Depuis 2015, la jeunesse sud-africaine se mobilise pour assurer une éducation pour tous. Pour les étudiantes, la bataille ne pourra être gagnée que s’ils s’attaquent aussi au patriarcat, source d’inégalités. Une initiative qui n’est pas au goût de tous.
“Vous savez que dans notre pays, les femmes peuvent subir des tests de virginité pour obtenir une bourse d’études, même si c’est contraire à notre constitution?”, dénonce Shaeera Kalla, 23 ans, étudiante sud-africaine en sciences politiques et philosophie à l’université de Witwatersrand, à Johannesburg, et ancienne représentante du Conseil des étudiants (SRC). Dans son établissement, la vingtenaire était en tête de file du mouvement Feesmustfall (Ndlr: “les frais universitaires doivent tomber”), amorcé en octobre 2015 à l’annonce de leur augmentation par Jacob Zuma, le président de l’Afrique du Sud. Chauffés à blanc par un précédent mouvement de contestation (Ndlr: la décolonisation de l’enseignement), les étudiants sud-africains bloquent les campus des grandes villes. Leur but? Définir leur société idéale. Il faut dire que ces dernières années ont vu le soulèvement étudiant le plus important depuis les émeutes de Soweto en 1976. À l’époque, la jeunesse s’était levée contre l’afrikaans, la langue des colons, alors imposée comme langue d’enseignement dans toutes les écoles. Quarante ans plus tard, c’est à nouveau un débat sur l’éducation qui rappelle les injustices sociales. À la différence près que, cette fois-ci, ce sont les femmes sud-africaines qui ont pris la tête du mouvement de contestation pour défendre leurs droits.
Un “agenda féministe” critiqué
“En Afrique du Sud le leadership revient encore à l’homme blanc, mais cette année, les figures de Feesmustfall sont des femmes noires”, se félicite Bafana Khumalo, directeur stratégique de l’ONG Sonke Gender Justice, qui travaille en faveur des droits de l’homme et de l’égalité hommes-femmes. Ce qui n’empêche pas certains militants de rejeter cet “agenda féministe” qui nuirait à l’unité du mouvement. “Les hommes nous disent de laisser notre corps de femme à la porte”, se plaint Jodi, une étudiante de Cape Town âgée de 21 ans.
“Pour beaucoup d’hommes, parler de patriarcat, c’est changer le visage de l’ennemi. On passe de quelque chose d’externe à une menace interne.”
Pourtant, après plusieurs mois de mobilisation, les étudiants ont obtenu que les frais universitaires n’augmentent pas. Ils ont aussi réussi à garder l’image d’un groupe uni, sans leader. Mais l’ambiance s’est dégradée lorsque les femmes, notamment de la communauté LGBT, ont pointé du doigt le harcèlement, les discriminations genrées et la “culture du viol” dont elles sont la cible.
“Pour beaucoup d’hommes, parler de patriarcat, c’est changer le visage de l’ennemi. On passe de quelque chose d’externe à une menace interne”, explique Rekgotsofetse Chikane, étudiant à l’université de Cape Town.
Face à un étudiant qui lui a imposé le silence lors d’une assemblée, Jodi a rétorqué aussi sec: “Être noire et être une femme sont deux éléments inséparables de mon identité.” Le concept d’intersectionnalité est dans la bouche de beaucoup de militantes. L’expérience des femmes noires doit être entendue car elles subissent une double domination: celle liée à leur sexe et celle liée à leur couleur de peau.
Twitter, un outil de lutte pour les étudiantes sud-africaines
C’est grâce à un usage intelligent et intense des réseaux sociaux que les femmes sont parvenues à se faire écouter. Dès avril 2016, le hashtag #Weareoneofthree rappelle qu’une femme sur trois est susceptible de subir une agression sexuelle. #RURefenrencelist évoque, lui, une liste diffusée par les étudiants de Rhodes dénonçant les violeurs vivant dans le campus. Enfin, #Chapter2.1.2 fait référence au chapitre de la Constitution, celui-là même qui condamne les abus à l’encontre des femmes. Khanyi, étudiante de 22 ans à Rhodes, s’en réjouit: “Les réseaux sociaux ont vraiment permis aux femmes de prendre la parole et d’occuper l’espace.”
La défense des droits des LGBT s’est aussi particulièrement menée sur Twitter et Facebook. En avril, des manifestantes LGBT ont accusé un des leaders de 2015, Chumani Maxwele, de les avoir physiquement agressées. C’est face à la twittosphère que ce jeune militant a dû justifier ses actes, qu’il a d’ailleurs niés.
« #FeesMustFall revolutionary »- Chumani Maxwele beating a Queer Black Woman in today’s protests at Wits. #NotMyFMF pic.twitter.com/BhaAgUsPB4
— Simamkele Dlakavu (@simamkeleD) 4 avril 2016
Sur huit cas de viol traités à Wits, un seul agresseur inquiété
Certaines universités ont déjà tenté de mettre en place des mesures contre les agressions, comme à Witwatersrand où le Bureau de l’Égalité des Genres a été inauguré en 2013. Il permet d’accompagner les victimes et les aider pour les suites judiciaires. Mais les étudiants jugent l’initiative insuffisante. Et pour cause, il n’y a que quatre employés pour 33 340 élèves. Plus éloquent encore, sur huit cas de viol traités, une seule personne a poursuivi son agresseur. Et ce n’est pas tout: les militantes ont toujours en travers de la gorge l’acquittement de Jacob Zuma, accusé de viol par une jeune femme séropositive. “On dit aux femmes de faire attention mais pas aux hommes de ne pas violer”, s’indigne Khanyi. Le chemin sera encore long.
Clotilde Alfsen et Clélia Bénard, à Johannesburg