Quand elle n’écume pas les soirées lesbiennes ou les prides, la photographe Marie Rouge met en scène avec une subtile délicatesse ceux et celles qui troublent les codes du féminin et du masculin.
Mâchoire saillante ou bouille lunaire, le regard rêveur ou défiant, les visages qui passent devant l’objectif de Marie Rouge ont du caractère. “De la gueule”, comme se plaît à dire cette photographe de 25 ans, qui tire le portrait d’une jeunesse queer et de ses nuits. “J’aime photographier les gens qu’on ne voit pas souvent, ceux qui ont des traits atypiques, des visages forts, marqués”, résume-t-elle.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Marie Rouge a grandi dans la campagne normande. Avec l’appareil de son père, elle s’exerce sur les papillons et met en scène son chien. Ado, elle devient son propre sujet et publie des autoportraits sur son Skyblog. “Ça m’a aidée à prendre confiance en moi, à apprivoiser mon image.” Plus tard, elle commence à photographier ses amis. Un déclic. “J’ai compris que ce qui me plaisait n’était pas de me photographier moi, mais de faire des rencontres.” Après un an aux Beaux-Arts de Rennes, elle suit sa petite amie de l’époque à Montpellier où elle tente une fac d’arts plastiques. Elle passera finalement plus de temps à poser pour des photographes que sur les bancs de l’université. Cette expérience la marquera dans sa façon d’envisager la relation au modèle: “J’y accorde de l’importance, car je veux en tirer quelque chose d’intime, de sensible. J’ai envie que ce soit thérapeutique pour la personne, comme ça a dû l’être pour moi.” Suite à ce passage dans le sud, elle arrive à Paris, fait une formation professionnelle, enchaîne les expériences de photographe et de retoucheuse, avant de se lancer en 2017 comme freelance, jonglant désormais entre ses portraits, ses reportages pour la presse ou encore ses portfolios de soirées, notamment les fameuses Wet For Me, organisées par le collectif lesbien Barbi(e)turix.
Marie Rouge en pleine action
À travers un univers onirique et coloré, Marie Rouge s’attache à défaire les a priori sur le genre, sur ce que doit être une femme ou un homme. Pour elle, une photo réussie est une photo qui trouble et questionne. “J’ai envie qu’il se passe un truc bizarre, qu’on se demande ‘qui est cette personne? pourquoi elle est comme ça?’” Ces visages, elle les trouve dans son entourage. “Pour des personnes hétéros, extérieures au milieu queer, mon travail surprend. Elles n’ont souvent jamais vu ce genre de personnes.” Elle reconnaît qu’il y a une approche quasi documentaire dans ses photos de soirées. “J’aime cette idée de capter l’effervescence d’une communauté. J’aimerais bien que dans 20 ans, on se dise ‘alors ça ressemblait à ça les soirées queer à l’époque’.”
“On vit dans un monde tellement dur, on ne peut pas se faire un peu plaisir avec un petit selfie?”
Capter les corps, les visages, cela a pour elle une portée politique: “On a besoin de se représenter pour que les gens sachent qu’on existe. Pour ça et aussi pour les jeunes LGBTQ qui vont se découvrir.” Il y a aussi un esprit féministe assumé dans les photos de Marie Rouge, qui va de pair avec le besoin de se réapproprier son image dans une société qui pousse au dénigrement de soi. “Je suis exaspérée par les critiques sur le selfie. Ça a l’air frivole mais au contraire, je crois que c’est très politique d’avoir le pouvoir sur ce qu’on renvoie, de se sentir beau ou belle.” Convaincue que se réconcilier avec son image ne peut qu’apporter un changement positif, elle a en horreur le cynisme. “Quel est l’intérêt de critiquer des initiatives qui peuvent être positives? On vit dans un monde tellement dur, on ne peut pas se faire un peu plaisir avec un petit selfie?”
© Marie Rouge
La bienveillance avec laquelle Marie Rouge sublime ses modèles confère une grande douceur à ses images. Cette délicatesse, elle la porte aussi avec conviction; ce qui ne l’empêche pas d’être agacée en voyant cette caractéristique constamment accolée aux femmes photographes: “Ça me dérange quand on suggère que les femmes photographes ont forcément des visions douces et délicates.” Elle prend en exemple le travail de son amie Romy Alizée: “Ce qu’elle fait n’a rien de doux, et c’est pourtant une vision de femme.” Des artistes l’ont d’ailleurs marquée dans leur manière de dépeindre les femmes fortes, comme l’auteure Wendy Delorme, la réalisatrice Émilie Jouvet et son documentaire Too Much Pussy!, ou encore la romancière Joyce Carol Oates.
Dans ses références, Marie Rouge cite les freaks de Diane Arbus, l’approche des couleurs de Viviane Sassen, mais aussi le cinéma de John Waters et son esthétique camp (Ndlr: une sous-culture gay), les films de Gregg Araki. Une “gueule” dont elle aimerait tirer le portrait? Virginie Despentes, sans hésitation. “Je l’admire énormément, c’est une icône de notre génération. Il y a une justesse dans ses propos. Elle ne minaude pas, elle y va direct.” Une spontanéité qui séduit forcément cette photographe instinctive, toujours en quête de visages singuliers.
Maëlle Le Corre
{"type":"Banniere-Basse"}