Dans un mois, c’est la Saint-Valentin. Vous la fêtez, ou au contraire, vous mettez un point d’honneur à la boycotter. Dans l’un ou l’autre des cas, il y a de grandes chances pour que vous ne sachiez finalement pas grand-chose de l’histoire de cette fête des amoureux. À l’occasion de la sortie du livre de Jean-Claude Kaufmann, Saint Valentin, mon amour!, on a fait le point.
Il y a ceux qui la fêtent avec plaisir, s’offrent des fleurs, des cadeaux et réservent toujours une table au restaurant. Puis, il y a ceux qui la rejettent en bloc, se plaignent de son conformisme et détestent son aspect commercial. Si la Saint-Valentin ne met personne d’accord, peu nombreux sont ceux qui connaissent son histoire. “Pleine de rebondissements et de surprises”, écrit le sociologue Jean-Claude Kaufmann qui vient de lui consacrer un livre, intitulé Saint Valentin mon amour!.
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Si, au début, concède le sociologue, “on se dit que c’est typiquement le genre de sujet sur lequel il n’y a rien à dire, que c’est simplement une fête consensuelle et routinière”, on découvre au contraire dans ce riche et dense ouvrage que l’histoire de la fête des amoureux est particulièrement complexe. D’ailleurs, Jean-Claude Kaufmann a dû faire face à pas mal de difficultés lors de son enquête, car “il n’y a pas des milliers de références, ni de vrai travail scientifique sur la Saint-Valentin” et qu’il a parfois été délicat de faire la part des choses entre les informations crédibles et la légende entourant cette fête.
La Saint-Valentin va passer par plusieurs phases: elle prend son envol durant les carnavals amoureux de la jeunesse qui ont lieu en février dès le Vème siècle, va ensuite opérer un tournant poétique avec l’invention de l’amour courtois au XIIème siècle, et enfin un tournant commercial décisif après moultes péripéties au milieu du XIXème siècle, notamment aux États-Unis. Voici 9 choses que vous ignoriez certainement sur la Saint-Valentin, commentées par Jean-Claude Kaufmann himself.
1. On ne sait pas vraiment qui était le saint Valentin
“Il y a eu en effet plusieurs saints qui s’appelaient Valentin, certaines sources disent 8, d’autres disent même plus. Mais souvent, ils n’avaient rien à voir avec l’amour, il y avait un saint contre la maladie des vignes, un autre contre la maladie des vaches, etc… Par exemple, le village de Saint-Valentin, dans l’Indre, a acheté au Vatican des reliques d’un saint prénommé Valentin, et a développé toute une série d’animations autour de la fête des amoureux, or ces reliques, ce sont bien celles du saint Valentin contre la maladie des vignes! Il y a quand même un saint Valentin qui pourrait être le bon, il n’est certes pas le patron des amoureux, c’est un homme pieux, mais il célèbre des mariages. C’est l’une des raisons qui font qu’il va être assassiné par le pouvoir romain un 14 février au IIIème siècle. Mais la véritable histoire de la Saint-Valentin débute avec les carnavals de février, des fêtes amoureuses un peu subversives. À l’époque, un cadre moral très strict interdit beaucoup de choses aux jeunes et ces rituels permettent un peu de liberté amoureuse. L’Église a essayé de lutter contre ces fêtes, notamment le Pape Gélase, vers les années 400. Il a essayé de mettre en place des contre-feux comme la fête de la Chandeleur, mais ça n’a pas diminué les carnavals.”
2. Le mot valentin a longtemps désigné le cadeau que l’on se faisait pendant la fête des amoureux
“Le mot valentin a désigné beaucoup de choses. Il y avait en effet les cadeaux que l’on s’offrait à cette période. Puis, dans le tournant poétique, notamment en Angleterre, les valentins désignaient aussi les cartes que les gens s’écrivaient pour dire leur amour. Un peu avant, à l’époque des jeux amoureux de février, un comité des jeunes désignait des valentins et des valentines. Chacun devenait valentin et valentine et avait alors une double identité. En tant que valentin, on avait beaucoup plus de libertés sexuelles que durant la vie habituelle.”
“Pendant 2000 ans, les autorités religieuses, policières et politiques ont mené la chasse à toutes les formes de carnavals amoureux, qui plus est à la Saint-Valentin.”
3. Il n’y aurait pas eu de Saint-Valentin sans les ours
“En effet, et c’est très important! Après les carnavals amoureux, les loteries avec les valentins et les valentines, il y a eu les fêtes de l’ours. En février, dans les régions boisées, montagneuses, les hommes se déguisaient en ours et essayaient d’attraper une femme. Ensuite, il l’amenait dans sa tanière. On ne sait pas trop ce qu’il s’y passait, ça ne se limitait certainement pas à un petit flirt. C’était brutal et pas forcément consenti par les femmes enlevées. Les autorités morales et religieuses font d’ailleurs à l’époque la chasse à ces fêtes de l’ours. C’est d’ailleurs sans doute pour cette raison que l’ours a cette réputation d’avoir une sexualité débridée.”
4. Au XVIIIème siècle, fêter la Saint-Valentin pouvait vous coûter une amende
“Pendant 2000 ans, les autorités religieuses, policières et politiques ont mené la chasse à toutes les formes de carnavals amoureux, qui plus est à la Saint-Valentin. Et en effet, au XVIIIème siècle, il y a un décret de police qui définit des amendes, il est alors interdit d’échanger des mots doux ou des baisers. D’ailleurs, à la fin du XIXème siècle, après 2000 ans de combat acharné des autorités, la Saint-Valentin finit par disparaître. Dans certains pays, il est encore interdit ou mal vu de fêter la Saint-Valentin.”
5. Au XVIIIème siècle, en Angleterre, il existait même des manuels pour apprendre à rédiger des mots d’amour à l’occasion de la Saint-Valentin.
“En Angleterre, à l’époque du tournant poétique, la Saint-Valentin marche très fort. Le soupirant va rédiger un petit chef d’œuvre littéraire et ce mouvement se développe tellement que chacun va vouloir s’y mettre. Mais tout le monde n’est pas poète, donc toute une série de manuels vont être publiés avec des modèles types de poèmes.”
“C’est finalement une réflexion marketing qui a mené la Saint-Valentin aux États-Unis à s’adresser non seulement aux couples amoureux mais à plein d’autres personnes.”
6. Aux États-Unis, la Saint-Valentin fête toutes les sortes d’amours depuis le milieu du XIXème siècle
“Oui, et ce pour une raison très précise: pour les affaires! Les imprimeurs, les papetiers, les fleuristes ont essayé chaque année de maintenir un bon taux de croissance, alors ils ont voulu élargir la cible de la Saint-Valentin. Ils ont d’abord essayé de fêter les amoureux durant tout le mois de février mais ça n’a pas fonctionné. Alors ils ont essayé autre chose: ils ont dit que c’était bien de fêter l’amour du couple mais qu’il y avait aussi plein d’autres sortes d’amours et d’amitiés à célébrer. C’est finalement une réflexion marketing qui a mené la Saint-Valentin aux États-Unis à s’adresser non seulement aux couples amoureux mais à plein d’autres personnes.”
7. En France, dans l’entre-deux-guerres, la Saint-Valentin disparaît
“Elle disparaît et elle réapparaît à la libération avec les soldats américains qui se disent que c’est un truc super pour draguer les Françaises. Des fleuristes flairent la bonne affaire et ils essayent de mettre en place cette fête. Pendant une dizaine d’années, ça ne va pas prendre. Finalement, la Saint-Valentin va finir par décoller en France en s’attaquant à une cible très précise: les couples mariés.”
8. La Saint-Valentin n’existe officiellement plus sur le calendrier depuis 1969
“Un comité au Vatican qui étudie les saints répertoriés dans le calendrier, a remplacé le saint Valentin par deux saints, les saints Cyrille et Méthode, qui n’ont pas réussi à accrocher dans les mentalités. Et les imprimeurs ont continué à inscrire la Saint-Valentin sur les calendriers. Mais en 2014, le 14 février, le pape François a surfé sur la Saint-Valentin en invitant 20 000 fiancés à célébrer leur amour sur la place Saint-Pierre à Rome. La Saint-Valentin est donc remontée en grâce.”
9. Depuis la fin des années 50, la Saint Valentin se focalise sur le couple et non plus sur la rencontre amoureuse
“Oui, et c’est comme ça que la Saint-Valentin a redécollé en France. Il ne suffit pas en effet de décider d’une fête, il faut du carburant dans le moteur pour donner l’impulsion. D’une certaine manière, l’impulsion, c’était une certaine déception féminine face aux attentes qu’elle avait du couple, notamment en terme de communication intime. En se basant sur ce désir de compensation et sur la culpabilité des hommes, la machine était lancée. Ça a produit une célébration, non pas de l’amour, mais du couple. D’ailleurs, il est compliqué d’aller seul(e) dans un restaurant un 14 février, on se sent marginalisé, montré du doigt en tant que célibataire ce jour-là. Depuis quelques années, il y a une tentative pour faire changer ça et transformer cette fête du couple en une fête de l’amour sous ses formes diverses. Personnellement, je ne suis pas un défenseur des formes normatives de la Saint-Valentin. En revanche, je pense que si la Saint-Valentin fonctionne, c’est qu’il y a un désir d’amour dans la société; donc je suis pour une Saint-Valentin qui se réinvente.”
Propos recueillis par Julia Tissier
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