La couleur des poupées, des chewing-gums et du mauvais tarama est désormais celle des badasses et révolutionnaires de tout poil, fût-il synthétique.
C’est étonnant que Jean-Luc Mélenchon n’ait pas troqué son emblématique cravate rouge contre une pink. Car le plus génération Z friendly de tous les candidats à la présidentielle n’a pas pu ignorer cette vague rose sur le point de déferler sur la France… Cette vague “millennial pink”, devrait-on dire, puisqu’on ne dit plus “rose” tellement cette couleur si longtemps décriée est devenue branchée depuis que Gucci, Balenciaga, Valentino ou Calvin Klein lui ont dédié leurs collections du printemps-été 2017. Appelé aussi “Tumblr pink” ou “Scandinavian pink” en Anglo-Saxonnie où il est officiellement le nouveau noir depuis déjà plusieurs saisons, le “millennial pink” est partout, comme le déplore Véronique Hyland dans un article du New York Magazine publié dès le printemps 2016. De ce côté-ci de l’Atlantique, on s’en réjouit, tellement le rose, c’est surtout le nouveau rouge, i.e la couleur des révolutions sociales et sociétales depuis… trop longtemps.
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C’est la couleur du pouvoir
Le point commun entre Angela Merkel, Hillary Clinton, Christine Lagarde et Theresa May, au-delà de la parité de leurs chromosomes? Une capacité indéniable à casser le plafond de verre*, et un goût prononcé pour le rose, que n’a pas infléchi leur accession à des fonctions traditionnellement occupées par des hommes, pas toujours des plus progressistes (poke Cécile Duflot et le fameux dressgate de l’été 2012). Parlant de progrès… C’est une Melania Trump toute de rose vêtue qui, le week-end dernier, a gracieusement présidé la traditionnelle chasse à l’œuf de la Maison Blanche, après avoir rappelé à l’ordre son époux qui avait omis de mettre sa main sur le cœur pendant l’hymne américain, comme le veut le protocole.
C’est la couleur du néo-féminisme
Alors bien sûr, il y a The Wing, le club féminin-iste aux murs rose millennial dont tout le monde parle à New York et au-delà. Il y a également Thinx, cette marque américaine de lingerie conçue pour être portée pendant les règles, dont l’e-shop est habillé d’un rose militant. Mais surtout, il y a les pussy hats, ces fameux bonnets roses faits à la main dont se sont coiffées les indignées de la Women’s March au lendemain de l’élection de Trump. Dès les années 70, l’anglaise Rozsika Parker salue l’initiative des artistes féministes qui élisent le tricot, la broderie et le point de croix comme mediums pour revendiquer leurs droits. C’est le début du “craftivisme”, cet activisme artisanal prisé par les féministes de la troisième génération comme Debbie Stoller, l’auteur du best seller Stitch’n’bitch, dans lequel elle appelle ses congénères à utiliser les codes traditionnellement féminins -en l’occurrence, le tricot- pour les planter (métaphoriquement) dans le coeur du patriarcat. En tricotant à la hâte des millions de pussy hats, devenus le symbole international de la lutte pour le droit des femmes, ses cousines suivent la tendance de ce féminisme “post prettiness” selon l’expression du Guardian, qui se moque des poncifs féminins en même temps qu’il en use et en abuse. Et ce ne sont pas Katy Perry ou Nicki Minaj, deux des figures de proue de ce pop féminisme militant et adepte des jupettes à volants, des faux-cils et du rose donc, qui nous contrediront… Ni Rihanna, badasse en chef convertie au business de la mode, et dont la dernière collection pour Puma est inspirée de Marie-Antoinette, ponctuée de corsets et de jarretières affriolantes et intégralement rose.
C’est surtout la couleur gender fluid par excellence
Ni masculine ni féminine, le pink millennial est la couleur d’une nouvelle génération pour laquelle le genre compte moins que l’individu. Rien que sa nature, tiens… “Ni vraiment saumon ni franchement rose, le millennial pink est symptomatique d’une génération qui bouscule les codes et les réinvente en permanence, observe le sociologue et historien de la mode Frédéric Godart. Quoique le clivage entre le rose-pour-les-filles, le bleu-pour-les-garçons soit lui-même très moderne, puisque jusqu’au début du XXème siècle, le rose était porté indifféremment par les garçons comme par les filles.” Dans un article du New York Magazine, le critique d’art Jerry Saltz observe d’ailleurs que Michel-Ange et les peintres de la Renaissance représentaient Dieu et les patriarches vêtus de rose, tandis que les ballerines de Degas ou les élégantes de Renoir portaient plus volontiers du bleu que du rose. Un retour aux sources androgynes du rose confirmé par Drake, Zayn Malik, Big Sean ou Kanye West, dont les looks poudrés n’ont pas contredit la virilité bad boy, bien au contraire…
Le mannequin Grégory “Gogo” Lupin en a même fait son signe distinctif et prône carrément de vivre la vie en rose via le hashtag #pinkvision. Et ce n’est pas la très hype marque Pigalle, dont il est l’ambassadeur, qui lui en tiendra rigueur. En effet, selon Fabiana Faria, la responsable du concept store new-yorkais Coming Soon, la couleur est un formidable booster de ventes: “Ça donne bonne mine, c’est subtil, osé mais élégant… Dès l’instant que je mets quelque chose de rose en rayon, il disparaît!” Révolutionnaire, mais pragmatique, le millennial.
Fiona Schmidt
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