Leur position sur la prostitution, leur réponse face aux accusations d’islamophobie…: on a posé à Inna Shevchenko quelques questions essentielles pour mieux cerner les Femen.
Médiatisées pour leurs actions coup de poing, controversées pour leurs propos, les Femen choquent pour faire entendre leur féminisme. Fondé en 2008, le mouvement a fait couler beaucoup d’encre et se vit aujourd’hui en France sous l’égide d’Inna Shevchenko, figure majeure de l’organisation. Avant la Journée internationale des droits des femmes et la sortie de leur livre Rébellion, devant pléthore de questions sans réponses ou de propos déformés, se faire sa propre opinion des Femen méritait de tout remettre à plat. Ainsi, 1h30 d’interview avec Inna Shevchenko -retranscrite ici seulement en partie, on vous rassure-, a été nécessaire pour essayer d’appréhender une partie de la vaste question “Qui sont vraiment les Femen?”
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Quelle est votre propre définition du féminisme?
C’est un combat, un engagement des femmes et des hommes. Ce n’est pas une problématique liée à un seul sexe, mais celle d’une société progressiste où personne ne serait discriminé ou limité dans ses droits. J’aimerais que les gens n’éprouvent pas la peur de se déclarer féministe.
Pourquoi protestez-vous seins nus?
Au début des Femen, nous ne protestions pas seins nus. En Ukraine, voir une femme nue est normal, que ce soit sur les panneaux d’affichage ou dans les magazines, mais c’est toujours un seul type de nudité fortement exagéré. Pendant deux ans, nos manifestations n’étaient composées que de pancartes et ne suscitaient que peu d’intérêt de la part des passants. On a alors compris que les citoyens préféraient regarder les femmes plutôt que de les écouter, donc on a écrit les mêmes messages mais sur nos corps dénudés.
“L’action la plus longue et difficile en terme de préparation fut celle pour approcher Poutine. Elle a duré 5 ans!”
Au sein de l’organisation, militer seins nus a tout de suite mis tout le monde d’accord?
Pour être honnête, je n’avais que 19 ans quand les autres membres des Femen m’ont annoncé leur intention de s’indigner à demi-nues. Je me suis tout de suite dit que c’était totalement fou et ridicule de combattre la prostitution ainsi. Un an plus tard, je me suis enfin décidée à protester et ne me suis, paradoxalement, pas sentie dénudée. A cet âge-là, je ne connaissais que la nudité sexuelle. Cela peut sembler assez naïf, mais ce premier acte a été une totale libération.
Les hommes sont-ils acceptés au sein des Femen?
Oui, bien sûr, nous avons des hommes parmi nous. Ils ne prennent cependant pas part aux actions, car nous estimons que c’est seulement un moment pour les femmes. Parfois, les hommes nous aident ponctuellement comme lors de la Manif pour Tous. Nous avions prétendu être des couples hétérosexuels pour pouvoir entrer discrètement dans le cortège, avant que les hommes ne se retirent pour laisser les femmes passer à l’action. Autrement, les hommes peuvent aussi bien nous apporter leur aide en effectuant des recherches, écrivant des communiqués ou plaidant notre cause au tribunal.
Justement, combien de temps en amont se prépare une action?
Cela dépend vraiment de l’action en elle-même. Avec Trump, les recherches ont duré un mois pour trouver le bureau où il comptait aller voter. Cette information n’est bien sûr pas publique pour des raisons évidentes de sécurité, alors nous avons passé du temps à réfléchir sur comment entrer et sortir du lieu. D’autre fois, cela ne prend que deux ou trois jours. Mais l’action la plus longue et difficile en terme de préparation fut celle pour approcher Poutine. Elle a duré 5 ans!
L’une des critiques les plus vives à votre égard est que les Femen ne montrent pas la diversité. Quelle serait votre réponse face à cette uniformisation des membres?
La critique est arrivée seulement lors de notre installation en France. En Ukraine, les Femen étaient effectivement standardisées. Néanmoins en France, les membres sont tous différents: femmes aux cheveux courts ou longs, étudiantes ou mères de famille, fines ou plus enveloppées. Si elles sont perçues comme identiques et jolies, c’est exclusivement à travers le regard des médias et des personnes.
Quel est le point de vue des Femen sur la question de la prostitution?
Le mouvement des Femen a d’abord été créé contre la prostitution et l’industrie du sexe. Je n’ai aucun problème avec la liberté sexuelle, même si cette idée était au départ assez choquante pour la jeune fille d’Europe de l’Est que j’étais. Sur le chemin entre mon appartement et l’université, chaque jour un flyer atterrissait entre mes mains, proposant des postes d’hôtesse ou de danseuse. Avec le temps, ces emplois se transformaient en prostitution et les femmes finissaient dévorées par l’industrie. J’accepte l’idée de prostitution par choix, mais suis définitivement contre l’idée d’un marché du corps. Que quelqu’un soit le propriétaire du corps d’une femme et le vende comme un produit est extrêmement douloureux pour moi. Encore une fois, je tiens à préciser que faire l’amour de façon consentie, contre de l’argent ou autre, ne me pose aucun problème. Par opposition, les Femen se battent contre l’industrie du sexe et son business grandissant.
“Je pensais que les droits des femmes étaient ancrés dans le pays de Simone de Beauvoir.”
Les Femen ont été jugées islamophobes lors de leur intervention en Tunisie pour Amina Sboui, pourriez-vous relater les faits?
Encore une fois, c’est une critique infondée insufflée par un mouvement en lien avec les fondamentalistes en Angleterre. Pour relater l’histoire, Amina, que nous ne connaissions pas auparavant, nous a écrit qu’elle se sentait connectée aux Femen et souhaitait faire bouger son pays. Elle a alors posté une photo sur Facebook que nous avons repostée. Nous sommes ensuite allées en Tunisie pour la soutenir lors de son jugement. Elle faisait face à neuf ans de prison pour une simple photographie. Me dire que je ne peux pas parler au nom des droits des femmes, parce que je n’ai pas grandi dans un pays en particulier, avec une certaine couleur de peau ou une religion bien définie, me semble aberrant.
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Quel est le processus pour devenir un.e Femen?
Généralement, les potentielles recrues nous envoient un mail ou un message sur Facebook. Nous les appelons et les rencontrons ensuite en groupe dans des espaces publics. C’est l’occasion d’exposer clairement nos idées et de débattre. Si le courant passe bien, et si la future recrue souhaite devenir activiste, nous lui prodiguons un entraînement sur toutes nos règles et tactiques, comme apprendre à crier ou se protéger face aux forces de l’ordre. A mon arrivée en France, je n’avais honnêtement aucune idée du futur des Femen. Je pensais que les droits des femmes étaient ancrés dans le pays de Simone de Beauvoir. Finalement, c’est bien ici que nous avons été condamnées la première fois pour exhibition sexuelle.
Es-tu heureuse avec les Femen en France? J’ai lu dans un article que tu aspirais à ce que ses membres soient plus dévoué.e.s.
J’aspire naturellement à ce que le mouvement s’étende au delà de sa présence dans neuf pays. Nous avons traversé tellement de difficultés que chaque année nous rend plus fort.e.s. Bien sûr, j’aimerais que plus de personnes s’engagent dans notre mouvement, car parfois nous perdons la force. Cela devient de plus en plus difficile de contrecarrer toutes les attaques déformant nos propos. Mais au final, être une femme sera encore pour un bout de temps un combat, et je n’abandonnerai pas.
Propos recueillis par Solenn Cordroc’h
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