À l’occasion de la sortie de son livre, Sexpowerment, on a rencontré la journaliste et auteure Camille Emmanuelle et on lui a demandé de commenter pour nous quelques passages marquants, drôles, impertinents ou novateurs.
Passer un moment avec Camille Emmanuelle revient à prendre un shoot de vie, de joie et d’énergie. Difficile de ne pas ressortir de là sans un sourire et le sentiment revivifiant que tout n’est pas perdu. À 35 ans, l’auteure et journaliste spécialiste des sexualités sort un deuxième livre intitulé Sexpowerment. Un mot “difficile à traduire”, dit-elle avant d’ajouter qu’“empowerment est un terme très fort qui évoque le processus d’émancipation, de libération d’un groupe de personnes”. Le sous-titre donne le ton: “Le sexe libère la femme (et l’homme).” Rien que ça. Avec cet ouvrage, Camille Emmanuelle défend avec détermination et allégresse une vision positive de la sexualité, souhaite “vulgariser les thèmes abordés en tant que journaliste depuis des années” et devenir “passeuse sur les questions de sexualités, de corps féminins, de genres et de féminismes”. Le tout au pluriel car la trentenaire n’est pas du genre à apprécier les cases au singulier.
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Les corps, les apparences, l’éducation sexuelle, les plaisirs, les sexualités, les féministes, voici donc en substance les thèmes abordés dans Sexpowerment. L’auteure y raconte également des expériences et souvenirs personnels car “on peut rire de soi-même” et il y a moyen que certaines punchlines du livre -“Je fais Nicolas le jardinier avec ma chatte, quoi”- fassent également marrer les lecteurs et les lectrices. Plus sérieusement, Camille Emmanuelle lâche: “J’ai mis 20 ans à me débarrasser de certaines injonctions et stéréotypes sur le sexe et le genre, alors si je peux faire gagner du temps aux autres femmes, ce serait super!” On ne peut qu’acquiescer.
Le sexe est “un terrain d’empowerment”, “un espace de liberté” et, comme “il n’y en a pas beaucoup”, autant en profiter.
En général, Camille Emmanuelle regrette le “déficit d’informations sur des sujets comme le porno féministe ou le clitoris”, car il ne faut jamais oublier “que les questions de corps et de sexualités, notamment des femmes, sont indissociables de l’émancipation féminine et de l’égalité hommes-femmes”. Et de poursuivre: “Tant qu’on verra la femme comme un être forcément doux, sensible et maternant qui aime faire l’amour sur un lit parsemé de pétales de roses, on continuera de véhiculer des valeurs féminines stéréotypées.” Et ce qui vaut pour les nanas vaut pour les mecs aussi. Montrer la diversité des féminités et des masculinités, voici l’un des défis que s’est fixés la jeune femme. Et que les choses soient claires, Camille Emmanuelle ne parle pas de sexe aux gens pour leur dire “qu’il faut jouir, avoir des amants et des sextoys dans les placards”, elle prône le “sexe libre”, celui qui devient un terrain “où l’on se débarrasse des masques sociaux, où l’on est une femme et où l’on peut se sentir parfois comme un mec”. Le sexe est “un terrain d’empowerment”, “un espace de liberté” et, comme “il n’y en a pas beaucoup”, autant en profiter.
©thepaulgreen.com
Si Camille Emmanuelle s’adresse dans son ouvrage principalement aux femmes, elle n’en oublie pas pour autant les hommes et cite Virginie Despentes: “Il est temps que les hommes se libèrent de leur cage de fer, qu’ils interrogent leur façon d’être homme aujourd’hui.” En attendant que les mecs se bougent, on a demandé à l’auteure de commenter pour Cheek 8 passages marquants de Sexpowerment:
1. “L’image d’un couple en sous-vêtements Kiabi qui baise sur un canapé fleuri Conforama éclairé par une lampe Ikea, ça me fait débander. Oui, je suis snob.”
“Je parle ici du porno amateur, parfois il y a même un chat qui se balade! Autant le porno ultra léché à la Dorcel qui se passe dans des châteaux avec des femmes aux sous-vêtements sophistiqués, ça ne me fait pas vraiment mouiller car j’ai du mal à me projeter, mais le porno amateur me pose aussi problème car je me focalise sur des détails qui ne sont pas très excitants. C’est pour ces raisons que je défends les films d’Erika Lust, qui ne sont ni l’un ni l’autre. Ils sont juste cool, les acteurs et actrices ressemblent à mes potes, il y a des filles minces, rondes, tatouées, pas tatouées, d’âges différents et idem pour les hommes. J’ai envie d’être à leur place et de jouir avec eux. On peut me rétorquer qu’avec tous les sites pornos existants, il y a une diversité des corps et des pratiques sexuelles mais le problème, c’est que c’est hyper spécialisé. Si je peux apprécier le pied d’une femme dans une chaussure à talon aiguille, 20 minutes de fétichisme du pied vont finir par m’ennuyer. Ce qui manque avant tout dans ce porno-là, c’est le désir. C’est aussi de sentir que les femmes ne sont pas seulement des objets sexuels mais aussi des sujets sexuels. Et puis, il manque aussi une représentation du sexe un tout petit plus proche de ma propre sexualité. J’ai évidemment besoin de voir autre chose que mes fantasmes -c’est pour cette raison que la pornographie existe- mais là, c’est tellement déconnecté de ce que j’aime dans le sexe que ça ne me fait pas rêver.”
2. “Je suis une féministe en porte-jarretelles.”
“On m’a toujours renvoyé l’idée que féminité et féminisme étaient contradictoires, que ce soit mon entourage personnel ou professionnel. Quand je disais que j’étais féministe, on me répondait ‘Toi, t’es féministe? Mais tu portes du rouge à lèvres, tu écris sur le cul et tu aimes bien les mecs, non?’ C’était n’importe quoi. Je culpabilisais donc d’aimer l’ultra féminité, d’être passionnée de spectacles burlesques, de porter des porte-jarretelles et des talons aiguilles car des ami[e]s m’affirmaient que j’avais intériorisé les codes du sexisme ordinaire. Je ne suis pas d’accord, j’ai mis du temps à savoir ce que j’aimais comme vêtements, comme apparence et aujourd’hui, je ne m’habille pas non plus comme la couverture du ELLE. J’estime que l’on peut travailler sur la déconstruction du genre, l’égalité hommes-femmes tout en ayant une apparence assez traditionnelle, dans le sens où je suis une femme qui ressemble à une femme.”
“La société entière est traversée par la sexualité.”
3. “Il est de bon ton de commenter l’exposition Sade au musée d’Orsay. Il est beaucoup moins glorieux d’analyser le succès phénoménal d’une Miley Cyrus.”
“Grâce aux nouveaux supports médias que l’on a vu émerger sur le Web, la dichotomie entre sérieux et futilité est en train de changer, on est positivement influencés par l’Amérique du Nord, où le terme ‘mainstream’ n’est pas un grot mot. En France, ce qui est populaire est souvent considéré comme beauf. Les États-Unis ont une culture mainstream mais aussi des cultures très pointues. En France, si on sort un bouquin et qu’on est invité chez Laurent Ruquier, on ne le sera pas sur France Culture. En matière de féminisme, j’espère que le courant du féminisme pop constitue une ouverture car je me suis rendu compte que le milieu militant ne me convenait pas; il faut forcément être sérieux alors qu’au fond de moi, je pense qu’on peut militer avec des chaussures à paillettes!”
4. “Le corps, le sexe et l’orgasme sont politiques.”
“Quand on écrit sur la sexualité, on se confronte toujours à deux types de commentaires négatifs. D’un côté, on nous affirme que le sexe est réservé à la chambre à coucher, alors pourquoi en parler publiquement? Et d’un autre côté, on essaie de nous faire culpabiliser en nous disant qu’il y a plus important que le sexe, comme le chômage, la crise économique, le terrorisme, etc. En effet, le sexe concerne l’intimité, mais quand un couple se retrouve dans un lit, il n’y a pas juste deux personnes, il y a aussi l’État -‘Qu’est ce qui est autorisé ou non?’-, l’éducation, la famille, la censure et parfois la religion. Penser que tout ça n’est pas connecté, c’est faux. La société entière est traversée par la sexualité, il n’y a qu’à voir la Manif pour tous -qu’on ne me dise pas qu’il n’y a pas un problème avec l’homosexualité en France- ou bien le fait que le sapin de Noël de Paul McCarthy ait été vandalisé à Paris en 2014. Le harcèlement sexuel et sexiste est également un problème politique qui concerne la société, l’éducation des jeunes hommes et des jeunes femmes à l’école. Enfin, quand on voit que les femmes considèrent que l’espace urbain n’est pas fait pour elles, c’est politique aussi.”
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5. “Il faut supprimer à jamais le mot préliminaires du vocabulaire. À jamais. Out. Bye bye. Ciao. ‘Préli-quoi? Ah non, connais pas.’”
“À un moment donné, il a été essentiel de parler de préliminaires, c’est notamment Masters et Johnson qui ont beaucoup insisté dans leurs ouvrages sur les préliminaires car ils avaient constaté que l’orgasme féminin était lié à la stimulation clitoridienne, externe ou interne. Ils ont ainsi éduqué toute une génération d’Américains sur l’importance des préliminaires. Maintenant, ça suffit car cela focalise le sexe sur la pénétration vaginale, on envisage seulement la sexualité sous ce prisme-là. Il faut pouvoir déconstruire ce schéma. Le sexe, c’est aussi une fellation, un cunni, des caresses, se rouler des pelles, s’envoyer des sextos, etc. Ça fait peut-être un peu freudien de dire que tout est sexuel mais ça permet de dédramatiser le coït, d’enlever de la pression. Parfois, c’est raté, parfois on se fait chier, parfois on est crevé. Bref, je veux qu’on supprime le mot “préliminaires” du dictionnaire!” (Rires.)
6. “Sous l’influence des médias et de la publicité, nous sommes des fascistes avec notre propre corps.”
“On a beau se dire qu’on n’est pas des moutons, qu’on ne ressemblera jamais à Kate Moss et que les couvertures des magazines sont photoshoppées, c’est une violence quotidienne dans la figure pour les femmes et pour les hommes. C’est assez drôle car, quand j’en parle à des nanas, elles me disent qu’elles ne vivent pas la presse et toutes ces images de femmes parfaites comme une pression mais quand je les vois au printemps, elles me disent toutes qu’il faut qu’elles perdent trois kilos avant l’été! Ça ne sort pas de nulle part! Avec tout le recul du monde, ça reste difficile de ne pas s’imprégner de ces injonctions. Dans les médias et la pub, j’aimerais voir davantage de femmes rondes, vieilles, noires, arabes ou asiatiques, des femmes qui sont belles, sublimées, qui dégagent quelque chose. À l’époque de ma grand-mère, il y avait Marylin Monroe d’un côté et Audrey Hepburn de l’autre, ce n’était pas le même genre de femmes!”
7. “Au début du XXème siècle, quel est le cinquième appareil électroménager le plus vendu au monde, après la machine à coudre, le ventilateur, la bouilloire et le grille-pain? Je vous le donne en mille, c’est le vibro.”
“Dans les publicités, il n’était jamais franchement annoncé à quoi servait cet appareil, c’était pour les rides, pour ‘masser’ ou pour des problèmes de hanches! C’était très hypocrite. Mais à partir du moment où le vibro a été utilisé dans la pornographie, ça a levé le voile sur l’hypocrisie et il a été subitement beaucoup moins mis en valeur dans la publicité. C’est devenu un objet sexuel. J’aurais bien aimé que Roland Barthes écrive sur le vibro qui est devenu sexuel parce que la société l’a mis en scène dans des films sexuels alors qu’avant il n’était pas considéré comme tel. Aujourd’hui, c’est l’inverse, il se ‘désexualise’, on est sorti de la représentation purement phallique, c’est devenu un objet à l’aspect mignon, kawaï, qu’on pourrait limite mettre sur sa table basse en guise de déco!”
8. “Je fais partie de la génération des féministes-pas-en-colère.”
“Heureusement qu’il y a eu des femmes en colère et qu’il y en a encore maintenant. J’ai de l’admiration pour les Femen, pour les femmes qui tiennent les plannings familiaux, pour celles qui luttent pour que le maximum de femmes aient accès à l’avortement si elles le souhaitent, pour celles aussi qui vont gueuler contre les inégalités salariales, pour mes aînées car il ne faut pas avoir la mémoire courte. En ce qui concerne le droit des femmes, tout peut être remis en cause à chaque instant.”
Propos recueillis par Julia Tissier
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