Au-delà des idées du mouvement, le mot “féminisme”, né en 1870, fait débat. Est-il toujours adapté aux idées qu’il contient aujourd’hui? Une linguiste féministe, Stéphanie Pahud, nous répond.
Le mot féminisme porte en lui de nombreuses contradictions, au point d’être rejeté par de nombreuses femmes, pourtant intéressées par son concept, mais défiantes vis-à-vis de son image. Son problème réside-t-il dans le terme qui l’englobe, dans sa représentation médiatique ou dans ses origines linguistiques?
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Pour mieux comprendre ce mot parfois mal aimé et complexe, on a discuté avec Stéphanie Pahud, linguiste de 40 ans, féministe engagée et enseignante chercheuse à l’université de Lausanne. Son féminisme? Pas une idéologie mais “une manière d’exprimer son rapport au monde”. Auteure de livres sur la question de l’identité, elle voit dans sa lutte féministe un moyen pour que chacun puisse exprimer sa voix. Alors, mot essentiel, obsolète ou remplaçable? Élements de réponse avec cette universitaire féministe.
Stéphanie Pahud
D’où vient le terme “féminisme”?
Son origine est assez drôle. Il est utilisé pour la première fois dans une thèse médicale en 1870. Il qualifie un défaut de virilité chez les hommes. Ça partait assez mal! Il arrive sur la scène publique en 1872 dans un bouquin qui s’appelle L’Homme femme, d’Alexandre Dumas fils. Là, il renvoie aux hommes favorables à la cause des femmes. L’auteur en profite pour dire que ces hommes sont stupides et que le féminisme dénature les sexes, puisque la femme n’est pas l’égale de l’homme. Ce n’est que dix ans plus tard qu’il est employé par l’une des pionnières du féminisme, Hubertine Auclert, suffragette militante, pour parler d’émancipation des femmes.
Le mot féminisme a-t-il toujours eu une connotation négative?
Il y a dans le féminisme l’idée d’une forme de politisation des femmes. Dans l’imaginaire collectif, femme et pouvoir sont incompatibles. Dans les stéréotypes, la femme est une reproductrice dévouée à l’homme. Le terme n’a donc jamais eu bonne presse!
Comment cette image du féminisme a-t-elle évolué dans le temps?
Dans les années 90, on observe un rejet de la part des filles des premières féministes. Bien sûr, elles sont reconnaissantes de ce qui a été fait pour la libération des femmes, la contraception par exemple, mais elles constatent aussi un certain échec. Elles se disent qu’elles n’avaient pas tout à gagner avec ces revendications, la polémique féministe a fait grand bruit et finalement dépassé les résultats. On parle alors de post-féminisme. C’est à cette époque que naissent aussi des mouvements antiféministes.
C’est pour cette raison qu’aujourd’hui beaucoup de femmes refusent de se dire féministes?
Oui, les fameux “Je suis féministe, mais….”! Pour certaines femmes, se dire féministe c’est accepter de sortir du modèle idéal de la féminité. À la fois, elles veulent militer pour l’égalité mais pensent devoir choisir entre féminisme et féminité. Le mouvement inspiré par le best seller Les Hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus renforce cette idée que la féministe renonce à sa féminité. Alors qu’en réalité, pas du tout. On voit la femme féministe comme une névrosée, pas drôle, moche, qui déteste les hommes. Cliché qu’on retrouve chez Alain Soral ou Éric Zemmour, pour qui le féminisme est une forme de dévirilisation de la société.
“Je ne pense pas qu’il faille se défaire du mot féminisme, ce serait renier les luttes antérieures des pionniers.”
Qu’est-ce que le féminisme aujourd’hui?
Il n’y a pas un féminisme mais des féminismes. Il existe des tas de réalités très différentes du féminisme selon les nationalités, les parcours personnels, les âges… Ce n’est pas un état ou une charte qu’on signe, mais quelque chose qui doit être réalisé concrètement. Du côté des causes, il n’y a pas vraiment de consensus. Côté revendications, on parle de l’émancipation des femmes, de la valorisation du féminin, de la suppression d’une hiérarchie entre les sexes et on dénonce les violences faites aux femmes.
Pourquoi le terme “féminisme” a-t-il une connotation aujourd’hui si complexe?
Parce que le féminisme n’est pas une école ou une idéologie, c’est une manière d’exprimer un rapport au monde, c’est abstrait. Il mélange les courants théoriques, les militantismes populaires, les choses pratiques, ce qui le rend compliqué à saisir. Sans parler des mouvements comme Les Chiennes de Garde ou les Femen qui donnent encore une image différente. Même si ces mouvements sont à mon avis nécessaires, ces coups de force médiatiques manquent de discours pour les accompagner, les expliquer. L’image du féminisme a plusieurs facettes, pas toujours faciles à accepter, sur lesquelles on doit faire attention aux contresens.
Supprimer le mot féminisme permettrait-il de changer son image dans le réel?
De nombreux termes ont essayé de le remplacer: universalisme, humanisme, antisexisme, égalitarisme… Mais il n’y a pas de mot miracle! Je ne pense pas qu’il faille se défaire du mot féminisme, ce serait renier les luttes antérieures des pionniers. Je préfère me dire féministe et prendre ensuite le temps d’expliquer mon combat.
Propos recueillis par Jane Roussel
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