La réalisatrice kurde Zaynê Akyol signe un long-métrage documentaire féministe et bouleversant sur les combattantes du PKK.
Née en Turquie de parents kurdes, la réalisatrice Zaynê Akyol rend hommage aux combattantes du PKK dans son premier long-métrage documentaire, Terre de roses. Primée dans plusieurs festivals pour ses précédents essais, Zaynê Akyol, qui a grandi et étudié au Québec, explique que “l’exil, l’immigration et l’attente sont au cœur de [ses] premiers essais cinématographiques, qui se déroulent entre le Québec et la Turquie.”
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Pour Terre de roses, la documentariste trentenaire s’est immiscée dans le quotidien des femmes qui luttent dans les rangs du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) contre Daech. “Une façon pour moi de rester en lien avec mes racines kurdes et de réfléchir à l’état du monde, à l’heure de l’intensification des combats au Moyen-Orient et des conflits qui s’internationalisent”, explique-t-elle. Un film intime, poignant et féministe, qui rend hommage à ces femmes qui ont pris les armes contre la barbarie et pour leur liberté. Entretien.
Comment l’idée de Terre de roses est-elle née?
J’ai développé ce documentaire depuis 2010, et son scénario est indissociable de l’histoire de ma vie. Quand j’avais quatre ans, ma famille et moi avons dû quitter la Turquie, car nous étions persécutés en raison de nos origines kurdes. Après avoir émigré au Québec, nous fréquentions régulièrement le centre communautaire de la diaspora kurde dans le quartier de Villeray, à Montréal. C’est là que j’ai rencontré Gulîstan (Ndlr: le titre originel du documentaire est Gulîstan, Terre de roses, c’est donc à cette dernière que Zaynê Akyol rend hommage en filigrane dans son documentaire). Elle avait 15 ans de plus que moi, mais son parcours était identique au mien: nous étions toutes deux québécoises et montréalaises d’adoption, toutes deux d’origine kurde et de confession alévie, et toutes deux du même petit village en Turquie.
“Je visais à mettre en lumière la violence et l’oppression subies par le peuple kurde.”
En quoi cette femme t’a-t-elle autant inspirée?
Je m’identifiais à Gulîstan, nous passions beaucoup de temps ensemble. Je la considérais comme ma grande sœur. C’était une jeune femme aimante et passionnée, qui était très impliquée au sein de l’Association kurde. L’attention qu’elle m’accordait me réconfortait et me servait de point de repère dans ce nouveau pays inconnu. Puis un jour, brusquement, Gulîstan a disparu de ma vie. J’ai su qu’elle était allée à la frontière de l’Irak et de la Turquie pour combattre aux côtés des rebelles kurdes -j’apprendrais plus tard qu’elle y est morte. L’envie de savoir ce qui l’avait conduite à quitter Montréal n’a cessé de m’habiter depuis ce jour, prenant avec l’âge une dimension tant affective qu’identitaire et politique. Qui était vraiment Gulîstan? Quel était son parcours? Que lui était-il vraiment arrivé? Où était cette jeune femme que j’admirais tant?
Tu as tout de suite voulu en faire le point de départ de ton premier long-métrage?
Le destin extraordinaire de Gulîstan donne lieu pour moi à une réflexion féministe, politique et personnelle qui trouve un écho universel dans cette quête identitaire… De Gulîstan à moi, il y a une génération, deux femmes que tout rapproche, mais qui ne se croiseront jamais plus.
Quel message voulais-tu transmettre avec ce film?
Je crois qu’il y en a plusieurs. D’abord, je visais à mettre en lumière la violence et l’oppression subies par le peuple kurde, à conscientiser les gens face à cette réalité qui est très peu connue, à leur donner envie de s’informer sur la situation du Kurdistan. La guerre contre Daech est nouvelle pour le PKK. N’oublions pas que ce mouvement existe depuis 1978 et que ses membres ont pris les armes contre l’État turc en 1984. Le PKK a été créé parce que le peuple kurde vit depuis plus d’un siècle la négation de son existence, en plus de subir des violences dans les quatre pays où il se trouve (Turquie, Iran, Irak, Syrie). Il ne faudra pas oublier ce peuple une fois qu’il nous aura débarrassés de Daech. Il faut aussi entendre ses revendications, qui sont tout à fait légitimes: être indépendant au sein des pays dans lesquels il se trouve.
“Les combattantes du film brisent bien des préjugés, non seulement sur la femme en général, mais aussi et surtout sur la femme au Moyen-Orient.”
Les femmes occupent une place centrale au sein du PKK. Comment voulais-tu les représenter?
Je désirais montrer un autre visage de la femme au Moyen-Orient. Non pas celle que l’on présente souvent, surtout en situation de guerre, comme une victime: celle qui pleure ses enfants, celle qui pleure son mari, celle qui subit. Je voulais plutôt montrer la femme forte: celle qui ne se laisse pas faire, celle qui n’est plus victime des actions de l’homme -la plupart du temps, c’est lui qui déclenche la guerre-, celle qui revendique ses droits et prend les armes s’il le faut. C’est peut-être un portrait choquant, car nous sommes habités par l’image de la femme douce et bienveillante. En tous les cas, je crois que les combattantes du film brisent bien des préjugés, non seulement sur la femme en général, mais aussi et surtout sur la femme au Moyen-Orient.
© Eurozoom
Comment as-tu rencontré ces combattantes?
En 2011, je suis allée pour la première fois dans la région du Kurdistan autonome, en Irak, et j’y ai rencontré Sozdar, le personnage principal. Puis, en 2014, j’ai pu la recontacter lorsque nous avons reçu tout le financement pour le film. À cause de la guerre, je n’ai pas pu faire le documentaire sur Gulîstan, mais j’ai suivi le parcours d’autres femmes qui la représentent. Les guérilleras nous ont rapidement acceptés et elles étaient contentes que nous les filmions. Cela s’est fait tout naturellement.
Selon toi, qu’est-ce qui caractérise le plus ces femmes? Le courage? L’espoir?
Ce sont des femmes qui ne veulent plus être des victimes. Des femmes courageuses et fortes qui veulent participer à cet idéal de société défendu par le PKK. Elles luttent contre les oppressions en tout genre.
“Le PKK soutient qu’il est impossible de rêver à une révolution si la moitié de la population -en l’occurrence les femmes- n’est pas elle-même libre et émancipée.”
Quelles difficultés as-tu rencontrées au moment du tournage?
Elle ont surtout été d’ordre technique. Il faut dire que les conditions de tournage étaient assez extrêmes: dormir par terre, avec des animaux qui rentrent dans les sacs de couchage, chauffer de l’eau pour se laver au milieu de la forêt. Aussi, la nuit, nous ne devions pas allumer de lumière, car des avions turcs pouvaient surveiller la zone. Donc, nous nous levions et nous couchions avec le soleil. Et quand nous faisions les sauvegardes de nos prises, nous devions mettre cinq ou six couvertures par-dessus nous. Déjà qu’il faisait 35 ou 40 degrés, alors imaginez sous des tonnes de couvertures avec un ordinateur qui surchauffe! Dans les montagnes, il n’y avait pas d’électricité; nous utilisions un générateur qui était relié à nous par un très long câble. La nuit, les animaux le rongeaient! Donc, chaque matin, nous devions rafistoler le câble, nous organiser pour que ça tienne. Bref, aucune difficulté majeure, simplement beaucoup d’adaptation.
Le PKK est un parti hautement féministe, peut-être l’un des plus féministes du monde. Pourquoi cela?
Fondé en 1978, en Turquie, par Abdullah Öcalan -surnommé Apo- et armé en 1984, c’est d’abord un mouvement de guérilla d’inspiration marxiste-léniniste visant l’indépendance des régions à majorité kurde. Ce n’est qu’en 2005 que le PKK prône un nouveau système politique qu’Apo nomme le Confédéralisme démocratique. Il revendique l’autogestion du peuple par un procédé de démocratie directe. Le PKK soutient qu’il est impossible de rêver à une révolution si la moitié de la population -en l’occurrence les femmes- n’est pas elle-même libre et émancipée. C’est pourquoi le Confédéralisme démocratique prôné par le PKK s’attaque d’abord au machisme et aux mentalités patriarcales.
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski
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