Ce mercredi 29 juin sort John Casablancas, l’homme qui aimait les femmes, un documentaire retraçant la vie du créateur de l’agence de mannequinat Elite. Minces, grandes et très jeunes, retour sur les critères indispensables de celles qui incarnent une certaine idée de la perfection.
Le fondateur de l’agence de mannequin Elite, John Casablancas, aimait-il vraiment les femmes? C’est ce qu’on se demande en regardant le documentaire qui lui est consacré, Casablancas, l’homme qui aimait les femmes, réalisé par Hubert Woroniecki. Ce dernier connaît bien son sujet, qu’il a rencontré sur une plage à Ibiza dans les années 80. Fasciné par sa compagne, Stephanie Seymour, alors âgée de 16 ans comme lui, Woroniecki rejoindra Elite New York dix ans plus tard, et retrouvera Casablancas tout juste marié à Aline Wermelinger, pas encore majeure.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Si le réalisateur dit avoir de l’“empathie” pour Casablancas, on y voit surtout une certaine admiration envers un homme qui perd sa virginité à 15 ans à Saint-Tropez accompagné de call-girls et saura, toute sa vie, s’entourer de femmes à la plastique sublime et surtout très jeunes. Celui qui fit des mannequins de véritables stars, telles que Naomi Campbell, Cindy Crawford, Stephanie Seymour ou encore Claudia Schiffer, a-t-il créé des canons de beauté qui perdurent, ou s’est-il infiltré dans un monde déjà façonné par de nombreux codes?
Du porte-manteau à la pop star
Avant d’être synonyme de “pop star” et de s’afficher en une de Vogue, Elle ou Vanity Fair, le mot “mannequin” désignait au XIXème siècle un buste en osier. D’objet indispensable du couturier, le mannequin devient au fil du temps une femme, dont le corps se fait remarquer par sa perfection. Selon le site Mannequinat, aujourd’hui, pour devenir mannequin, il faut: mesurer entre 1,76m et 1,82m, avoir entre 16 et 24 ans, rentrer au grand maximum dans un 34/36, avoir des mensurations dites “parfaites” (85/60/85), être dotée d’une “allure svelte et élancée” et être pourvue de cheveux “longs de préférence”.
Les codes de la minceur et de la jeunesse existaient bien avant l’arrivée de Casablancas.
Ces codes de la perfection, façonnée par les modes et les cultures, sont aux antipodes de la normalité. Comme l’explique la journaliste et blogueuse Fiona Schmidt, “d’un point de vue philosophique, la beauté est hors-norme, inatteignable. Les canons de beauté que sont les mannequins doivent être le plus précieux possible, donc le plus rare possible.” Mais qui dicte les codes de la perfection? À en croire le documentaire d’Hubert Woroniecki, John Casablancas avait l’œil pour dénicher la perfection. Dans l’une des images d’archives qui constituent le film, on le voit se plaindre qu’une jeune fille de 16 ans mesure “seulement 1,68m”, alors qu’avec deux centimètres de plus, elle aurait été “parfaite”. Mais les codes de la minceur et de la jeunesse existaient bien avant l’arrivée de Casablancas dans le milieu si fermé de la mode des années 70. L’archétype de la femme parfaite s’est façonné et transformé à travers les siècles, et l’héritage de ce que nous connaissons aujourd’hui nous vient des années 60.
© John Casablancas
Jeune et jolie
“Le culte de la jeunesse, ce n’est pas Casablancas qui l’a inventé, ça s’explique historiquement et sociologiquement”, nous dit Pascal Monfort, sociologue de la mode. “Avec le baby-boom, une énorme partie de la population avait moins de 20 ans dans les années 60, c’est là que la culture jeune a explosé. Les femmes au physique pulpeux comme Marilyn Monroe, c’était terminé, on est passé à l’incarnation de la femme-enfant.” Au début des sixties, celle qu’on surnomme Twiggy, “brindille” en anglais, est repérée à 16 ans dans le salon de coiffure où elle travaille, alors qu’elle pèse tout juste 41kg pour 1,72m. Le culte de la minceur et de la jeunesse est en marche: “Être jeune, c’est être beau”, résume Pascal Monfort. Depuis, les mannequins sont recrutés de plus en plus jeunes et leur carrière n’atteint jamais -exception faite de Kate Moss-, la trentaine. “Quand on est mannequin, dès qu’on est majeur, on est proche de la retraite”, résume Fiona Schmidt. En choisissant des filles très jeunes pour Elite, Casablancas ne réalise pas un fantasme personnel, mais perpétue l’idée que la beauté est indissociable de la jeunesse. Et applique ce même principe à sa vie privée.
“On revient de plus en plus à ce type de canons de beauté très athlétiques, qui dégagent un mode de vie sain.”
Physiquement, les top models d’Elite n’avaient rien des mannequins aux hanches inexistantes et au poids plume des années 2000. “C’étaient des filles au physique excitant, bien au-delà du domaine de la mode, avec des formes et un corps athlétiques”, constate Pascal Monfort. “Aujourd’hui, elles seraient considérées comme grosses, ajoute Fiona Schmidt, mais on revient de plus en plus à ce type de canons de beauté très athlétiques, qui dégagent un mode de vie sain, comme les mannequins de chez Victoria’s Secret.”
© John Casablancas
Présent imparfait
Depuis Casablancas, la mode du grunge est passée par là et les mannequins se sont amincis, avec comme emblème Kate Moss. Les années 90, marquées par les gender studies aux États-Unis, ont peu à peu laissé place à l’androgynie. Désormais, finis les maillots de bains échancrés qui dévoilent des courbes exubérantes et les longs cheveux tombants, la mode est aux silhouettes toutes plates, aux vêtements unisexes et au style oversize qui ne marquent pas la taille. Les nouvelles égéries s’appellent Ruth Bell, un des premiers mannequins à se raser la tête, ou encore Tamy Glauser, qui défile aussi bien pour les hommes que pour les femmes: on est bien loin des courbes généreuse de Cindy Crawford. Fiona Schmidt explique ce phénomène par un certain empowerment qui a envahi nos sociétés sans échapper à la mode. Si Casablancas voulait créer des “beautés”, comme il le disait des corps sublimes aux imperfections inexistantes, l’heure est à l’émancipation. “Je me fiche de ce que pensent les gens”, a déclaré la jeune Ruth Bell, égérie Yves Saint Laurent, aux journalistes qui lui demandaient pourquoi elle avait coupé ses cheveux.
Si libération des stéréotypes de genres il y a, le jeunisme reste de mise. La toute dernière tendance chez les mannequins? L’acné. Moto Guo, créateur malaisien, a fait défiler à la Fashion week de Milan des mannequins aux visages couverts de boutons, points rouges et autres vilaines taches. L’apogée de la jeunesse serait-elle dans l’excès de sébum? Si John Casablancas était encore en vie, il ne serait sans doute pas de cet avis.
Virginie Cresci
{"type":"Banniere-Basse"}