Des premiers ébats évoqués par les héroïnes de Sex and the City autour d’un verre, aux scènes de cul de Girls, Iris Brey analyse dans un essai passionnant les enjeux de la représentation de la sexualité féminine sur le petit écran.
Il s’est passé tout juste un an entre le moment où Iris Brey cherchait devant le public de Séries Mania des synonymes dans la langue française pour parler de masturbation féminine, et la sortie de son passionnant essai, Sex and the Séries. Une année que la jeune universitaire franco-américaine a passée à décortiquer les séries du petit écran et leur participation active dans la représentation d’une sexualité féminine assumée et épanouie.
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Quel rôle a joué le rabbit de Charlotte dans Sex and the City dans cette libération? Et les ébats de Buffy avec Spike? Et le concours entre Jerry, George et Elaine dans Seinfeld? Et le corps nu de Lena Dunham dans Girls? Armée des théories de grandes penseuses anglo-saxonnes (Judith Butler, Laura Mulvey…), Iris Brey tisse une réflexion sur la place grandissante du sexe féminin dans les séries, en évoquant le langage, le plaisir, la représentation des violences et les sexualités queer. Une analyse qui la mène aussi aux grandes absences et aux progrès à accomplir. Plus que jamais, la télévision est devenu un laboratoire d’expérimentations qui tente de libérer les corps. Iris Brey nous explique pourquoi.
Iris Brey © Constance Meyer
Comment as-tu décidé d’étudier les séries à la lumière des grandes théoriciennes du genre anglo-saxonnes?
J’ai lu beaucoup de ces auteures pendant mes études aux États-Unis et j’ai beaucoup réfléchi à la question du genre au cinéma pour ma thèse. J’ai par exemple déjà manipulé le concept du “male gaze” (Ndlr: regard masculin) pour mes travaux universitaires. En y réfléchissant, je me suis rendu compte que c’était une grille de lecture intéressante pour parler des séries.
“Les grandes chaînes ne peuvent pas montrer autant de choses visuellement que celles du câble, mais elles peuvent s’amuser avec le langage.”
Comment la sexualité a-t-elle évolué dans les séries, par rapport au cinéma?
La représentation des sexualités au cinéma se fait souvent à travers d’énormes stéréotypes. Le septième art est majoritairement masculin et de fait il y a très peu de place pour la sexualité féminine. Elle est souvent résumée à un coït extrêmement court en position du missionnaire. Récemment, cela a tendance à changer et il y a eu des réalisatrices intéressantes comme Lucie Borleteau (Fidelio, l’odyssée d’Alice) ou Eva Husson (Gang Bang), chez qui les personnages féminins explorent véritablement leur sexualité. En regardant beaucoup de séries, je me suis rendu compte que c’était un format qui permettait d’explorer ces thèmes-là, sur la durée et avec beaucoup de complexité. J’y voyais les choses les plus osées. Une série permet d’intégrer ça dans la trajectoire des personnages sur la durée.
Sex and the Séries analyse la façon dont la sexualité s’est développée dans les séries du câble et dans celles des grandes chaînes américaines…
Les grandes chaînes sont toutes soumises à un code de censure, le FCC. Les showrunners et les showrunneuses arrivent à détourner la censure et à réinventer un langage pour dire les choses qu’ils ont envie d’exprimer. Les grandes chaînes ne peuvent pas montrer autant de choses visuellement que celles du câble, mais elles peuvent s’amuser avec le langage. C’est le cas de Friends ou de Seinfeld. La nudité est interdite mais on peut aller très loin avec un jeu de mot. Sur les chaînes du câble, la sexualité est plus facilement montrable et parfois elle en devient gratuite.
Friends, DR
Les séries des années 90 comme Friends ou Buffy contre les vampires restent-elles assez conservatrices?
Il faut garder à l’esprit qu’elles ont été produites à une autre époque et dans un contexte très différent. Les séries ont beaucoup évolué avec la libération du sexe et l’avènement du porno gratuit sur Internet. Dans ces séries des années 90, la sexualité féminine est comparée à la sexualité masculine. On se pose des questions comme “est-ce qu’une femme se masturbe comme un homme?” dans Seinfeld, “est-ce qu’une femme couche comme un homme?” dans Sex and the City… Dans les séries plus récentes, ce qui est intéressant, c’est que les sexualités féminines ne sont plus seulement le pendant des sexualités masculines: elles sont différentes et ne répondent pas forcément aux mêmes codes.
Peut-on situer le début de la libération sexuelle féminine à la télévision à Sex and the City?
On pourrait. Dans Sex and the City, on parle de sexe dans chaque épisode et ça raconte quelque chose. On découvre que la sexualité peut être utiliseé narrativement par la série pour étoffer les personnages et raconter leurs trajectoires. Le fait de développer ce thème dans chaque épisode provoque un déclic et tout à coup on se rend compte de l’envergure du sujet. Ce n’est pas quelque chose dont on parle si facilement et c’est vraiment novateur à ce moment-là. On aborde des sujets comme la masturbation féminine, l’éjaculation féminine, on voit Samantha acheter un vibromasseur…
Sex and the City, DR
Tu montres que toute cette émancipation passe aussi par le langage…
Ne pas nommer, c’est ignorer. En décortiquant le langage, j’ai trouvé que ça en disait long sur notre rapport à la sexualité et sur les tabous qui l’entourent. Par exemple, c’est intéressant de noter qu’il n’y a pas de synonymes pour parler de la masturbation féminine. Notre langue est figée dans l’idée qu’une femme ne se masturbe pas autant qu’un homme. Quand les séries s’approprient ces mots-là, elles nous permettent en tant que spectateur de les intégrer dans notre langage. C’est l’exemple de Shonda Rhimes qui a fait rentrer “vajayjay” (Ndlr: pour dire “vagina”) dans le langage courant en l’utilisant dans un épisode de Grey’s Anatomy. Ça montre bien que les séries permettent de faire évoluer à la fois le langage et les mentalités.
Justement, tu parles beaucoup de Shonda Rhimes (showrunneuse de Scandal, Grey’s Anatomy…). Quel rôle a-t-elle eu dans cette émancipation?
Pour moi c’est un monstre sacré de la série télé. Elle produit des séries extrêmement efficaces, elle écrit des dialogues qui ont beaucoup de fond. Certains épisodes sont comme des courts-métrages qui ont une portée éducative et nous expliquent des phénomènes de société. C’est aussi une showrunneuse qui n’hésite pas à avoir des femmes noires comme personnages principaux.
“Les scènes de viol de Game of Thrones sont problématiques mais elles ont au moins le mérite d’ouvrir un débat.”
Les diffusions de Masters of Sex et Girls ont-elle constitué un tournant dans la représentation de la sexualité féminine?
Ces deux séries lèvent le voile sur des tabous de manière très différentes et très osées. Dans Masters of Sex, c’est une approche au sexe distanciée, qui utilise des décors années 60 et un langage scientifique. Girls à l’inverse, c’est l’ultra-contemporain qui montre une nouvelle génération et dévoile beaucoup de peau. Ces deux approches racontent beaucoup de choses sur le plaisir féminin.
Quelles séries t’ont interpellée depuis que tu as fini l’écriture de l’essai?
Casual, qui va être diffusée en France au mois de juin, est très intéressante. J’aime aussi beaucoup The Girlfriend Experience, qui montre une représentation d’une sexualité très osée. Il y aussi une scène avec une femme qui a ses règles. Rien que pour cela, il faut la mentionner! Les nouvelles saisons de Broad City vont aussi très loin. Dans cette série, la sexualité est très intégrée, comme une composante naturelle des personnages et c’est très rafraîchissant. Ce n’est jamais problématique. Ça fait partie d’elles!
Broad City, DR
Quid de Game of Thrones? Tu n’es pas forcément tendre avec la représentation du sexe dans la série…
Les scènes de viol de Game of Thrones sont problématiques mais elles ont au moins le mérite d’ouvrir un débat. La série a aussi des personnages féminins complexes et intéressants et Cersei Lannister, par exemple, a une sexualité passionnante. On est dans un univers fantasmé qui reflète aussi les tabous de notre réalité. Ils ont juste un gros souci avec les scènes de viol!
Une série à conseiller à nos lectrices?
Transparent! Elle explore le rapport que l’on peut avoir avec notre famille et notre héritage et notre rapport à la sexualité. C’est vraiment une série qui explore autant l’enfance que l’adolescence et l’âge adulte. Aujourd’hui, les séries sont de moins en moins dans une dichotomie homme/femme, hétéro/homo, et j’ai l’impression qu’on arrive à ne plus être dans un monde binaire. Les séries pensent désormais en terme de trajectoires, de personnages et la sexualité est vue comme quelque chose de mouvant. C’est réjouissant!
Propos recueillis par Pauline Le Gall
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