Ces 17 rappeuses islandaises et féministes donneront leur premier concert en France dans le cadre des Trans Musicales le 3 décembre prochain. On les a rencontrées.
L’Islande, petit pays insulaire, est grandiose de par sa nature et ses groupes de musique. Tels des volcans en éruption, les genres hip-hop et rap y déversent leur flow et réchauffent les très longues nuits hivernales. C’est par une sublime journée de septembre que j’ai rencontré les Reykjavíkurdætur, qui signifie “filles de Reykjavik”, giga groupe de rappeuses féministes islandaises, dans un café de la capitale.
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Ce collectif de 17 femmes rappe sans langue de bois sur le féminisme, le clitoris, ou encore la fête. Avec leur flow, aussi brûlant et limpide que la lave, elles révolutionnent le genre et proposent un rap frontal et en islandais. Fières et fortes, elles n’ont que faire de la mauvaise publicité locale qu’elles reçoivent. Les Reykjavíkurdætur visent l’étranger et sont prêtes à envahir les scènes d’Europe. On les verra d’ailleurs en France le 3 décembre aux Trans Musicales de Rennes.
Comment votre aventure musicale a-t-elle commencé?
Il y a environ trois ans, une des filles du groupe a organisé une soirée de rap amateur. Afin de promouvoir la suivante, elle a décidé d’enregistrer une chanson qui s’intitulait Reykjavíkurdætur. Les médias ont partagé le titre en écrivant qu’un groupe de rap féminin s’appelait ainsi. Grâce au bouche-à-oreille, le groupe s’est formé avec des membres de la capitale et de la banlieue proche, pour pallier une scène rap très masculine.
Vous êtes 17 depuis le début?
Non. On est actuellement 16 et une DJ parce que notre équipe était ouverte au début à tout le monde partageant les mêmes valeurs. Mais maintenant, des festivals nous appellent, on doit forcément leur donner un chiffre précis et c’est pour ça qu’on se restreint à ce chiffre. Par ailleurs, on ne se considère pas comme un groupe de musique, plutôt comme un clan.
Le féminisme est un thème présent dans votre répertoire, quelle est votre propre définition du féminisme?
L’égalité. Les femmes devraient obtenir les mêmes droits que les hommes.
Vous démystifiez l’image d’une Islande parfaite en matière d’égalité des genres. Même si le pays trône fièrement à la première place en termes de parité femmes-hommes, existe-t-il par exemple, comme en France, un problème de harcèlement dans la sphère publique?
Non: ni en Islande, ni dans les pays nordiques de manière générale. C’est peut-être dû à la mentalité des pays du Nord. Nous sommes peu, donc c’est très facile de s’exprimer sur des questions publiques, et ce grâce aux réseaux sociaux notamment. Si un tweet obtient beaucoup de retweets, il aura une certaine attention. C’est comme ça, par exemple, qu’un lycée a pu pendant toute une semaine disposer des protections hygiéniques en libre-service dans les toilettes.
Diriez-vous que vous écrivez des chansons protestataires?
Oui, quand nous évoquons le féminisme, ou ce qui déconne dans notre société avec quelques déclarations politiques. Mais nous rappons aussi sur des sujets plus légers comme faire la fête, danser, etc.
Vous n’avez qu’une seule chanson en anglais: F.E.M.I.N.I.S.M. Pourquoi préférez-vous chanter en islandais?
On réfléchit beaucoup à ça en ce moment: aux USA par exemple, ils veulent que l’on chante en anglais pour pouvoir nous inviter à jouer. J’ai personnellement un peu peur car, comme pour la plupart de mes acolytes, je rappe beaucoup mieux dans ma langue natale. Mais c’est un challenge fun que l’on pourrait relever. Nous avons déjà quelques mots familiers en anglais, des insultes la plupart du temps! (Rires.)
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Quelles sont les réactions des hommes et des femmes, aussi bien des locaux que des étrangers?
Nous avons un retour très positif de l’étranger, et quelques réactions encourageantes ici en Islande, mais beaucoup plus de négatives. Les Islandais ne nous comprennent pas. Ils nous perçoivent seulement comme des musiciennes et ne réalisent pas à quel point nous sommes importantes. ils ne viennent pas à nos concerts mais se permettent de critiquer, au lieu d’être fiers et de nous supporter, comme pour l’équipe masculine de football cet été.
Quels ont été vos modèles féminins islandais quand vous avez grandi?
Nous n’en avions pas. Aujourd’hui, peut-être que nous inspirons des jeunes filles. Récemment, un concours de musique a réuni dans des écoles des ados entre 13 et 15 ans. Alors qu’avant, seules deux filles s’y inscrivaient, il y en a eu huit cette année, un record!
J’ai lu dans un article que vos titres ne sont pas non plus joués par les radios du pays, pourquoi?
Au début du projet, nous avons reçu beaucoup d’attention. Mais nous étions encore amatrices, et avons heureusement évolué depuis. Malheureusement, les radios sont restées sur leurs premières impressions et pensent que nous sommes nulles. Mais bon, on se concentre sur l’étranger: s’ils ne veulent pas de nous ici, on préfère jouer ailleurs. Même si, en vrai, ce manque de reconnaissance nous affecte bien plus que l’on ne pense.
Êtes-vous quand même amies avec les autres groupes de rap masculins qui sont légion en Islande, et fortement soutenus par les Islandais?
Oui, avec certains d’entre eux. C’est un petit monde qui est connecté, certains sont nos petits copains, ou nous avons déjà couché avec d’autres.
Vous allez jouer en décembre aux Trans Musicales de Rennes, que souhaitez-vous y accomplir?
Réaliser notre meilleur show! On est tellement ravies d’y jouer, ça sera notre première fois en France. D’ailleurs, on aimerait aussi venir à l’avenir dans d’autres endroits de votre pays.
Propos recueillis par Solenn Cordroc’h
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