Le 27 janvier, Fishbach sortira son premier album, A ta merci. Rencontre avec ce nouvel espoir de la chanson française venu du nord.
Janvier, une fin d’après-midi détrempée à Paris, dans un bistrot du 9ème arrondissement. Un peu en avance sur l’heure de l’apéro, Fishbach trinque au Picon bière. Après trois années passées dans la capitale, la chanteuse se sent parisienne mais reste ardennaise dans l’âme. “Je suis une gamine du nord, où on a la tradition de la bière. À Paris, elles ne sont pas toujours très bonnes, parce qu’ils ne purgent pas les tuyaux. Alors par prudence, j’ajoute un peu de Picon.” Emmitouflée dans un large pull gris, l’une des plus troublantes révélations de la chanson française, 25 ans seulement et une voix sans âge qui vous transperce, occupe la chaise d’en face. À l’image de la météo, mélancolique, ses chansons grises évoquent le Béton mouillé ou L’Invisible dégradation de l’univers. Sur des synthés cafardeux, une guitare rachitique ou au-dessus d’arrangements foisonnants, Fishbach joue de ses cordes vocales. Mélodiste hors-pair, parolière costaude qui s’affirme seule après s’être longtemps fait aider pour l’écriture, la jeune femme fait partie de la génération de françaises vingtenaires qui portent la chanson 70 et 80 en héritage (dans des genres totalement différents, on pense à Juliette Armanet, Blondino ou Cléa Vincent).
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Originaire de Charleville-Mézières, élevée par un papa routier et une maman aide-soignante dont elle parle beaucoup, aînée d’une sœur, Flora Fischbach (un “c” en plus à l’état-civil) a claqué la porte du lycée à 15 ans pour devenir vendeuse de chaussures à mi-temps. Avant d’emménager, deux ans plus tard, avec son copain, “un type musicien qui faisait du métal” et qu’elle a abordé à la sortie d’un concert. Grâce à lui, elle fait ses premiers pas derrière le micro. Elle ne joue d’aucun instrument, mais son bagout et sa “gueule” incitent le type-qui-faisait-du-métal à l’embaucher comme chanteuse. Le groupe, au patronyme impossible à retenir -on lui a demandé mais on n’a rien compris-, dure quatre ans et fait dans la veine cold wave, comme le duo 80’s Kas Product, qu’elle cite pour donner une idée. Sous l’égide de ce “pygmalion”, comme elle le caractérise aujourd’hui sans rougir, elle trouve dans la musique un exutoire, un équilibre. À la fin du groupe, elle continue en solitaire et choisit Fishbach, son nom de famille seul mais sans le “c”, comme patronyme. “Le projet s’appelle Fishbach et non Flora Fischbach parce que j’ai voulu séparer la scène et la vie. Sur scène, c’est seulement une partie de moi. Fishbach, c’est mon côté obscur. Ce qui me permet d’être plus sereine et plus douce dans la vie.”
“Ma famille, c’est un peu Six Feet Under.”
Dans la vie, ou en tout cas en interview, Flora Fischbach est effectivement loin d’être aussi dark que ses chansons. Elle est drôle, bavarde, possède une batterie de savoureuses expressions du nord, et parle de trucs graves avec la légèreté d’une bonne mousse. Elle avoue être une incurable romantique, une vraie sentimentale, et en avoir bavé en amour. Beaucoup de ses morceaux d’écorchée vive parlent de ça. Et pourtant, quand on lui demande si elle est du genre à collectionner les mecs, elle répond dans un éclat de rire que c’est loin d’être le cas: “Très peu peuvent se vanter d’avoir pécho Flora Fischbach!” Elle aime bien parler de la mort, aussi. Le sujet la passionne. “Ma famille, c’est un peu Six Feet Under, raconte-t-elle, j’ai un oncle croque-mort. Je n’ai pas peur de la mort. Je suis agnostique donc, pour moi, la mort sera une réponse.” Flora Fischbach a quitté l’école avant même le lycée, mais elle fait preuve d’une pensée solidement construite. C’est une sorte d’intellectuelle qui s’ignore ou, en tout cas, qui n’en a pas les manières. Quand on lui demande comment elle a fait son apprentissage personnel, elle répond que c’est “par Internet”. Les livres? Elle avoue n’en avoir pas lu beaucoup et explique que son rapport à la culture tient surtout du divertissement. Son truc, c’est la SF, le fantastique. Ah oui, elle a aussi adoré L’Eau et les rêves de Gaston Bachelard, ou “des trucs” de Lacan qu’elle a trouvés “magnifiques”.
Pour l’essentiel, l’Ardennaise a surtout appris sur le terrain. Son quart de siècle ne l’empêche pas d’avoir eu plusieurs incarnations, et après avoir refourgué du soulier, elle a gagné sa vie en tant que photographe de sport ou guide au château de Vincennes. Comme souvent, c’est à la tchatche qu’elle a trouvé ce dernier job: elle qui devait simplement arracher les tickets à l’entrée a finalement convaincu sa hiérarchie qu’elle pouvait très bien apprendre l’Histoire et effectuer des visites. “Je n’étais peut-être pas la plus calée en la matière, mais j’avais mon propre ton, très franchouillard, et ça plaisait”, se souvient-elle. Un petit boulot qu’elle a adoré, jusqu’au jour où l’un de ses collègues s’est suicidé: “Ça a foutu un peu le brin.”
“Ça me plairait de faire de la musique là où les gens en ont besoin.”
Farouchement terre-à-terre, Flora Fischbach a aussi bossé à l’usine et sait qu’elle “peut y retourner” un jour ou l’autre. Le bouillonnement critique et médiatique autour d’elle lui laisse la tête froide. Son projet de vie, si Fishbach devait tourner court, serait de monter des ateliers de musique pour les personnes âgées. Une activité qu’elle a déjà exercée, qu’elle a dû abandonner face à son succès croissant en tant que chanteuse pop, et qu’elle se verrait bien reprendre un jour, en compagnie de sa maman. “On monterait une boîte ensemble. Ça me plairait de faire de la musique là où les gens en ont besoin.” Quand on lui demande à quel point l’état du monde affecte ses chansons, elle répond qu’elle ne fait pas de la musique engagée, “alors que je pense l’être un peu. Je me sens concernée par le monde dans lequel je vis”. En la matière, son grand modèle, c’est Daniel Balavoine, dont elle loue les textes qui ont du sens, mais aussi de la finesse. “Aujourd’hui, il n’y a que dans le rap qu’on trouve cette forme d’engagement un peu maligne et populaire. Je n’aime pas vraiment cette musique, mais je la comprends, et j’admire que les mecs prennent des risques.”
Des risques, elle reconnaît en avoir toujours pris. Et son audace a payé. Fin 2016, Fishbach a eu l’honneur de se voir confier la Création musicale des Trans Musicales, soit une résidence suivie de cinq soirs de représentations pendant le festival. Avant elle, des musiciens au parcours aussi enviable que Stromae ou Jeanne Added se sont prêtés à cet exercice, qui mêle live et mise en scène. Pour Fishbach, cette première scène accompagnée d’un vrai groupe s’est apparentée à une épreuve du feu. “J’ai pris cher. Je suis too much, je fais tout à 200%. Je voulais tout contrôler et je me suis fait mal physiquement. Mais j’ai appris de mes erreurs. Les gens qui m’entourent sont talentueux, je n’ai pas besoin de tout maîtriser. Il faut que je me concentre sur l’essentiel et surtout, que je gère mon énergie.”
Relever ce défi semble en effet primordial à quelques jours de la sortie d’A ta merci, un premier album attendu qui sera accompagné d’une tournée en France, dont une date parisienne à la Cigale. “Je flippe, tu sais pas comment”. Et d’avaler une gorgée de son demi pour se donner du courage. Comme si elle en avait déjà manqué.
Faustine Kopiejwski
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