Marina Calhoun a tout quitté pour découvrir l’Amérique latine et vit désormais en Patagonie au milieu des gauchos, les cow-boys d’Argentine. Entourée d’une nature splendide et parfois hostile, la Française de 32 ans a su s’imposer dans ce monde d’hommes au rude mode de vie.
Sur la terrasse en bois de l’estancia, les chèvres emmitouflées dans leurs longs poils revêches s’abritent du vent qui balaye la plaine. L’immense pâturage s’étend par strates jaunes, vertes et ocres où se détachent de petits points noirs. En Patagonie, chevaux et troupeaux de vaches se baladent en liberté. Au loin, coiffée d’épais nuages, la cordillère des Andes crache des pics de glace dans un bras du lac Argentino. Derrière le glacier Perito Moreno, le Chili. De ce côté, la province argentine de Santa Cruz. Installée sur une petite colline, l’estancia Rio Mitre semble coupée du monde. Pourtant, à 30 kilomètres de là, des centaines de milliers de touristes débarquent chaque année dans la ville de El Calafate, dont les basses maisons en bois bordent le lac d’un bleu polaire où les flamands roses barbotent.
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Marina Calhoun surgit derrière le comptoir de l’estancia. La peau brunie par le soleil et les yeux d’un azur éclatant, elle affiche un franc sourire. La jeune Française vit depuis deux ans dans ce décor de cinéma. “Je suis tombée amoureuse de la Patagonie puis du fils d’Esteban”, lance-t-elle. Esteban, c’est le propriétaire des lieux, un homme calme à la voix et aux yeux doux, du même bleu que sa belle-fille. Un béret vissé en permanence sur la tête témoigne de ses racines basques.
Changement de vie
Basque elle aussi, Marina Calhoun a grandi dans un petit village près de Bayonne. La jeune femme a 30 ans quand elle décide de tout quitter. “J’ai démissionné de mon travail d’éducatrice, loué mon appartement, vendu ma voiture. J’ai mis six mois pour solder ma vie.” L’objectif? Voir des choses moins tristes que le quotidien de son foyer de jeunes en difficulté. Elle n’emporte qu’un sac à dos direction l’Amérique du sud, avec pour projet de découvrir différents pays. Après trois semaines au Chili, elle s’engage avec un ami comme volontaire dans une estancia au cœur du parc national de Los Glaciares en Argentine. Aucune ville à 200 kilomètres à la ronde. C’est là qu’elle découvre en premier l’univers du gaucho, le cow-boy sud-américain, figure fondatrice de l’identité argentine. Les gauchos travaillent pour des complexes agricoles, les estancias, dont les terres peuvent s’étendre sur des dizaines de milliers d’hectares. Chargés de surveiller le bétail, certains vivent isolés.
“L’Argentine est devenu mon second pays.”
“Pendant deux semaines, j’étais totalement déconnectée. Les gauchos communiquaient uniquement par CB”, se remémore Marina Calhoun. Au petit matin, lorsqu’elle sort de sa cabane pour regarder le soleil se lever sur le plateau andin, elle sait déjà qu’elle ne retournera pas en France. Pourtant, cette première expérience dans une estancia est très douloureuse: “Je ne parlais pas la langue et le responsable me traitait mal. Au bout de deux semaines, j’ai craqué. Avec mon ami, nous sommes partis.” Quelques jours plus tard, Marina Calhoun rejoint l’estancia Rio Mitre pour un nouveau volontariat.
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Deux ans après, “l’Argentine est devenu mon second pays et la famille d’Esteban ma seconde famille”. La jeune femme a pris la tête d’une estancia, où son petit ami Zelmar et elle organisent des balades à cheval. “Elle a toujours été fana de sport: basket, tennis, golf, témoigne sa mère, Colette Calhoun. Elle a été deux fois championne des Landes en cross, même chose en équitation. Elle aurait voulu intégrer une école sportive mais ce fut un échec et une crise d’ado mémorable!”
Un monde d’hommes
Un peu moins rebelle aujourd’hui, Marina Calhoun est toujours dotée d’un solide caractère, indispensable pour vivre parmi les gauchos. Dans cet univers masculin, elle a dû se faire une place. Ici, celle des femmes “est le plus souvent à la maison avec les enfants, pendant que l’homme part à cheval ou s’occupe des travaux de la ferme”, explique-t-elle. Faute d’écoles dans certains coins reculés, les estancias sont de plus en plus désertées par les femmes qui habitent en ville avec les enfants. “Les gauchos sont étonnés de voir débarquer des Européennes ou Américaines qui rêvent de grands espaces et qui n’ont pas peur de l’isolement.” Pas étonnant que de nombreux couples mixtes se forment.
Au contact des gauchos, et notamment de Théo, un ancien salarié de l’estancia Rio Mitre, la jeune Française change de rythme de vie. “Quand je suis arrivée à l’estancia, je me suis retrouvée seule face à moi-même. J’ai eu énormément de temps libre. J’observais, je me baladais, savourais le silence. Si tu n’es pas en contact avec la nature, tu ne peux pas vivre ici !” En avril 2015, le rude hiver patagonien approche. Théo est malade et ne peut plus veiller sur l’estancia. Une place est à prendre, la jeune femme la saisit. Marina passe quatre mois seule à s’occuper des chèvres, des cochons et à aider les animaux qui mettent bas. “La première semaine, je me suis demandé ce que je foutais là! rit-elle. Esteban passait me voir de temps en temps mais il n’est pas très bavard… C’était une période de grosse introspection.”
“Rien ne m’a autant touchée que la vie et les gens en Patagonie.”
Aujourd’hui, Marina Calhoun est partagée entre plusieurs rêves. D’un côté, rester en Patagonie et développer l’estancia. De l’autre, continuer à voyager. Son petit ami hésite lui aussi entre plusieurs voies. “La vie ici est très difficile, très chère aussi. Tu ne peux pas te permettre d’aller au resto, tu ne peux pas aller au ciné parce qu’il n’y en a pas.” Pour arriver à joindre les deux bouts, Marina Calhoun donne également des cours à l’Alliance française de El Calafate. Une grande partie de son argent, elle le dépense pour ses chevaux. Très attachée à la cause animale, la jeune femme ne se sent pas toujours comprise parmi les gauchos. “C’est parfois très dur émotionnellement d’être témoin de violences envers les animaux, les chevaux notamment. Un gaucho a même tué un guanaco (Ndlr:sorte de lama sauvage vivant dans les Andes) que nous avions domestiqué parce qu’il devenait trop dangereux.”
En juin, la jeune femme reprend la route pour la Colombie, d’où elle voudrait rejoindre le Mexique, et pourquoi pas les États-Unis où habite sa tante. Reviendra-t-elle en Patagonie? “Je pense que oui. Rien ne m’a autant touchée que la vie et les gens ici.” Pour l’instant, la jeune femme n’a pas pris de billet retour. Alors que Simone de Beauvoir se demandait “À quoi bon voyager ? on ne se quitte jamais”, l’histoire de Marina Calhoun semble lui répondre: pour se retrouver.
Juliette Marie, à Buenos Aires
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