Frédéric Chau est l’un des rares visages asiatiques célèbres en France. Après la mort de Chaolin Zhang et la mobilisation qui s’en est suivie, il veut faire entendre la voix de cette communauté et notamment celle des femmes.
Depuis cet été, Frédéric Chau squatte les plateaux télé afin d’y commenter la triste actualité qui frappe la communauté asiatique de France après la mort de Chaolin Zhang à Aubervilliers. Si on ne voit que lui, c’est parce que le comédien franco-vietnamien, repéré au Jamel Comedy Club puis sur grand écran dans Qu’est ce qu’on a fait au bon Dieu?, fait partie des très rares célébrités d’origine asiatique en France. Si ce rôle de porte-parole n’est pas son préféré, il se plie volontiers à l’exercice pour faire entendre une voix trop peu audible et qui manque cruellement de visages féminins. Des visages féminins que Frédéric Chau est justement en train de porter à l’écran via Un Pas vers elle, le court-métrage qu’il vient de tourner et qui aborde la question d’un décalage culturel entre une mère immigrée et sa fille française, témoignant de l’importance de la transmission intergénérationnelle.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Un pas vers elle, de Frédéric Chau
Bien sûr, l’histoire fait écho à son propre héritage, lui qui est arrivé en France juste après sa naissance au Vietnam, alors que ses parents fuyaient le régime des Khmers rouges, au Cambodge. Un périple qu’il raconte dans son autobiographie Je viens de si loin, publiée il y a tout juste un an. Le livre est sincère et émouvant et on y découvre le quotidien de cet enfant d’immigrés. Il y décrit ses premières années à Paris -“Comment j’ai pu m’ennuyer, enfant!”–, les règles de bonne conduite -“Mes parents voulaient qu’on soit discrets et dociles, qu’on décroche la médaille d’or au concours de l’enfant le plus invisible”-, la difficulté de grandir dans une double culture, ses années en tant que steward pour Air France, ses premiers pas sur scène, jusqu’à la comédie. “Grâce à ce bouquin, je suis beaucoup plus en paix avec moi, plus apaisé, confie-t-il. Plus tu es proche de tes convictions, moins l’adversité du quotidien n’a d’atteinte sur toi.” À 39 ans, Frédéric Chau continue de se construire comme acteur et refuse désormais les rôles de “Chinois de service” pour privilégier ses projets de réalisation et d’écriture. Il nous parle des femmes qui l’ont inspiré pour son premier court-métrage, qui ne sera sans doute pas le dernier. Interview.
Un pas vers elle, c’est l’histoire d’une mère et de sa fille qui n’attendent pas les mêmes choses de la vie. Où as-tu trouvé ton inspiration?
Cette histoire raconte la mienne. Un jour, ma mère est venue chez moi, j’ai senti une inquiétude dans sa voix, elle insistait pour venir. Elle, qui vit en banlieue, avec beaucoup d’asiatiques, a commencé à me parler de façon solennelle, à me dire: “Je ne comprends pas, toutes mes copines de mon âge me parlent de toi, me disant que tu es beau, que tu as du succès, que tu passes à la télé, que tu fais du cinéma… Je ne comprends pas pourquoi mon fils, à 37 ans, n’est toujours pas marié.” J’ai vu de la peine dans ses yeux car, dans la culture asiatique, la réussite sociale suprême, c’est la famille, et ne pas être marié à 30 ans est un échec.
Tu as une relation très forte avec ta mère, que tu développes dans ton livre. Pourquoi as-tu choisi d’aborder la relation mère-fille et non mère-fils?
Ma mère, je crois qu’elle est feuj en fait! (Rires.) Elle me fait des bisous, elle m’attrape la joue. Quand je dormais chez elle, à 7 heures du mat’ elle ouvrait la porte, se mettait à côté de moi, elle voulait s’assurer que j’allais bien, que je respirais. C’est flippant en fait! Tout est donc parti d’une histoire mère-fils, mais je ne voulais pas le jouer, pour me concentrer sur la réalisation. Et puis, je trouvais la relation mère-fille encore plus forte. Il y a une connexion beaucoup plus profonde, plus charnelle, plus intéressante à traiter.
Frédéric Chau sur le tournage de Un pas vers elle © Ludovic Zuili
Un pas vers elle a levé plus de 28 000 € sur Kisskissbankbank. Le film aborde des thèmes qui avaient besoin d’être traités?
Beaucoup de personnes de la communauté asiatique ont investi, se sentant concernées. J’espère surprendre car il y a une vraie universalité dans les thèmes que j’aborde, que ce soit le rapport mère-fille ou le rapport intergénérationnel. La communauté asiatique est un prétexte pour les aborder.
Tu as également réalisé un clip dans le cadre de la manifestation qui a eu lieu le dimanche 4 septembre, réclamant plus de sécurité pour les asiatiques de France. Endosser le rôle de porte-drapeau, c’était prévu?
En règle générale, je ne suis pas comme ça. J’ai pris cette responsabilité parce que ce sont des thématiques qui me touchent, qui arrivent dans ma construction de façon récurrente, et aujourd’hui encore plus, parce qu’on est dans une conjoncture où l’identité prend plus de place, on se demande comment on se situe lorsqu’on est français d’origine étrangère.
Je ne dis pas aux gens comment vivre, j’essaye d’éveiller les consciences à travers ce que je sais faire: l’artistique, mes films, mon bouquin, le spot, Un Pas vers elle, Made in China (Ndlr: un long-métrage écrit par Frédéric Chau), “une comédie qui jette la lumière sur la communauté asiatique en France à travers plein d’enjeux, loin des clichés condescendants et réducteurs”. Je trouve que le cinéma a ce rôle-là. Un Pas vers elle, ça faisait deux ans que j’étais dessus, je l’avais mis en standby. Quand je suis sorti du film Fatima, de Philippe Faucon, j’étais bouleversé, je suis rentré chez moi, j’ai fini de l’écrire. Le rôle du cinéma, c’est ça: éveiller les consciences à travers un divertissement.
En tant qu’homme, as-tu conscience des incivilités auxquelles peuvent faire face les femmes de la communauté asiatique?
J’ai l’impression que la femme d’origine asiatique est mieux considérée que l’homme en France. Par exemple, je vois davantage de couples mixtes où des Européens sont avec des femmes de cette communauté. J’ai pris un Uber la dernière fois, le mec n’a pas arrêté de me parler des femmes asiatiques, il y a un fantasme. Alors que chez les mecs… Je pense que si tu demandes à des femmes quel est leur idéal masculin, jamais elles ne diront “un asiatique”!
Tu fais partie des rares personnalités d’origine asiatique en France. Vois-tu, autour de toi, une nouvelle génération qui essaye de se faire une place?
Il y a Bun Hay Mean, Steve Tran, Leanna Chea, l’actrice qui joue la fille dans mon film. C’est une pépite, j’ai tellement hâte que les gens la voient, elle est extraordinaire!
En politique, les hommes et les femmes d’origine asiatique sont peu nombreux, même si Fleur Pellerin, d’origine coréenne, a été ministre. D’ailleurs, les politiques étaient peu nombreux à la manifestation du 4 septembre…
Nous sommes une communauté dont la migration est récente, on en est à la troisième ou quatrième génération. Il faut laisser le temps au temps. Peut être qu’on verra un premier ministre ou un président d’origine asiatique au sein de la septième génération!
Propos recueillis par Julie Hamaïde
{"type":"Banniere-Basse"}