Graal du journaliste sportif, le commentaire reste la chasse gardée de ces messieurs. À quand une révolution féminine au micro?
Août 2016. Jeux Olympiques de Rio. Thierry Rey y va de son avis (macho) sur les judokates, pour Canal +: “Ça pleure chez les gonzesses.” Deux ans plus tôt, aux Jeux Olympiques de Sotchi, c’est Philippe Canderolo qui bat tous les records de sexisme en parlant de la patineuse italienne Valentina Marchei, en direct sur France Télévisions, de cette façon: “Elle a beaucoup de charme, Valentina, un petit peu comme Monica Bellucci. Peut-être un peu moins de poitrine, mais bon… .” Le dérapage sexiste du commentateur sportif n’est pas rare, et rien d’étonnant quand on sait que, dès qu’il s’agit de commenter le sport, ce sont les hommes qui s’en chargent. Et si les choses bougeaient avec l’apparition de femmes au micro?
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La commentatrice sportive, une espèce rare
Claire Bricogne, qui travaille pour La chaîne L’Équipe, décrit le commentaire sportif comme l’exercice “le plus compliqué dans le journalisme, une vraie gymnastique du cerveau”. Celle qui s’y adonne déjà estime d’ailleurs que, lorsqu’elle le fait, elle est “jugée dans [s]a condition de femme avant de l’être dans [s]a condition de commentatrice au niveau du public”. Manifestement, les Isabelle Ithurburu, Marie Portolano, toutes deux présentatrices chez Canal +, ou avant elles Nathalie Iannetta n’ont pas fait changer le regard des accros de sport dans leur canapé.
“Il y a beaucoup de journalistes de l’ancienne école, autodidactes, qui ne conçoivent pas que l’information sportive soit faite par des femmes.”
Et de fait, il faut bien reconnaître que les téléspectateurs n’ont pas vraiment souvent l’occasion d’entendre une voix féminine. Si Claire Bricogne, Elisa Lukawski, qui officie chez Eurosport et BeIn Sports ou Candice Rolland pour La chaîne L’Équipe commentent, elles le font sur des chaînes mineures et ne sont pas les premiers choix de leurs rédactions. “C’est dans la culture des gens et des rédactions d’avoir des hommes au commentaire”, estime Elisa Lukawski. “Il y a beaucoup de journalistes de l’ancienne école, autodidactes, qui ne conçoivent pas que l’information sportive soit faite par des femmes”, ajoute Karim Souanef, l’un des rares sociologues à s’être penché sur le journalisme sportif. “Dans le sport, les femmes font petit à petit leur trou mais restent encore cantonnées à des postes d’intervieweuses, les chaînes les mettant en avant à l’écran, comme des ‘faire-valoir’ esthétiques, croit savoir Julie, 28 ans, grosse consommatrice de sports à la télé. Il est donc temps que ça change et qu’on leur laisse des postes encore contrôlés par des hommes.”
Autocensure féminine
Parfois, ce sont les femmes elles-mêmes qui s’autocensurent. “Le commentaire est une musique et je ne suis pas sûre que les aigus des voix féminines forment une musique agréable”, dit Nathalie Iannetta. Un argument balayé d’un revers de main par Cécile Grès, véritable touche-à-tout du journalisme sportif, actuellement chez Eurosport, qui a récemment émis le souhait auprès de sa direction de faire ses débuts au commentaire dans un avenir plus ou moins proche: “Je trouve ça un peu cliché et dommage de penser ça. Ça cantonne quelqu’un à quelque chose d’inexorable. C’est comme dire: ‘quand t’es moche, tu ne peux pas faire de la télévision’.”
Cette question physiologique inquiète pourtant quasiment toutes les journalistes sportives: “Je pense que la voix est importante dans le fait que peu de femmes commentent”, juge Claire Bricogne. “C’est difficile d’écouter quelqu’un qui a la voix aigüe”, abonde Mary Patrux, journaliste chez BeIn Sports. Où se trouve donc le salut? Cécile Grès d’Eurosport ne voit qu’une solution: imposer une femme au commentaire et ne pas attendre que le public soit prêt, il ne le sera jamais: “Il faut imposer pour habituer, lâche-t-elle. On passera un vrai cap si cela arrive.”
La journaliste sportive victime de stéréotypes
Chacun des mots d’une journaliste sportive sont scrutés et analysés, beaucoup plus que lorsqu’il s’agit de leurs confrères masculins. “On a toujours l’image de la fille qui ne s’y connaît pas”, regrette Elisa Lukawski. Comme partout ailleurs, la journaliste doit prouver deux fois plus. “Le commentaire, c’est quelque chose qui s’entend plus qu’il ne s’écoute en télévision, explique Cécile Grès. Mais une femme sera plus écoutée qu’entendue. On sera même un peu à l’affût de ses petites erreurs. Alors que, sans pointer quelqu’un du doigt, tout le monde fait des bourdes, même des gens qui commentent depuis 20 ans”, ajoute-t-elle goguenarde. Karim Souanef se dit, lui, “sceptique” quant à l’arrivée prochaine d’une nouvelle génération de commentatrices: “Dans les rédactions, on fantasme un téléspectateur qui voudrait des hommes. Ce n’est absolument pas vérifié mais c’est aussi une manière de se justifier pour refuser cette place aux femmes.”
Pas convaincue que ce soit “leur place”, Nathalie Iannetta invite pourtant les journalistes sportives qui souhaitent commenter à “foncer et à prouver qu’elles en ont les capacités”. Cécile Grès souhaite, elle, que les choses évoluent en profondeur: “J’aimerais surtout voir des cheffes dans les rédactions. C’est aussi sans doute comme ça que la décision de placer des femmes au commentaire sera prise.” D’une pierre deux coups.
Christophe Gaudot
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