Madame Kam, alias Annick Kamgang, dessine sur l’actualité africaine dans divers médias. 2016 étant une année électorale, on a voulu en savoir plus sur son parcours et son travail.
Madame Kam, c’est ton vrai nom?
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Non! Mon pseudonyme de militante qui dessine. Je m’appelle Annick Kamgang, j’ai 39 ans, je suis l’actualité africaine et suis publiée dans les médias panafricains. Mon père est camerounais, ma mère guadeloupéenne. Je suis née à Yaoundé, j’ai passé mon enfance en République centrafricaine, dans les années 80, à Bangui.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de dessiner?
Le vent de liberté qui soufflait en Europe à la fin des années 80 intéressait les Africain.e.s, en butte à la non liberté d’expression et au parti unique. Malgré son statut de haut fonctionnaire, mon père a pris le risque de publier une tribune dans Jeune Afrique pour soutenir ce mouvement. Sa hiérarchie et ses collègues ont lu sa tribune et lui ont demandé de s’expliquer, en vertu du devoir de réserve. Il a alors été démis de ses fonctions, placardisé, ce qui a chamboulé toute notre vie. Mon envie de dessiner est venue de cette époque d’émulation et de changement, qui a donné lieu en 1990 aux conférences africaines souveraines. C’est un événement marquant qui a débouché sur le multipartisme notamment.
As-tu été formée au dessin dans une école?
Vers 13 ans, je suis partie avec ma mère vivre en Guadeloupe; j’y suis restée jusqu’à l’âge adulte. La séparation d’avec mon père a été un choc, mais j’ai fini par m’adapter. Plutôt que d’entreprendre les Beaux-Arts, j’ai fait des études en sciences humaines en Martinique, puis je suis partie pour la métropole à Nanterre, où j’ai fait une dernière année de spécialisation en informatique. A la fin de mes études, j’ai commencé à bosser dans les télécom. Donc rien à voir!
© Madame Kam
Le dessin t’a cependant rattrapée…
En 2012, j’ai débuté sur le Web avec le blog Les Démêlés de Mélanine. Mon fils avait un an et je me suis demandé ce que je voulais lui laisser. J’ai lancé mon blog, centré sur le personnage de Mélanine et une copine à elle qui parlent de leurs cheveux crépus.
Pourquoi?
C’était une question dans l’air du temps. Je participais activement à des forums sur les cheveux nappy comme celui fondé par Naturi Ebene Cheveux-Ebene et c’était l’époque des blogs girly comme ceux de Margaux Mottin ou Pénélope Bagieu. Je ne suis pas sûre que tout cela ait été conscient. Je constatais quand même qu’il manquait des héroïnes africaines, afrodescendantes, ou antillaises. Le blog m’obligeait à dessiner tous les jours. Assez vite, j’ai voulu dessiner autre chose.
“Je me suis rendu compte que ce qui m’intéressait au fond, avec ces histoires capillaires, n’était pas tant les cosmétiques.”
C’est là que tu as commencé à dessiner pour L’Express…
L’Express m’a contactée et m’a donné l’idée de créer des personnages qui avaient les cheveux bouclés, avec Le Coin des bouclées. Je me suis rendu compte que ce qui m’intéressait au fond, avec ces histoires capillaires, n’était pas tant les cosmétiques. Lors des réunions avec les autres filles, je m’ennuyais! Cela ne m’intéressait pas de parler de composition des produits. Ce qui m’intéressait c’était l’aspect politique, culturel, identitaire autour de cela.
Comment as-tu définitivement basculé vers le dessin de presse?
J’ai participé à un concours de dessin de presse organisé par le journal L’Opinion. On devait rendre quelque chose tous les jours. J’ai eu un classement honorable et je me suis dit que c’était cela que je voulais faire.
© Madame Kam
C’est quoi être une illustratrice afro?
C’est être une femme noire qui dessine en contexte français. Mais ce n’est pas d’où l’on vient ou à quoi on ressemble qui fait notre identité artistique. Sur le site de My Little Paris, par exemple, il y a des dessins de Parisiennes plutôt typiques, réalisés par une Japonaise.
Tu dessines principalement sur l’actualité africaine. Comment la suis-tu alors que tu ne vis pas sur le continent?
Via beaucoup de médias panafricains basés à Paris, comme Africa N°1, RFI, très écoutée en Afrique, France 24 ou TV5 Monde. Certains de ces médias laissent la parole aux auditeur.ice.s et j’écoute ces émissions pour prendre la température, l’atmosphère dans ces pays.
“La justice par les Africain.e.s pour les Africain.e.s est un sujet qui m’intéresse beaucoup.”
En tant que “militante qui dessine”, comme tu te définis, quels sont tes sujets de lutte de prédilection?
En cette année d’élections, la bonne gouvernance. L’Afrique centrale, d’où je viens, a un peu de retard sur le sujet, contrairement à l’Afrique de l’Ouest en général, comme le Bénin, où l’alternance démocratique fonctionne plutôt bien, ou encore le Burkina Faso, comme l’atteste la chute de Compaoré par exemple. La justice par les Africain.e.s pour les Africain.e.s est un sujet qui m’intéresse beaucoup, comme le cas d’Hissein Habré, le dictateur tchadien, et le fait qu’il ait été jugé par des cours de justice du continent.
Comment ton père vit-il tes choix?
Il est toujours activiste et écrit. Il est très content de me voir dessiner sur des sujets politiques, très fier de me voir reprendre le flambeau.
Propos recueillis par Dolorès Bakela
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