2017 est l’année du centenaire de la naissance de Carson McCullers, une auteure culte de la littérature américaine, qui fit scandale et brouilla les frontières du genre avant l’heure. Pourquoi elle reste une référence pour les jeunes générations.
Il y a cent ans naissait celle que Tennessee Williams qualifierait un jour “d’auteur le plus important d’Amérique”. Carson McCullers, connue pour ses livres Le Cœur est un chasseur solitaire, qu’elle a écrit à 23 ans, ou encore pour Frankie Addams (le film L’effrontée de Claude Miller en est une adaptation) est à l’honneur en 2017: le centenaire de sa naissance est l’occasion de revisiter son œuvre largement autobiographique, qui fit scandale à son époque. Née en Géorgie en 1917, dans le sud des États-Unis, elle rêve d’Alaska tout au long de sa jeunesse. Habitée par l’injustice, elle ne parlera cependant dans son oeuvre que du sud, de cette société qui peine à se débarrasser de la ségrégation raciale et du conservatisme puritain.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Avec son look masculin, ses amours licencieuses et son penchant pour l’alcool, Carson McCullers est une originale. Véritable esclave de l’écriture, elle rend hommage aux personnes à la marge. Pour la journaliste Nelly Kapriélian, qui a préfacé la réédition de L’Horloge sans aiguilles, “elle se savait fragile et voulait signer son œuvre par une protestation contre les attaques faites aux plus vulnérables”. Une démarche qui trouve aujourd’hui encore un écho auprès de jeunes qui n’ont jamais cessé de la lire. Anaïs, 19 ans, étudiante, raconte: “Ce que j’aime par-dessus ses écrits, c’est l’auteure en elle-même. Elle bouscule les normes et écrit à sa manière, en faisant ressortir sa vie.” Un siècle plus tard, le récit qu’elle fait du passage de l’enfance à l’adolescence n’a pas vieilli.
Une œuvre intemporelle
“J’ai l’impression de rentrer dans son être.” C’est par ces mots que Céline Clergé, comédienne de 33 ans, décrit sa passion pour Carson McCullers. Un ressenti partagé par Nelly Kapriélian: “J’avais l’impression qu’elle parlait de moi, jeune Parisienne perdue en 1986.” Catherine Florian, libraire à Violette and Co, la seule librairie lesbienne de France, s’en souvient encore très bien: “C’est une lecture qui m’a marquée, qui a été très importante à l’adolescence.” Lecture de jeunesse? Oui, mais pas seulement. “Trente ans après, ça me parle encore. Elle est juste prodigieuse”, souffle Nelly Kapriélian.
Carson McCullers est l’auteure de la solitude. Ce sujet résonne tout particulièrement chez Céline Clergé. La mère de la comédienne travaillait dans un hôtel. Céline Clergé y a grandi. Il y avait beaucoup de passage, mais elle se sentait “encore plus seule que si [elle] était seule”. La découverte de l’écrivaine, à l’âge de 28 ans, l’aide à se lancer. “Je cherchais des auteures féminines, de l’inspiration pour écrire. Carson McCullers, j’en ai vraiment hérité”, conclut-elle.
Féministe malgré elle
Figure féminine de référence, Carson McCullers était-elle pour autant féministe? Pour Josyane Savigneau, sa biographe, “c’est plutôt l’itinéraire de quelqu’un qui s’est voulu libre, mais qui a peu pensé globalement à la situation des femmes”. Et puis le combat collectif est né bien plus tard, dans les années 70. Néanmoins, elle a payé cher sa liberté de femme et on a même essayé d’attribuer son succès à son mari, Reeves McCullers. La biographe est formelle: “J’ai lu les lettres de Reeves, il n’a pas le talent qu’elle avait.” Et pour la libraire Catherine Florian, c’est bien ce regard de femme qui est remarquable: “Il n’existait pas ailleurs.”
Jugée scandaleuse pour ses fréquentations -notamment Tennessee Williams, ouvertement homosexuel-, ses penchants pour la boisson et le tabac ou encore ses amours sulfureuses (elle épouse deux fois le même homme, en divorce entre-temps), son œuvre n’échappe pas à la critique, particulièrement le roman Reflets dans un œil d’or, une histoire d’homosexualité dans une caserne militaire. La maladie ne l’épargne pas non plus. Enfant, elle souffrait de crises de rhumatisme aiguës, qui, mal soignées, provoqueront plus tard des attaques cérébrales, dont une en 1946 la laissera paralysée du côté gauche. Affaiblie, elle peinera à finir son dernier roman, L’horloge sans aiguilles, qui met d’ailleurs en scène deux hommes qui se meurent, l’un rongé par une maladie incurable et l’autre tenaillé par le souvenir du vieux Sud. Cette existence accidentée et fugace, largement racontée dans son œuvre, a contribué à faire émerger le mythe de cette écrivaine blessée mais opiniâtre.
Queer avant l’heure?
La chanteuse Claude Violante a elle aussi grandi avec Carson McCullers. Comme elle, elle a choisi un nom mixte, pour brouiller les pistes -l’écrivaine avait rapidement abandonné son premier prénom, Lula. “Elle parle des filles qui ne sont pas girly. J’imagine qu’à l’époque tu ne pouvais pas être tomboy, alors que c’est très à la mode aujourd’hui. C’était plutôt moderne comme sujet d’écriture”, explique la chanteuse. Céline Clergé va plus loin: “La question de l’identité est subtilement retranscrite. J’ai l’impression que cette femme pouvait tomber amoureuse d’homme ou de femme et même, qu’elle ne se définissait pas dans un genre particulier.” Aujourd’hui, on dirait probablement d’elle qu’elle était queer.
Josyane Savigneau voit plutôt Carson McCullers comme une femme-enfant, une adolescente éternelle. “Je crois qu’elle n’était pas très sexuée. Elle avait une idée pas conventionnelle de l’amour.” Ce qui explique sans doute que le temps passe et qu’elle reste à travers les époques la voix de la liberté et des opprimés.
Léa Capuano
{"type":"Banniere-Basse"}