Mariana Santos a créé des formations, baptisées Chicas Poderosas, qui permettent aux femmes de découvrir les métiers du journalisme digital.
Mariana Santos est une de ces femmes au dynamisme décapant. Cette ancienne journaliste du Guardian est la fondatrice d’un mouvement féminin, Chicas Poderosas, qui promeut la place des femmes dans le journalisme digital, notamment en Amérique Latine. Ce jour-là, elle vient de quitter Miami, où elle dirige les programmes de la chaîne de télé Fusion, pour se rendre au Hay Festival de Carthagène en Colombie. C’est là-bas que cette ancienne championne de natation portugaise de 32 ans nous explique, avec l’énergie qui la caractérise, comment les nouvelles écritures digitales sont en recherche permanente de talents féminins.
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Chicas Poderosas, c’est quoi?
C’est un mouvement né du manque de femmes dans les sphères technologiques des salles de rédaction. Qu’est-ce que Java Script, comment utiliser la data, comment faire du scraping ou encore encoder, développer? Très peu de femmes se sentent capables de réaliser cette partie du travail. Avec Chicas Poderosas, on organise des ateliers de trois ou quatre jours pendant lesquels des professionnels viennent raconter un projet digital. Par exemple, lorsque le New York Times a publié son sujet Snow Fall qui mélangeait texte, vidéo et photo, on a organisé un atelier où on a déconstruit le projet et détaillé chaque étape. Plus qu’un cours, je crois en la rencontre humaine: il faut se voir, se toucher, s’écouter et je trouve que cette mise en commun des savoirs est d’une grande aide.
“La présence des deux sexes est indispensable pour concevoir n’importe quelle histoire.”
Pourquoi faut-il encourager les femmes à se lancer dans ce domaine?
Le leadership dans le monde de la technologie est une affaire d’hommes. Pourtant, il me semble que la présence des femmes y est fondamentale car sinon, il manque toujours le regard féminin sur la trame narrative d’une histoire. Lorsque Apple a sorti son appli Health pour iPhone, seuls des hommes ont participé au projet. Résultat, on peut mesurer son pouls ou son rythme cardiaque, mais rien n’a été prévu pour les règles! L’audience est toujours mixte et la présence des deux sexes est indispensable pour concevoir n’importe quelle histoire.
Comment finances-tu ces formations?
On réfléchit de manière globale, mais nos actions sont très locales. En général, les financements viennent de partenaires locaux comme des universités, des organes de presse, des entités qui cherchent à promouvoir le développement technologique… Mais ça varie selon les pays où l’on va.
Tu travailles beaucoup en Amérique latine, qu’est-ce qui caractérise les latinas?
Je dirais la force. Les femmes en Amérique Latine ont beaucoup de force mais aussi d’envie, rien ne les arrête. Je me sens très proche de ces femmes, bien que je sois née au Portugal. J’ai travaillé au Costa Rica, je voyage dans toute l’Amérique latine et j’aime le fait que malgré les obstacles, ici, personne ne se plaint et tout le monde va de l’avant. Pourtant, dans certains cas, les gens manquent de tout, connaissent la faim, la guerre, mais ils avancent, tout en riant, en dansant, à la recherche de nouvelles opportunités. Ce n’est pas toujours ce que je ressens en Europe.
D’ailleurs, ton mouvement est-il présent en Europe?
On arrive! On a déjà organisé des rencontres au Portugal, en Italie, mais j’aimerais beaucoup travailler avec la France, d’autant que j’ai fait mon année Erasmus à Saint-Étienne, donc je parle un peu français.
À titre personnel, qu’est-ce qui te motive dans ce projet?
Mon père est un homme très conservateur qui a eu deux filles: il a fait de nous des winneuses, des battantes, nous demandant de toujours aller chercher le meilleur en nous. Grâce à la natation, j’ai appris ce qu’étaient le travail, la constance et l’effort. Pourtant, un jour, mon père nous a dit que nous pouvions être tranquilles, ma sœur et moi, car nous finirions par nous trouver un bon parti et rester ainsi à la maison. On lui a répondu qu’on n’était pas devenues ce genre de femmes. Et moi, j’ai appliqué dans ma vie professionnelle ce que j’avais appris grâce au sport. J’étais leader de mon équipe de natation et aujourd’hui, je suis heureuse de créer du leadership pour les femmes évoluant dans le journalisme digital.
Propos recueillis par Margot Loizillon, correspondante à Bogota (Colombie)
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