elles pour toi?
Elles symbolisent des histoires familiales particulières bien sûr, mais elles symbolisent surtout une époque. Elles appartiennent toutes plus ou moins à la même génération, née dans les années 20 et 30, et qui d’une certaine façon, incarne un monde qui n’existe plus. Un monde où les jeunes filles apprenaient toutes à faire la cuisine et se destinaient majoritairement à tenir des rôles domestiques. Il y avait déjà des exceptions: l’une de celles qu’on a filmée ne sait pas vraiment cuisiner et on découvre dans l’entretien avec sa petite-fille qu’elle était une intellectuelle et que ça ne l’intéressait pas. C’est cette génération de femmes, qui ont vécu des moments historiques majeurs comme la Deuxième guerre mondiale, la décolonisation ou les premières conquêtes féministes, que j’avais envie d’immortaliser.
Frankie Wallach et sa grand-mère Julia, DR
La cuisine, c’est une affaire de femmes?
Pour cette génération, ça l’était, mais pour la nôtre, ça ne l’est plus. Je sais de quoi je parle puisque c’est moi qui cuisine et m’occupe de toute la partie courses à la maison. Depuis que j’ai des enfants, je comprends encore plus à quel point c’est une transmission. La naissance de mon fils a d’ailleurs été un déclic pour terminer le pilote avec ma grand-mère et relancer le Grandmas Project à un moment où il stagnait.
Comment vois-tu la suite?
Avec ce thème, il y a beaucoup de possibilités à travers le monde. On pourrait imaginer une saison consacrée à un pays ou une région par exemple. On va aussi proposer à des personnalités, qui ne sont pas des professionnel·le·s du film, de nous envoyer des photos de leur grand-mère et de nous raconter une histoire autour. Les formats sont également destinés à évoluer: je vois déjà que les réalisateurs les plus jeunes filment de façon plus effervescente sans même le vouloir, ils utilisent spontanément des GoPro et l’écriture est plus contemporaine. Le Grandmas Project n’est pas seulement collaboratif, il est évolutif, et c’est ça qui me plaît: il peut durer très longtemps.
Propos recueillis par Myriam Levain
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