Journaliste franco-algérienne, Djamila Ould Khettab a lancé avec une amie Inty, le premier magazine féminin collaboratif d’Algérie. Rencontre.
Tout est parti d’une discussion entre colocataires à Alger centre. Un matin de creux d’actualité, lorsque Djamila Ould Khettab, 28 ans, journaliste indépendante à Alger, lance à son amie Amina Boumazza, 30 ans, journaliste elle aussi: “Et si on lançait un pure player féminin?” Le 8 mars 2016, Inty était né: “Un magazine fait par et pour les Algériennes”, selon les mots de ses fondatrices.
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Leur cible: la génération Y. “En Algérie, les magazines féminins parlent plutôt aux femmes mariées, au foyer, explique Djamila Ould Khettab. Or l’Algérie est un pays jeune:70% de la population a moins de 30 ans. Nous, on s’adresse d’abord aux jeunes femmes, celles de notre génération.” Et qui dit jeunes, dit Web, et même Web participatif. “Au début, je crois qu’on ne savait pas du tout où on allait”, plaisante la jeune femme. “C’était notre première aventure dans l’entrepreneuriat, on apprend sur le tas, ce n’est pas facile mais excitant. Puis on a pensé faire appel aux talents algériens du Web.”
“Il faut arrêter de penser que les Algériens ne sont pas en couple avant le mariage.”
Amina Boumazza et Djamila Ould Khettab se sont donc constitué un vivier de collaborateurs sur le projet Inty. Elles les ont contactés, intégrés à l’équipe puis formés aux techniques d’écriture. “L’accueil a tout de suite été très bon. Cela leur a permis de gagner en visibilité et en professionnalisme grâce à notre encadrement et nos formations”, se réjouit Djamila Ould Khettab. Aujourd’hui, une vingtaine de personnes gravitent autour du site, et la dernière recrue est la slameuse Toute Fine, remarquée récemment pour son court-métrage sur le harcèlement de rue. Maintenant que le magazine -qui vient de fêter son premier anniversaire-, a acquis une certaine notoriété et est reconnu comme le “premier participatif algérien”, le but est de convaincre des investisseurs potentiels de les suivre et les soutenir.
Les sujets abordés sont ceux du quotidien des jeunes Algériennes: transports, marché du travail, logement, mais aussi amour. “Il faut arrêter de penser que les Algériens ne sont pas en couple avant le mariage.” Certains sujets sont à prendre avec des pincettes toutefois, pour ne pas froisser les convictions morales ou religieuses. “On évite le bad buzz. Si l’on doit parler de sexualité, ce qui n’est pas tabou, on évite cependant de tomber dans le trash. On n’est pas dans la course aux clics”, précise la cofondatrice du site. Un positionnement innovant dans le paysage médiatique algérien.
“Alger, c’est plus difficile lorsqu’on est une femme, et surtout loin de sa famille.”
Mais avant de lancer Inty, l’ambition de Djamila Ould Khettab était de renouer avec une partie de son histoire familiale. Née à Montpellier de parents algériens, elle ne connaissait l’Algérie que par bribes de souvenirs estivaux à Mostaganem, à l’ouest du pays. Alors, en 2013, à la fin de son cursus à l’IEP d’Aix-en-Provence puis à La Sorbonne, l’étudiante fait ses valises direction Alger, pour un stage de fin d’études dans un pure player. “Je n’avais pas de réseau en arrivant à Alger pour la première fois, je pense qu’il m’a bien fallu six mois pour m’adapter. C’est encore plus difficile lorsqu’on est une femme, et surtout loin de sa famille.”
Après un passage au Liban, la jeune journaliste se fait embaucher par un autre média Web algérien pendant deux ans, avant de choisir de se lancer dans la jungle du freelance. Aujourd’hui, elle continue à travailler en indépendante pour des médias internationaux, tout en assurant le développement et la gestion d’Inty. Une vraie Worldwide Cheek, qui nous parle d’Alger, devenue sa ville il y a plus de trois ans.
Pourquoi Alger?
Une partie de moi vient d’Algérie, donc j’ai naturellement voulu m’y installer. Et puis, outre le beau temps, il y a des milliers de bonnes raisons de venir à Alger. Par exemple, la vue y est impressionnante dès qu’on prend de la hauteur.
Le truc local auquel tu as eu le plus de mal à t’habituer?
À Alger, lorsqu’on rencontre des gens, les contacts s’établissent très vite, mais ce n’est pas évident de préserver le lien dans la durée. Aussi, en tant que femme, il y a certains désagréments: lorsque je rentre seule le soir, je ne suis pas toujours à l’aise.
Celui dont tu ne peux plus te défaire?
J’aime beaucoup le rapport à l’argent des Algériens. Ici, il y a beaucoup de générosité, on s’invite. On ne partage pas l’addition au centime près comme en France! Cela dit, même en France, j’avais tendance à fonctionner à l’Algérienne sur ce point. (Rires.)
Le jour où tu t’es sentie chez toi à Alger?
Quand je me suis rendu compte que je connaissais plus de raccourcis que les Algérois eux-mêmes. Et surtout, que j’avais plus voyagé en Algérie qu’eux.
Ton plat préféré?
J’en ai trop! Mais celui qui m’a le plus marquée, c’est un plat à base d’un légume qui se trouve dans le désert en Afrique subsaharienne, la “mlohia”. Ça ressemble à la courgette, mais en plus visqueux… Plus courant dans la gastronomie algérienne, j’adore la chakhchoukha, un plat traditionnel à base de fines pâtes et de viande. Et bien sûr, je préfère celle de Biskra, avec la sauce rouge, car c’est la plus traditionnelle!
Ce qui te manque le plus de la France?
Ma famille et mes amis me manquent beaucoup. Et bien sûr, aller au cinéma. Même si j’y vais souvent à Alger, le choix des films et des horaires sont restreints. Sinon, je rapporte souvent de bons fromages dans mes bagages!
Mon carnet d’adresses
Le Bastion 23, Instagram / @thecasbahpost
Mon boui-boui: Il y en a plusieurs rue Tanger dans Alger centre, mais je crois qu’ils n’ont pas de nom. (Rires.) En tout cas, la rue Tanger, c’est la rue des restos populaires à Alger!
Mon bar chic: Le problème, c’est qu’il n’y en a pas vraiment à Alger. (Rires.) Enfin si, récemment le Cosmopolitain a ouvert au Bois des Arcades, près du monument Maqam E’chahid, et l’endroit est victime de son succès!
La visite que je recommanderais à tous mes amis:
Le palais des Raïs, ou Bastion 23, dans la Casbah. Il est bien restauré, et j’adore ses fenêtres qui donnent sur la mer. En plus, il accueille de nombreuses expositions, c’est un lieu de culture! Un autre truc un peu étrange à voir: le Sacré Cœur. C’est une cathédrale avec une coupole élancée. On dirait une sorte d’usine à gaz vu de loin! C’est gris, assez austère, mais on finit par s’habituer et trouver ça beau.
Propos recueillis par Claire Estagnasié, à Alger
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