Field Music, l’un des groupes anglais les plus doués et discrets de sa génération, revient avec un double album en forme de fresque majestueuse. Critique et écoute intégrale.
A l’âge de 16 ans, David Brewis se rêvait en guitariste des Black Crowes. Avec son frère Peter, au cours de leur jeunesse à Sunderland, il plongeait à l’intérieur des albums de Led Zeppelin comme on s’abandonne aux bras d’une prostituée en quête d’une virilité dont la nature se serait montrée désespérément pingre. Et même si aujourd’hui, à l’approche de la trentaine, les deux frangins de Field Music ont conservé la morphologie de leur adolescence – 90 kg maxi à eux deux –, leur musique affiche une assurance et une maturité que la plupart des groupes anglais en activité pourraient leur envier.
Après cinq ans, ils débarquent ainsi avec un nouveau double album intimidant d’intelligence, dont chacune des vingt chansons procure des stimulations rarement éprouvées, rassemblant en un puzzle virtuose et étonnamment digeste des pièces hétéroclites appartenant à des époques éloignées et des courants contraires. En 2010, Field Music est ainsi le seul groupe capable d’établir des liaisons secrètes entre Wire et Fleetwood Mac, XTC et 10cc, Peter Gabriel et Revolver des Beatles, et de fluidifier tout ça avec une majesté et un sens de la dramaturgie qui les étalonne d’emblée à hauteur de telles ambitions.
Drôle de duo que celui des frères Brewis, anti-Gallagher au possible, qui n’auront pas hésité à rompre l’ascension médiatique du groupe en s’en allant après deux albums en commun enregistrer chacun sous son toit des disques tout aussi remarquables sous le nom de School Of Language (Peter) et The Week That Was (David). “Nous avions besoin de nous prouver des choses personnelles à travers ces projets, précise David. Lorsqu’on fait de la musique en famille, il arrive toujours un moment où il vaut mieux chercher chacun son identité, pour mieux ensuite faire profiter l’autre de cette expérience.”
[attachment id=298]C’est précisément ce qui se produit aujourd’hui avec Field Music (Measure), synthèse brillante entre la complexité formelle dont David apparaît l’expert et les intuitions mélodiques toujours fulgurantes de Peter, qui signe encore avec le single Them That Do Nothing l’un de ces classiques pop dont Field Music n’a jamais été avare.
Sans tomber dans l’autocomplaisance des branleurs de manches seventies, Field Music invente ici, dans la droite lignée de ce que tenta de faire à l’époque l’incompris Todd Rundgren, une musique progressive qui progresse à l’aveugle, détermine à chaque pas des territoires nouveaux dont l’exploration n’est jamais exempte ni d’une certaine grâce, ni d’une constante humilité.
On prie pour que se produise un jour pour Field Music le même miracle que pour Elbow, et que ce groupe qui ne sacrifie rien de sa belle ambition soit reconnu commercialement sans demi-mesure. Alors ils ne regretteront pas d’avoir raté un destin de Black Crowes.
Album : Field Music (Measure) (Memphis Industries/PIAS)