Un freelance, c’est un peu la même chose qu’un salarié, mais sans le salaire, sans le céleri rémoulade à midi, ni les collègues, le boss, les horaires fixes, les Bics gratuits et la moquette couleur plateau d’hôpital.
Bonjour, je m’appelle Fiona et je suis free lance depuis deux ans. Pendant dix ans, j’ai eu un bureau dans un open space, une plante en pot dans le couloir, un Monsieur en chemisette saumon pour me donner mon courrier, des tarifs préférentiels dans des clubs de sport où je ne mettais jamais les pieds, et des semaines à thèmes à la cantine: Noël à Noël, créole en mars, italien quand il fallait finir les restes (lasagnes aux choux de Bruxelles, anyone?).
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Pendant dix ans, je suis partie au bureau tous les matins, même quand il pleuvait ou que la météo était à la glande en terrasse. Cinq jours sur sept pendant dix ans, j’ai pris le métro à 8h33, un café à 9h18, l’ascenseur à 9h31, une pause clope à 11h04*. À 27 ans, j’ai quitté une Grande Entreprise pour une Entreprise Encore Plus Grande, une fiche de paie plus grosse, un ordinateur plus plat, une boss plus jeune, des collègues plus minces, avec des jupes plus courtes et des talons plus hauts. J’avalais des lasagnes aux restes nappées de béchamel à l’amiante et je ne grossissais même pas: j’étais le fleuron du salariat français.
Un jour, pas très soudainement mais quand même, la Très Grande Entreprise dans laquelle je travaillais a jugé que la presse écrite, c’était trop la nouvelle sidérurgie, et qu’elle allait se débarrasser de la moitié des magazines qui coûtaient plus de fric qu’ils n’en rapportaient. C’est ainsi que je me suis retrouvée au chômage free lance. Vis ma vie de Maheude (et poke Émile Zola).
“Oué, enfin libre!”, ai-je d’abord exulté devant les tourniquets de la Très Grande Entreprise, tandis que l’ascenseur engloutissait le Monsieur en chemisette saumon et son chariot de courrier avec un“ ting!” satisfait.
Mon psy en rit encore.
Car le fait de travailler seule n’est pas toujours aussi cool, facile et glamour que je le croyais. J’ai notamment été très surprise qu’Anna Wintour, ou à défaut, Emmanuelle Alt, ne me propose pas immédiatement une rubrique de quatre pages dans Vogue pour raconter ma vie (sans doute sont-elles timides?). Et quelle a été ma surprise de ne pas écrire un best-seller dédicacé au Bon Marché devant un parterre de fans en délire! Sex & The City serait-elle une oeuvre de fiction, et pas un documentaire de Wiseman?!?
À toutes les bizutes du freelançorat qui font cette semaine leur rentrée dans la Liberté, l’Autonomie, bref, la Vraie Vie, j’aimerais donner ces quelques conseils, tirés de mes erreurs mon expérience de journaliste slash chroniqueuse slash brand content manager slash ado sitter slash trois petits points (première règle: un bon free lance est expert en à peu près tout, de la rédaction de chroniques d’humeur à la plomberie en passant par les cours d’anglais au voisin du dessous. Si non, le free lance est juste chômeur.)
Ta cantine, c’est ton frigo
1/ Entretenez votre réseau
Pour cela, mieux vaut ne pas s’être fâchée avec ses ex-collègues, en tout cas pas à mort, en tout cas pas avoir touché un organe vital. Pour entretenir son réseau, c’est très simple: envoyez un mail ou un texto aux gens que vous trouviez sympa, et proposez-leur d’aller boire un café, l’air de rien (c’est à dire, sans mettre en objet: “Du travail sitoplé”). Ne visez pas que les chefs, ils n’ont jamais le temps et sont aussi méfiants que des renards à l’ouverture de la chasse. Réseautez large et sincère -personnellement, je me vois mal proposer un café à quelqu’un à qui j’aurais envie de le jeter à la gueule, mais certains free lances ne reculent devant rien: à vous de voir-, faites savoir que vous êtes disponible, et ouverte à toutes les propositions, pas trop tordues et rémunérées de préférence.
2/ Faites plus envie que pitié
Pour cela, prenez une douche avant 14 heures, habillez-vous (un jogging et le vieux t-shirt de votre ex ne comptent pas), maquillez-vous un minimum, même si vous ne croisez que le chat et le conseiller Pôle Emploi, et souriez, même si vous ne voyez pas ce qu’il y a de drôle à devenir soudainement précaire à 32 ans, après 10 ans de CDI triple face, cousu à la main. Et quand on vous demande: “Comment ça va?”, répondez: “Très bien, merci!”, même si vous pensez: “Comme quelqu’un qui écrit des horoscopes à 5€ le signe pour payer son loyer, CONNASSE!”
3/ Soyez disciplinée
Free lance n’égale pas permis de scroller jusqu’à trois du, pour se lever une main dans le pyj’ à midi, en vous disant que vous avez laaaaaaaaargement le temps de rendre votre boulot. Mettez le réveil, ne snoozez pas plus de trois fois, même les jours où vous n’avez rien à faire, achetez un agenda, notez dessus vos commandes et deadlines, et ne commencez pas par “faire un petit tour sur Facebook d’abord” (“Oups, 17h43, déjà?” = réflexion de la journaliste freelance qui a déjà écrit son nom, et le titre du papier qu’elle doit rendre à 18 heures). Être disciplinée, c’est aussi mettre à jour et classer ses factures, au besoin avec l’aide d’un comptable spécialisé dans les TPE, dans un endroit dédié. Pas entre deux vieux magazines de 2013 ou dans un dossier marqué “à trier”, épais comme une cuisse de sumo.
4/ Ayez un espace de travail
Un lit où l’on dort et où l’on se reproduit à l’occasion ne compte pas, pas plus que le canapé du salon. Un espace de travail doit avoir une porte qui ferme, et qui empêche de sortir toutes les cinq minutes pour se laver les cheveux (“Ça me gratte, je bosserai mieux après”), se faire les ongles (“Au secours les mains de chômeuse!”), ranger l’appartement (“Je bosserais mieux si la vaisselle est faite”), faire un peu de sport (“Déjà que je suis free lance, si en plus, je suis grosse… ”), descendre faire une course (“À 15h30, ce sera rapide, alors que si j’y vais à 19 heures comme tous les gens en CDI bouhouhooooooou…”)… Certains free lance riches (y en a: j’ai des noms) louent des bureaux dans des espaces de coworking, parce qu’ils sont incapables de bosser chez eux. Je les comprends, quel dommage que je sois incapable de me concentrer au milieu d’inconnus! (ma consolation, c’est que mes cheveux et mes ongles sont toujours impeccables).
Ta machine à café, c’est Snapchat
5/ Ne mélangez pas le travail et la vie privée
Fixez-vous des horaires de travail, ne prenez pas de rendez-vous médical ou coiffeural à 16 heures le mardi, et refusez d’accueillir le plombier à 11h30, d’aller à la Poste ou de faire les courses pendant la journée “vu que tu bosses quand tu veux, toi”: si t’es free, t’as tout compris que t’es pas secrétaire gratuite de ton mec.
6/ Ravalez votre fierté
Et votre paranoïa aussi, du même coup. Le fait qu’un ex-collègue vous regarde désormais comme si vous étiez responsable du trou de la Sécu, qu’une connaissance ait une mémoire de poisson rouge (“Hey, Flora, qu’est-ce que tu deviens?!?”), ou que l’un de vos employeurs ne vous rappelle pas pour vous proposer une nouvelle mission ne signifie pas forcément que vous êtes nulle, vieille et finie, et que vous feriez mieux d’ouvrir un food truck en Lozère. C’est du moins ce que me répète Monsieur Schmidt tous les jours (or Monsieur Schmidt a toujours raison, bien que ce soit un homme). Faites le premier pas, n’attendez pas que l’on vienne vous chercher, relancez, avec des propositions plutôt qu’avec des supplications ou des menaces (“Je sais que tu as vu mon message sur Facebook et JE SAIS OU TU HABITES, BITCH!”), bref, apprenez la patience. Il doit y avoir des tutos pour ça.
7/ Apprenez à négocier
Chaque client est un boss au caractère et aux attentes très différentes. Malgré ma patience de missile nord-coréen, il m’a fallu apprendre à composer avec mes interlocuteurs, à défendre mon point de vue sans pour autant l’imposer au cric, et à rester parfaitement courtoise et neutre, même quand je ne suis pas d’accord avec eux. Par ailleurs, free lance ne veut pas dire bénévole: renseignez-vous sur la fourchette de tarifs pratiqués dans votre secteur d’activités, et ne descendez pas en-dessous. Vous n’êtes pas le SAMU de la com’ (ou de la plomberie, ou des cours d’anglais): respectez-vous, et le client vous respectera, ouaich.
8/ Mollo sur les réseaux sociaux
Il est plus facile de passer sa journée sur Facebook/Instagram/Snapchat/Twitter/Tumblr etc. que sur le boulot qu’on a à rendre. Pour ne pas céder à la tentation (sorry l’Île de la!), coupez les notifications sur votre ordinateur, et laissez votre portable dans une autre pièce, afin d’éviter de sauter sur l’écran à la moindre vibration (“Yes, trois likes à ma photo de la carotte en forme de bite!”, “Han, une astuce pour nettoyer les tâches sur un piano, moi qui n’ai justement pas de piano!”).
Mollo, mais pas finito: les réseaux sociaux donnent le pouls de votre existence sur Terre, et sur le marché de l’emploi. Trop de posts, ça fait chômeuse, pas assez, ça fait morte. Mettez à jour votre profil Linkedin (dit-elle, alors que le sien est toujours vide comme un discours de Manuel Valls), et n’hésitez pas à poster vos réalisations afin de faire votre auto-promo, et booster ainsi votre sex-appeal professionnel (dit-elle, alors qu’elle continue de poster des photos de chats qui font du ski plutôt que ses papiers parus dans la presse #faitescequejedis…)
9/ SORTEZ!
Ça force à dessouder son cul du canapé, pour aller prendre une douche, se maquiller, et donner envie à autrui de vous connaître, bibliquement et/ou professionnellement. C’est par ailleurs dans la vraie qu’on s’aère le mieux l’esprit, en découvrant des trucs qu’on n’aurait pas vus sur Google. L’horizon, par exemple.
Eh, super papier : je devrais trop suivre mes conseils!
Et vous, comment ça se passe, la rentrée?
Des kiss et du kourage,
F.
Tes collègues, c’est ton chat
Ce papier a été initialement publié sur le blog de Fiona Schmidt.
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