Grand reporter au Point, Claire Meynial vient d’atteindre le graal du journalisme: elle a remporté le prix Albert Londres 2016 dans la catégorie presse écrite. Rencontre avec une reporter passionnée et passionnante, qui nous raconte son expérience du terrain et sa vision du métier.
Le terrain. Ce mot revient souvent dans les propos de Claire Meynial. Spécialiste de l’Afrique au service international du magazine Le Point, elle le répète, le revendique même: “Le terrain, c’est impossible à remplacer.” Entrée en 2002 à la rédaction de l’hebdomadaire, la reporter de 40 ans est passée par de nombreux services avant de couvrir le continent africain. Kenya, Gambie, Libéria, Nigeria, Libye: depuis quatre ans maintenant, elle se rend sur place pour raconter, expliquer et analyser.
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Le 27 mai dernier, Claire Meynial a reçu le prestigieux prix Albert Londres dans la catégorie presse écrite, pour une série de reportages sur les migrants d’Afrique de l’Ouest ou encore sur la façon dont le Nigeria a échappé de justesse à l’épidémie d’Ebola. “Lorsque j’ai vu le niveau de la présélection, j’étais très impressionnée de figurer parmi tous ces journalistes”, confie-t-elle. Mais au-delà d’une reconnaissance de son travail d’enquête, la lauréate, modeste, voit dans ce prix un signe encourageant pour “l’ancien journalisme”, celui du terrain, et pour “les rédactions qui mettent encore des moyens dans le reportage”.
“Si on veut bien expliquer ces sujets, il faut aller sur terrain. C’est indispensable.”
À l’heure où la profession a une fâcheuse tendance à se sédentariser, Claire Meynial est allée là où peu osent se rendre. Elle a, entre autres, couvert l’épidémie d’Ebola au Liberia, puis au Nigeria, où la maladie aurait pu se propager considérablement sans l’intervention d’une femme médecin qui en est morte. Au Kenya, en 2015, elle s’est rendue à Dadaab dans le plus grand camp de réfugiés au monde. Plus récemment, la reporter est allée à la rencontre de migrants lors de leur périlleuse traversée de la Gambie jusqu’en Libye, d’où ils espèrent rejoindre l’Europe.
À travers des récits prenants, composés d’histoires individuelles souvent bouleversantes, Claire Meynial décrypte sans relâche les grandes problématiques contemporaines. Entre une conférence aux Sables d’Olonne et un avion pour son prochain reportage, la lauréate nous a parlé de son quotidien pas ordinaire. Interview.
Selon toi, quels sont les sujets prioritaires dans l’actu aujourd’hui?
De toute évidence, il y a la crise migratoire. Elle touche l’Europe directement, elle est extrêmement importante. On cherche à mettre en place des moyens pour y répondre mais ce ne sont visiblement pas les bonnes solutions. Le mouvement migratoire d’Afrique de l’Ouest ne fait que commencer et, quand on voit la natalité en Afrique, ça ne peut que continuer. Il faut en parler. Il y a aussi évidemment la problématique du terrorisme. Mais si on veut bien expliquer ces sujets, il faut aller sur terrain. C’est indispensable.
Le jury a souligné ta rigueur dans les faits, la qualité de ton récit ainsi que ton humanité et ton empathie pour les victimes. Humanité et empathie sont-elles nécessaires pour un bon reportage?
Je ne sais pas si tout le monde procède de la même façon mais c’est inhérent à mon travail. Pour moi, il n’est pas indispensable de mettre l’émotion à distance dans le récit, elle est même salutaire parfois. Quand je me suis rendue a Chibok dans le village où 276 lycéennes ont été enlevées par Boko Haram, leurs parents m’ont montré leurs affaires. Une mère a sorti le T-shirt préféré de sa fille, les photos de ses amis… Ça parle aux gens, on s’identifie, on se dit: “Cette fille pourrait être mon ado.” Je crois que l’émotion fait partie du reportage, ce n’est pas nouveau. Un reportage, c’est expliquer avec des moyens simples des problématiques compliquées. C’est ce que je fais.
Te vois-tu comme une journaliste engagée?
Non, je ne pense pas que ce soit le bon terme. Je ne défends pas un point de vue et je n’ai pas de solution à proposer. J’explique ce qui se passe. Ce que je fais, c’est de la retranscription avec de l’analyse. Après, il y a toujours des thèmes qu’on a davantage à cœur de développer.
Avec les milices civiles luttant contre Boko Haram, à Maiduguri, au nord du Nigeria, en mai 2014 © Sophie Bouillon
Ressens-tu la particularité d’être une femme reporter dans certaines zones?
En Afrique subsaharienne, je le sens très peu, voire pas du tout, mais en Libye, là oui, il y a des obligations, comme le fait de devoir se voiler.
Et avec tes confrères masculins, il n’y a pas de décalage?
Ça se passe bien. Je ne dirais pas que c’est complètement vrai dans les rédactions mais sur le terrain, je ne vois pas de machisme.
Se mettre en stand-by entre deux reportages, c’est indispensable?
Oui, il y a toujours une phase de décompression. On me demande souvent: “Est-ce que tu dors bien? Tu ne fais pas de cauchemars?” Honnêtement, non, mais à chaque reportage, je me rends compte de la chance que j’ai de vivre en France. On a un système de santé très développé. Quand je suis allée couvrir Ebola au Liberia, au début, il n’y avait que 50 médecins dans tout le pays! Et nous avons accès à l’éducation gratuite: dans les pays dans lesquels je me rends, l’école pour les filles, c’est extrêmement rare.
Est-ce difficile de passer d’un reportage à l’autre?
La seule chose qui est difficile, c’est de se dire parfois: “Ça ne sert à rien.” D’avoir le sentiment que les reportages ne sont pas compris. Il y a encore beaucoup d’incompréhension autour des migrants par exemple. Lorsque j’entends: “Au lieu de venir chez nous, ils feraient bien de travailler chez eux”, c’est désespérant. S’ils avaient du travail, ils ne risqueraient pas leur vie pour quitter leur pays!
Peux-tu nous dire quel sera ton prochain reportage?
Je repars au Niger pour expliquer les causes structurelles de la migration, qui est aussi liée à l’appauvrissement des terres et à la surnatalité.
Propos recueillis par Aude Lambert
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