La réalisatrice Andrea Arnold traverse les corps de jeunes Américains dans American Honey, dont celui de Star, incarnée par Sasha Lane, allégorie de la résilience. Un personnage féminin qui se bat pour sortir de la vie dans laquelle elle est tombée. Sa renaissance illumine chaque plan en mouvement de la réalisatrice britannique qui signe au passage le portrait d’une Amérique au soleil couchant. Nous avons rencontré Sasha Lane, puis Andrea Arnold.
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Article publié en partenariat avec Le Deuxième Regard
Entretien avec Sasha Lane
Nous sommes au plus proche de Star pendant tout le film, comme si son souffle et sa peau s’imprimaient sur la pellicule. Andrea Arnold t’a-t-elle expliqué comment elle allait te filmer?
On n’a jamais parlé de la manière dont elle filmait mon corps. Quand on s’est rencontrées, elle m’a d’abord posé beaucoup de questions sur moi, sur qui j’étais. La caméra me suit partout, c’est pour ça que vous avez l’impression de sentir ma peau, Andrea sait filmer la manière dont ma paupière vacille. Mon jeu est beaucoup basé sur l’énergie, j’avais l’impression qu’elle captait l’état dans lequel j’étais. Cela me semblait vrai. Je voulais que mon énergie transcende la caméra.
Comment t’a-t-elle dirigée pour la scène de sexe avec Shia LaBeouf?
Andrea voulait que ce soit moi qui ait le contrôle, elle me disait: “Monte lui dessus”, “Tu le domines dans ta respiration”. Robbie Ryan (Ndlr: le directeur de la photo) était si près de mon visage et de mon corps, mais je ne me sentais jamais exposée. Ce n’est pas qu’une scène de sexe, tu regardes un moment de vie. J’ai vu la scène pour la première fois avec mon frère, donc c’était bizarre, mais je suis heureuse d’avoir fait une scène de sexe comme celle-là.
“Mignonne ne veut pas dire faible.”
Penses-tu qu’il y ait une manière différente de filmer les actrices quand c’est une femme qui réalise?
Je n’ai pas encore travaillé avec un homme réalisateur, mais je pense qu’il y a une différence car, quand je travaille avec Andrea ou d’autres femmes réalisatrices, elles voient des personnes avec plusieurs couches. Surtout les personnages féminins. Dans American Honey, Andrea voyait tellement de choses en moi. Même quand mon personnage se retrouve dans des situations compliquées où elle a besoin que les hommes lui donnent de l’argent, Andrea ne transforme pas Star en victime. Elle montre l’échange comme un business deal. Le personnage principal est quelqu’un qui frappe l’imagination, ce n’est pas juste une fille qui tombe amoureuse. Personne ne vient la sauver. Elle tombe amoureuse mais on sent que c’est elle est qui fait ses propres choix, elle n’a pas besoin de suivre Jake ou son père. C’est rafraîchissant de voir un personnage comme ça et de faire partie de ce changement. Ça me rend fière.
Sur Instagram, tu as écrit: “Je ne suis pas une misérable, une Cendrillon ou chanceuse, je suis putain de résiliente”. C’est important pour toi de jouer dans un film où le personnage féminin n’est pas perçu comme une princesse?
Avec tout ce que Star a vécu, elle aurait pu devenir une vraie connasse, mais elle prend sa vie entre ses propres mains et se montre résiliente. Mentalement et physiquement. Elle se relève quand elle est au sol. À un moment de mon existence, j’étais sans espoir et j’ai fait le choix de changer ma vie, de me lever et de dire “fuck off ”. Je lisais le livre Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estés et je me suis fait tatouer cette phrase: “The wild Within”, parce que je n’ai pas envie d’être une Cendrillon qu’on doive sauver. Les femmes sont sauvages et peuvent embrasser leur sexualité, leurs opinions et leur force, tout en étant mignonnes. Mignonne ne veut pas dire faible.
Entretien avec Andrea Arnold
Quelle vision de l’Amérique as-tu eu envie de donner dans American Honey?
J’ai grandi avec une image de l’Amérique issue du Magicien d’Oz. American Honey est un mélange d’images mythiques -les cowboys et les ours-, et d’une ambiance comparable aux conte de fées avec la réalité des road trips que j’ai faits.
“Comparable aux comptes de fée” parce que l’histoire de Star n’est pas vraiment celle d’une princesse moderne…
On m’a dit qu’il n’y avait pas vraiment d’histoire dans le film, mais pour moi, Star a une trajectoire, ce n’est pas parce qu’elle ne termine pas avec un garçon qu’elle n’a pas d’histoire! Pour moi, son histoire est qu’elle découvre son propre pouvoir. J’ai ma propre idée de comment les choses peuvent être pour les femmes, peut-être qu’il n’y a pas de prince charmant ou de “princesse charmante”!
“Le sexe au cinéma ou sur Internet est souvent montré avec une intention particulière, pour moi c’est comme dormir, ou manger.”
La scène de sexe du film est extrêmement intime tout en gardant une certaine distance, comment atteindre cet équilibre?
Mon directeur de la photo Robbie Ryan sait cadrer avec un certain respect. Le sexe fait partie de la vie. C’est une partie importante de nos existences et de qui on est, donc je voulais que ça soit dans le film. Il faut marcher sur une fine ligne et c’est compliqué, car je sais qu’une scène peut prendre une tournure voyeuriste et même pornographique. Mais en même temps, il faut montrer le sexe parce que c’est aussi une manière de s’exprimer! Le sexe au cinéma ou sur Internet est souvent montré avec une intention particulière, pour moi c’est comme dormir, ou manger. Je veux montrer que ça fait juste partie de nos vies.
Montrer une femme sexuelle sans la sexualiser c’est aussi une intention, ça peut même être perçu comme un geste politique, non?
Je veux représenter ma vision du monde et je pense surtout à la représentation des classes et de l’inégalité. Cela inclut aussi sûrement la question du genre. Je me souviens d’être allée au Festival de films de femmes de Créteil où il montraient mon court Wasp et de pleurer tellement devant la projection de ces films. Tout simplement parce qu’ils reflétaient ce que c’était être une femme. Je me suis rendu compte, à ce moment-là, que j’avais grandi en ne voyant que des films qui n’étaient pas faits par des femmes. Enfin, je voyais des films qui montraient la réalité. Et une réalité féminine.
Propos recueillis par Iris Brey
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