Depuis deux ans, l’actrice Zooey Deschanel et le musicien M.Ward agencent la plus belle bande-son de la Californie. Ensoleillé et romantique, le deuxième album de leur projet commun, She & Him, est un ravissement.
[attachment id=298]De Hollywood, on connaît généralement les grèves de scénaristes. Les musiciens pourraient bientôt suivre le mouvement : depuis quelques années, une jeune génération de compositeurs échappés des plateaux de tournage – et pas seulement Scarlett Johansson – menace leurs postes. L’an dernier, le comédien Jason Schwartzman, connu pour ses fréquentes apparitions dans les films de Wes Anderson, a donné le plus éblouissant des recueils de pop-songs : en marge de sa carrière cinématographique, le jeune homme compose, sous le nom de Coconut Records, une merveilleuse BO pour visiter la Californie.
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En 2008, Zooey Deschanel s’affranchissait de son rôle d’actrice- bonne copine et se révélait déesse de la musique : produites par l’Américain M.Ward, ses chansons laissaient entrer l’été sur Volume One, le premier album de leur projet commun, She & Him. La vie étant bien faite, Jason Schwartzman et Zooey Deschanel sont très bons amis. Elle lui a prêté sa voix sur le premier album de Coconut Records. Et en ce qui nous concerne, c’est quand ils veulent pour un dîner à la maison. En attendant, on rencontre la demoiselle et son acolyte Ward dans les locaux de leur label londonien.
“Avant She & Him, j’avais toujours gardé mes chansons pour moi. Je les avais jouées devant quelques amis, mes parents, ma soeur. Ma famille m’avait toujours encouragée à en faire quelque chose. J’attendais de me retrouver dans la bonne situation, celle qui me donnerait et l’envie et le courage d’aller plus loin.” L’occasion se présente en 2007 lorsque Zooey Deschanel rencontre M.Ward pour l’enregistrement d’une reprise d’un titre de Richard et Linda Thompson, When I Get to the Border, réalisée pour la bande originale du film The Go- Getter où elle tient le premier rôle.
Suite à cette collaboration, la Californienne décide d’envoyer une poignée de demos à Ward, lui aussi enfant de la région mais délocalisé à Portland. “J’avais toujours adoré les albums de M.Ward, et plus précisément leur son, leur production. On ne peut jamais dire si les chansons datent d’il y a cinquante ans ou s’il les a composées la veille. Il y a un aspect très intemporel, mais aussi un côté très chaleureux et accueillant. Ses albums vous souhaitent la bienvenue et vous ouvrent leur porte.” Opération séduction dans l’Oregon réussie : le musicien succombe immédiatement au charme des compositions de Deschanel, aussi irrésistibles que son prénom, un Zooey avec deux O hérité de l’amour de ses parents pour le personnage de Salinger, protagoniste de Franny & Zooey.
“J’ai reçu les demos de Zooey par mail, j’ai tout de suite vu qu’il y avait le potentiel pour un album formidable et que c’était le travail rêvé pour un producteur. J’aime la voix de Zooey. J’ai toujours été convaincu que la voix tenait un rôle central dans les chansons, que ce qui gravite autour n’est là que pour la soutenir. La sienne peut faire un million de choses.” Ce que la voix de Zooey Deschanel fait le mieux, c’est chanter la Californie et réveiller dans notre imaginaire les plus beaux fantasmes sunshine-pop liés à la région.
Ecouter les boucles chantantes et les cascades mélodieuses de Home, le plus fascinant chapitre de Volume Two, cela revient à prendre un billet simple pour le Los Angeles des sixties et s’embarquer, durant quatre minutes et quarante secondes enchanteresses, dans une expédition magique en compagnie de Brian Wilson et The Mamas & The Papas, des vertes collines du Laurel Canyon au sable chaud de Venice Beach. Personne n’avait aussi bien chanté la Californie depuis Joni Mitchell et son morceau hommage en 1971.
Pourquoi pareil attachement à la région ? Zooey Deschanel l’attribue aux nombreux déplacements que lui ont imposés les carrières artistiques de ses parents pendant son enfance et au mal du pays qu’ils ont ainsi alimenté. “Je suis heureuse d’avoir vécu ces expériences : elles ont façonné ma personnalité. Sur le moment, ça m’a semblé dur. J’ai passé mon enfance à regretter la Californie, à vouloir rentrer à la maison. Ça explique la vision romantique que j’ai gardé de cette région, le souvenir des heures passées à l’arrière de la voiture de mes parents, à regarder le ciel et le soleil qui filtrait à travers les arbres. On pouvait sentir la chaleur des rayons sur le visage, une sensation incroyable, de plénitude et de mélancolie à la fois. Quelque chose de très réconfortant, presque maternel. Voilà ce que j’essaie de reproduire quand j’écris des chansons à la fois tristes et heureuses. Ne jamais trancher, rester au milieu, pour qu’elles puissent ressembler à nos vies.”
Cette ambivalence est allée droit au coeur de M.Ward, musicien équilibriste dont les albums en solo oscillent entre country-folk et lo-fi, échappées rétro et audaces contemporaines. Avant de travailler avec la princesse, Ward avait oeuvré pour un roi de France : fan de son travail en solo, Alain Bashung l’avait convié à prêter son jeu de guitare à Bleu pétrole. L’Américain est un habitué des collaborations : il a travaillé avec Cat Power, Norah Jones, Beth Orton et intégré le groupe Monsters Of Folk avec son ami Conor Oberst de Bright Eyes. “J’ai la chance de me retrouver avec des gens passionnants et de ne pas toujours faire la même chose. j’adore jouer le rôle de producteur. Je me comporte alors un peu comme un photographe : j’essaie de soigner le mieux possible les contrastes, de trouver un équilibre entre l’obscurité et la lumière. Les chansons de Zooey sont idéales pour ça car elles effectuent un va-et-vient permanent entre la mélancolie et la joie, le soleil et la nuit.”
Lorsqu’elle revêt sa robe de comédienne, Zooey Deschanel ne convainc pas toujours : après des débuts plutôt prometteurs (elle jouait les groupies-allumeuses dans Presque célèbre de Cameron Crowe), elle enchaîne les rôles de girl next door dans tout ce que l’Amérique sait produire de comédie sentimentale gentiment indé. Sa tendance à interpréter inlassablement le même rôle de petite copine idéale (vêtements vintage, passion pour les Smiths et yeux revolver) a fini par en irriter certains. Sur le net, de nombreux groupes de détracteurs lui demandent de changer de registre.
Une banalité incroyable au regard de l’éminence et de l’adresse que Zooey Deschanel dévoile dans ses chansons : cette demoiselle-là, quand elle compose et chante, n’est pas une bonne copine mais la femme de votre vie, un véritable génie qui s’ignore. Volume Two est un nouveau miracle de douceur, un recueil de chansons-caresses qui parle directement au coeur et laisse filtrer le soleil à travers les volets, à l’image du premier extrait, le bien nommé In the Sun. Celui-ci, à lui seul, pourrait sauver la Scandinavie des trente prochains hivers.
Romantique mais jamais fleur bleue, c’est un disque pour tomber amoureux de toutes les Ronettes en même temps, embrasser les filles à l’arrière d’un cabriolet bleu céladon. “J’ai souvent eu l’impression que seul le chant pouvait me permettre de ressentir certaines émotions, qu’il suffisait que je fredonne une mélodie pour que toutes les barrières, toutes les carapaces que la vie nous impose s’effondrent. Petite, je chantais tout le temps. J’avais une voix d’adulte, très mûre. C’est quelque chose de profond. On m’a souvent fait chanter dans les films, pour le fun. Je ne l’ai pas voulu, c’est arrivé par accident… Cela me gêne d’autant plus que je n’aime pas que les réalisateurs me donnent des indications. Chanter doit rester instinctif, physique.”
Volume One contenait deux reprises : une de Smokey Robinson et une des Beatles. Volume Two revisite lui un morceau du groupe américain NRBQ (New Rhythm and Blues Quartet), Riding in My Car, et une ballade de Skeeter Davies, chanteuse country-pop des années 50 et 60 (Gonna Get Along without You Now) : assaisonnés à la sauce Deschanel, ils se fondent dans le reste de l’album. Une succession de chansons rétro mais jamais passéistes qui mêlent influences soul, pop et country et s’autorisent quelques belles audaces sonores (les arrangements spectoriens de Thieves, les choeurs estampillés Beach Boys de If You Can’t Sleep).
“Zooey et moi avons eu la chance de grandir dans des familles qui accordaient beaucoup de place à l’art et à la culture. Nous avons eu le privilège d’apprendre à nous tromper, à échouer. C’est cela qui nous motive au sein de She & Him. Nous n’avons jamais eu peur de tenter des choses. Nous ne craignons ni le regard de l’autre, ni l’échec.” Qu’il se rassure : il ne s’agit pas ici d’échec mais d’une belle victoire.
Album : Volume Two (Domino/PIAS)
Concert : le 29/4 à Paris (Alhambra)
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