Plusieurs fois par semaine, des bénévoles de l’association pour le développement de la santé des femmes (ADSF) se rendent auprès de femmes précaires pour leur offrir un suivi de santé, qu’elles soient installées dans des hôtels sociaux, des bidonvilles ou dans les rues de la région parisienne. Cheek les a suivies le temps d’une tournée.
“Tu peux m’aider à porter les vêtements?” D’une main, Aurore Camier, 27 ans, referme la porte de sa Twingo bleu foncé. De l’autre, la jeune sage-femme me tend l’un des trois sacs pleins à craquer de vêtements pour bébé qu’elle en a sortis. Il est 18 heures, le soleil tape encore fort sur les murs du Samu social du 12ème arrondissement de Paris. C’est ici que l’Association pour le Développement de la Santé des Femmes (ADSF) gare le camion grâce auquel elle rend visite et propose des consultations gynécologiques aux femmes hébergées dans les hôtels sociaux d’Ile-de-France, en grande majorité des migrantes. C’est donc ici, aussi, que les volontaires se retrouvent ce soir et font le point avec Maria Tuneu, coordinatrice de projet et l’une des deux salariées de l’association.
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Comme avant chacune des tournées qu’ils font depuis 2014, en maraude dans les rues de Paris, dans les bidonvilles qui longent la capitale, ou plus loin en Ile-de-France, les bénévoles vérifient ce qui doit être fait. À quelle femme faut-il transmettre des résultats de frottis? À quelle autre faut-il indiquer que rendez-vous lui a été pris chez un médecin? Maria Tuneu tient le compte, pointant les fiches de chacune. “Surtout, n’oublie pas de donner les informations sur la drépanocytose à celle-ci”, dit-elle, pointant un nom dans le classeur noir qu’elle tend ce soir à Valentina Unfer, 22 ans, une étudiante en médecine qui a rejoint l’association en mars. “C’est la journée mondiale de la maladie samedi, il faut la pousser à aller au centre commercial de Créteil, ils font une journée de sensibilisation.”
Aurore Camier, bénévole depuis à peine plus longtemps, grimpe derrière le volant. Valentina Unfer vérifie le nombre de protections hygiéniques, de couches et de produits de première nécessité disponibles, puis claque la porte arrière du camion. C’est l’heure de se mettre en route, direction l’hôtel social Balladin, à Valenton , dans le Val-de-Marne (94).
Coaching administratif
Sur place, les filles vérifient les allées et venues auprès du gardien: trois nouvelles familles sont arrivées, il faudra demander aux femmes si elles ont besoin de quelque chose. Aurore Camier toque à la première porte: “Bonjour, on est les volontaires de l’ADSF, vous allez bien?” Mariama*, Tunisienne approchant la trentaine, nous invite à entrer. Sur son lit, un poupon de 3 mois, tout de rose vêtu. Camilla est en parfaite santé, sa mère aussi. Mais celle-ci profite de la venue des bénévoles pour poser des questions administratives: Camilla est née en France, en aura-t-elle la nationalité? Les filles la redirigent vers les bureaux de l’Office de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA). Et Aurore Camier de demander: “Côté contraception, vous êtes parée? Vous en voulez d’autres, des bébés?” La réponse fuse: “Si j’avais le choix, j’en ferais quatre, cinq, des bébés! Mais là, vu ma situation, je ne peux pas.” Elle tend le bras autour d’elle pour désigner sa chambre de 9 mètres carrés.
Valentina Unfer © Mathilde Saliou pour Cheek Magazine
Il y a du mouvement, plus loin dans l’enfilade des portes rouges. Pas loin de Mariama, une famille kazakhe a hérité de deux chambres pour caser deux parents et quatre enfants. Valentina Unfer demande à une jeune fille si elle a besoin de quelque chose. Alina* a 15 ans, une longue robe à fleurs boutonnée jusqu’au bout des poignets et un foulard dans les cheveux. Refaisant les lacets de ses Stan Smith, elle interpelle ses proches, à l’intérieur. Tout semble aller.
Le parcours du combattant de l’accès aux soins
Au bout du couloir, en revanche, Sonia* aurait besoin d’aller chez le médecin: elle a accouché il y a trois mois, par césarienne, mais n’est pas encore retournée voir son chirurgien. “J’ai perdu ma carte AME (Ndlr: Aide médicale de l’État), je n’ai pas l’argent pour aller le voir autrement”, explique-t-elle. Et son mari d’ajouter: “Mais il faudrait qu’elle y aille, quand même!”, l’air inquiet. Aurore Camier la presse de demander rapidement un justificatif d’AME. Dans les bras de Sonia, le petit Yaniss se réveille. C’est le seul des trois à avoir droit à des soins médicaux, dans une PMI (Protection maternelle et infantile) du 15ème arrondissement. Ses parents expliquent à la bénévole qu’ils sont justement venus d’Algérie pour raison médicale: Sonia a un problème à la cornée, elle veut se faire opérer de l’oeil en France. Mais une fois l’opération effectuée, quid de la suite? “Ils me disent que j’aurai besoin d’un suivi de trois ans, dit-elle en haussant les sourcils. Mais ça n’est pas possible, on n’a certainement pas les moyens!” Elle part dans un grand rire, comme amusée par ses impossibles obligations médicales. Au bout d’une vingtaine de minutes de conversation, les filles offrent produits de première nécessité et couches pour bébé. Puis elles prennent congé.
Alors qu’elles s’apprêtent à monter au premier étage, Alina* les arrête: “Vous pourriez nous prendre des rendez-vous? Il faudrait qu’on aille chez le dentiste, tous.” Son père fait signe à Valentina Unfer d’entrer. La pièce lui sert aussi d’atelier: des outils et des morceaux de cuirs encore à moitié travaillés sont éparpillés sur la table. Il voudrait demander quelque chose à la bénévole, mais n’a pas les mots. Sa fille traduit: “Il faudrait peut-être un rendez-vous gynéco pour ma mère aussi. Vous pouvez les prendre un mercredi ou un samedi, quand je ne suis pas à l’école? Comme ça je pourrai les aider à traduire.” La jeune fille parle à toute vitesse, Valentina Unfer peine un peu à noter toutes les informations sur la fiche qu’elle vient de créer pour la famille. Traduisant les derniers mots de son père, Alina* ajoute: “Il faudrait que ce soit une femme.”
L’hôtel social, une solution transitoire
Les uns après les autres, des pensionnaires descendent préparer leur dîner. Les deux bénévoles d’ADSF, elles, continuent de frapper aux portes, d’offrir vêtements et produits de soin aux familles. Avec une femme espagnole à qui elles apportent les résultats du frottis réalisé le mois dernier, elles n’échangent que quelques mots, à travers la porte entrebâillée. Valentina Unfer regrette qu’elle n’ait pas ouvert. Dans leurs rapports, les membres de l’association qui l’ont déjà vue ont noté des suspicions de violence conjugale. La mère de l’enfant atteint de drépanocytose, elle, n’est plus là: sa famille a été remplacée par une autre, venue d’Albanie. Valentina Unfer le note dans son classeur. S’il arrive à des volontaires de retomber sur la première famille, ils retrouveront ainsi toutes les données de santé de la mère et de l’enfant dans la base d’informations tenue par Maria Tuneu, grâce aux fiches rapportées par les volontaires à la fin de chaque mission.
Valentina Unfer, Aurore Camier et Maria Tuneu © Mathilde Saliou pour Cheek Magazine
Trois heures plus tard, au bout du couloir du dernier étage, l’équipe donne les derniers résultats de frottis. Aminata* nous invite à entrer dans la chambre surchargée. Elle vit là depuis deux ans avec ses deux enfants. Elle est cantinière à Boulogne-Billancourt, dans les Hauts-de Seine, “pour les sortir de là”, dit-elle, désignant d’un mouvement de tête le plus jeune, qui sort de la douche. Côté santé, elle va bien. Son implant contraceptif la gêne, comme beaucoup de ces femmes qui se le font mettre à peine après avoir accouché, mais le regrettent souvent quelques semaines après. Mais, malgré les désagréments, Aminata ne semble pas décider à le faire ôter. Par acquis de conscience, Aurore Camier lui parle tout de même du stérilet.
Il est un peu plus de 22 heures quand le camion franchit les grilles du Samu social en sens inverse. Avec une dizaine de femmes rencontrées, la tournée de ce soir a été relativement rapide. “Mais il est arrivé qu’on termine à minuit, une heure, raconte Valentina Unfer. Quand on va dans les bidonvilles, pas besoin de sortir le camion car on se déplace à pied, mais on pourrait y rester toute la nuit, tellement il y a de boulot.”
Mathilde Saliou
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